Le retour des crashs monétaires | Mauriweb

Le retour des crashs monétaires

dim, 31/01/2016 - 14:37

La volatilité du marché monétaire s’observe depuis des décennies, voire depuis des siècles. D’importantes fluctuations de taux d’intérêt sont devenues monnaie courante sur les marchés financiers internationaux après l’effondrement du système de Bretton Woods au début des années 1970, les méga-dépréciations devenant également courantes au fil de cette décennie ainsi que pendant une bonne partie des années 1980, époque à laquelle l’inflation faisait rage dans la plupart des régions du monde. Même au cours de la majeure partie des années 1990 et du début des années 2000, 10 à 20 % des pays du monde ont connu une importante dépréciation de leur monnaie, voire un effondrement de celle-ci, au cours d’une année donnée.

Puis, le calme s’est soudainement installé. Exception faite du chaos provoqué par la crise financière mondiale de fin 2008 début 2009, rares ont été les chutes monétaires brutales entre 2004 et 2014 (voire graphique). Plusieurs évolutions récentes semblent toutefois indiquer que la rareté de tels événements au cours de la dernière décennie pourrait bien constituer l’exception qui confirme la règle.

 

 

La quasi-disparition des crashs au cours de la période 2004-2014 est en grande partie le reflet de taux d’intérêt internationaux faibles et stables, ainsi que d’importants flux de capitaux en direction des marchés émergents, le tout associé à un boom du prix des matières premières et (surtout) à des taux de croissance relativement sains dans les États ayant échappé à la crise financière mondiale. En effet, au cours de ces années, la principale préoccupation de nombreux pays consistait à éviter une appréciation monétaire soutenue par rapport au dollar américain ainsi qu’à la monnaie de leurs autres partenaires commerciaux.

C’est en 2014 que les choses ont changé, lorsque la détérioration du contexte mondial a ravivé en masse les crashs monétaires. Depuis, près de la moitié des 179 pays constituant l’échantillon présent au graphique ont connu des dépréciations annuelles de plus de 15 %. Certes, l’existence d’accords de taux de change plus flexibles a presque éliminé le drame lié à l’abandon de taux de change arrimés ou semi-arrimés et annoncés au préalable. Pour autant, peu d’indicateurs suggèrent jusqu’à présent quelque effet salutaire de ces dépréciations sur la croissance économique, qui dans l’ensemble est restée apathique.

La dépréciation globale moyenne par rapport au dollar américain a atteint près de 35 % entre janvier 2014 et janvier 2016. Sur de nombreux marchés émergents, au sein desquels les dépréciations se sont révélées considérablement plus importantes, l’affaiblissement des taux de change est venu aggraver les difficultés actuelles associées à l’augmentation des dettes en devises étrangères.

Par ailleurs, au sein d’un monde interconnecté, les effets engendrés par les crashs monétaires ne se limitent pas au pays dans lequel ils surviennent. En 1994, la Chine décide de réformer son cadre de change étranger, d’unifier son système de taux de change multiples, et au passage de dévaluer le renminbi de 50 %. Plusieurs argumentations persuasives estiment que cette dévaluation chinoise aurait provoqué une perte de compétitivité pour la Thaïlande, la Corée, l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines, qui à l’époque disposaient d’une monnaie arrimée (ou semi-arrimée) au dollar américain. De manière cumulée, cette surévaluation contribuera en retour à poser les bases d’une crise asiatique survenue au milieu de l’année 1990.

Les taux de change surévalués comptent parmi les meilleurs et principaux indicateurs de crises financières. Ainsi ne peut-on s’empêcher de se demander si nous ne serions pas confrontés à un remake des événements observés entre 1994 et 1997 – à ceci près que les rôles sont cette fois-ci inversés. Depuis début 2014, le renminbi s’est apprécié de seulement 7,5 % par rapport au dollar, contre une dépréciation d’environ 25 % de l’euro au cours de cette période, sans même évoquer plusieurs fragilisations monétaires encore plus rapides sur de nombreux marchés émergents. Lorsqu’il est question d’une économie aussi dépendante du secteur manufacturier que la Chine, le lien entre surévaluation et croissance ne doit pas être sous-estimé.

L’annonce formulée par la Chine au mois d’août dernier, concernant son intention d’autoriser une modeste dépréciation pour en fin de compte orienter le renminbi vers une plus grande flexibilité du taux de change, a provoqué de véritables montagnes russes sur les marchés financiers. Afin de rassurer, les dirigeants politiques ont prononcé plusieurs déclarations selon lesquelles la Chine n’avancerait que progressivement dans cette direction. Mais peut-être la morale d’avertissement à tirer des crises asiatiques passées réside-t-elle dans le fait qu’une approche graduelle sur ce front s’accompagne de risques propres.

Bien entendu, les potentiels « effets de chacun pour soi » provoqués par le pic des crashs monétaires au cours des deux dernières années ne sont pas uniquement spécifiques à la Chine. Ils peuvent également concerner tout autre État maintenant un taux de change comparativement fixe (catégorie qui inclut plusieurs grands pays producteurs de pétrole).

Là où le cas de la Chine se distingue des autres, c’est par la taille de son économie comparée au PIB mondial, ainsi que par les effets qu’engendre cette économie sur de nombreux pays à travers différentes régions, qu’il s’agisse de fournisseurs de matières premières ou d’États dépendants des financements ou des investissements directs chinois. Plus largement, le constat est simple : les marchés émergents représentent aujourd’hui près de 60 % du PIB mondial, contre environ 35 % au début des années 1980. Le rétablissement d’une prospérité globale exige aujourd’hui une base géographique beaucoup plus étendue qu’à l’époque. Or, le retour des phénomènes d’effondrement monétaire rend cet objectif d’autant plus difficile à atteindre.

Carmen Reinhart is Professor of the International Financial System at Harvard University's Kennedy School of Government.

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Traduit de l’anglais par Martin Morel

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