
La signature, mardi dernier, d’un protocole d’accord entre la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) et la Bourse de Casablanca marque une nouvelle étape dans l’ambition affichée de Nouakchott de se doter d’une place boursière moderne. Dans un contexte de rapprochement diplomatique fort entre Rabat et Nouakchott, cette initiative vise à renforcer la coopération Sud-Sud tout en offrant à la Mauritanie un outil de financement alternatif au service de la diversification économique. Mais si l’accord fait preuve d’un volontarisme politique certain, les obstacles à la mise en œuvre d’une bourse des valeurs viable en Mauritanie restent nombreux et profonds.
Une ambition régionale… sur fond de retard structurel
Dans la région, le Maroc, avec une Bourse de Casablanca active depuis 1929, s’impose comme un modèle de stabilité et de développement boursier. Sa place financière est aujourd’hui la troisième en Afrique, derrière Johannesburg et Le Caire, avec une capitalisation boursière avoisinant les 60 milliards de dollars. Le Maroc a su développer une véritable culture de marché, adossée à un secteur privé dynamique, des banques solides, et un tissu d’entreprises cotées diversifié.
La Tunisie, quant à elle, malgré les turbulences politiques de la dernière décennie, dispose également d’une bourse fonctionnelle, même si sa profondeur reste limitée. Le Sénégal, depuis plusieurs années, mise sur la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM), basée à Abidjan, qui regroupe huit pays de l’UEMOA et permet un accès élargi aux capitaux.
Face à ces exemples, la Mauritanie part de loin. Son système financier demeure très peu développé, dominé par un secteur bancaire peu inclusif, avec une faible intermédiation et une méfiance persistante de la population à l’égard des instruments financiers formels. Le nombre limité d’entreprises structurées, la rareté des audits financiers crédibles, l'absence de culture boursière et le poids écrasant de l’informel constituent autant de freins à la création d’un marché boursier véritablement fonctionnel.
Des défis multiples à surmonter
1. Faible profondeur économique : Le tissu productif mauritanien reste dominé par quelques grands acteurs dans les secteurs extractif, halieutique et commercial. Le nombre d’entreprises susceptibles de répondre aux exigences de transparence, de gouvernance et de publication financière imposées par une cotation en bourse est très réduit.
2. Environnement réglementaire balbutiant : À ce jour, la Mauritanie ne dispose pas d’une législation complète sur les marchés de capitaux ni d’un organisme de régulation financière autonome à l’image du CDVM marocain ou du CREPMF de la zone UEMOA. La construction d’un tel cadre prendra du temps, d’autant plus qu’il implique une formation poussée des professionnels et la création d’un écosystème de courtiers, de sociétés de gestion, de dépositaires et de régulateurs.
3. Faible appétence nationale pour l’épargne-investissement : Dans un pays où la bancarisation reste faible et où l’essentiel de l’épargne est investi dans la pierre, l’or ou l’informel, il faudra un travail colossal de pédagogie pour convaincre particuliers et entreprises d’entrer en bourse.
4. Risques de façade sans profondeur : Il y a un risque réel que la Bourse de Nouakchott, si elle est précipitamment lancée pour des raisons symboliques ou diplomatiques, se résume à un projet vitrines. Sans entreprises cotées, sans liquidité et sans investisseurs actifs, elle risquerait de devenir une coquille vide, à l’image d’autres tentatives similaires sur le continent.
Une coopération prometteuse, mais qui doit s’ancrer dans le réel
L’expertise marocaine, incarnée par la Bourse de Casablanca, est indéniablement précieuse. L’accompagnement en matière de systèmes de cotation, d’architecture du marché, de formation des cadres et de supervision peut jouer un rôle crucial dans la structuration du projet. Mais ce partenariat ne saurait remplacer les réformes de fond que la Mauritanie doit entreprendre : réforme de la gouvernance économique, assainissement du climat des affaires, soutien à la structuration des PME, développement d’une culture de la transparence.
En somme, la future Bourse de Nouakchott ne pourra s’épanouir que si elle s’inscrit dans une stratégie plus globale et cohérente de développement économique. Sans cela, elle restera une ambition noble... mais inopérante.