Cour des comptes : le grand déballage d’une gestion publique sous tension | Mauriweb

Cour des comptes : le grand déballage d’une gestion publique sous tension

lun, 13/10/2025 - 13:50

Le rapport général annuel 2022-2023, publié en juin 2025, dresse un tableau sans complaisance de la gestion des deniers publics. Derrière les chiffres, la Cour des comptes met en lumière un système budgétaire défaillant, où les règles existent mais peinent à s’appliquer.

Une institution-clé, encore trop isolée

Organe constitutionnel indépendant, la Cour des comptes veille à la protection des deniers publics et à la transparence financière de l’État.
Sa mission est claire : juger les comptables publics, sanctionner les fautes de gestion et évaluer les politiques publiques.
Mais au-delà du droit, c’est la culture de la responsabilité qui reste fragile.

Comme le rappelle le président Hemida Ahmed Taleb dans son introduction, la Cour entend désormais exercer pleinement sa compétence juridictionnelle et renforcer la certification des comptes de l’État. Encore faut-il que ses constats ne demeurent pas sans suite.

Des finances publiques aux comptes mal tenus

L’exécution du budget de l’État pour 2022 et 2023 révèle de graves écarts entre prévisions et réalisations, notamment sur les financements extérieurs, souvent non intégrés dans le Compte général de l’administration des finances.
Résultat : un déficit global de plus de 12 milliards MRU en 2022, malgré une amélioration apparente par rapport aux prévisions.
La Cour appelle à une meilleure intégration des dépenses extérieures pour « renforcer la sincérité budgétaire » — une recommandation récurrente depuis des années.

Hydrocarbures, mines, santé : les zones d’ombre

Le rapport s’attarde longuement sur des secteurs clés.
Au ministère du Pétrole, des Mines et de l’Énergie, la Cour recense une série d’irrégularités : permis miniers attribués sans évaluation environnementale, retards de production, dysfonctionnements dans la gestion des fonds pétroliers et non-respect du code des marchés publics.

Dans le secteur de la santé, la situation n’est guère plus reluisante : achats par entente directe, paiements non justifiés, équipements inadaptés et retards dans les livraisons.
Pire encore, une partie des ressources du Fonds spécial Covid-19 aurait été utilisée pour des activités sans lien avec la pandémie, confirmant une dérive de gestion inquiétante.

Entreprises publiques : le gouffre silencieux

Les audits des entreprises publiques dressent le même constat : désordre administratif, pertes récurrentes et absence de contrôle interne.
La SOMELEC accumule les impayés et pratique une facturation approximative ;
Mauritania Airlines souffre d’une comptabilité défaillante et de dettes persistantes ;
la SNAAT multiplie les marchés fractionnés et les contrats sans identifiant fiscal.
Autant de signaux d’un État actionnaire déresponsabilisé, incapable de redresser ses bras économiques.

 

Un rapport courageux… mais à quel prix ?

Le rapport 2022-2023 illustre la montée en puissance d’une Cour des comptes plus exigeante et plus active.
Mais son impact réel reste tributaire de la volonté politique.
Tant que les recommandations resteront sans suites judiciaires ni réformes structurelles, les rapports de la Cour continueront d’alimenter l’indignation publique — sans changer la gestion.

L’indépendance de l’institution, pourtant garantie par la Constitution, mérite d’être consolidée : moyens humains, liberté de publication, et capacité coercitive.
Faute de quoi, ses avertissements risquent encore d’être classés sans suite.

Le test de la transparence

Le rapport 2022-2023 n’est pas seulement un document technique : c’est un baromètre de la gouvernance.
Il révèle un pays où la réforme avance plus lentement que la dérive, et où les institutions de contrôle peinent à imposer leurs décisions.

La Mauritanie dispose pourtant d’un outil précieux.
Reste à savoir si l’État saura écouter sa Cour, ou s’il continuera à ignorer ce miroir dérangeant — celui d’une gestion publique en quête de rigueur.