
Le 15 avril 2025, le Centre international des conférences de Nouakchott a accueilli en grande pompe la quatrième édition du Salon national de l’emploi et de la formation professionnelle. Organisé sous l’égide de la Fédération des services affiliée à l’Union nationale du patronat mauritanien, avec le soutien des ministères de la Jeunesse, de l’Emploi et de la Formation professionnelle, ce salon s’est donné pour thème ambitieux : « L’employabilité des jeunes : défis et perspectives ».
Mais derrière les discours soigneusement calibrés et les bilans chiffrés abondamment cités, le flou demeure entier sur l’impact réel de ces initiatives successives, souvent plus proches de la communication politique que d’une politique de l’emploi structurée, durable et mesurable.
Un décor bien installé, mais des résultats encore timides
Au fil des interventions des ministres et des représentants du patronat, une conviction semble partagée : il faut impliquer le secteur privé, élargir l’offre de formation, adapter les politiques publiques à un marché de l’emploi mouvant. Autant d’objectifs louables… mais déjà maintes fois proclamés.
Le ministre de l’Emploi, Mohamed Abdallahi Ould Louli, a dressé une longue liste de projets : emploi de jeunes dans l’agriculture et la pêche, soutien à l’auto-emploi, programme "Machrou’i Mustaqbali", ou encore "Ma profession", avec des milliers de jeunes formés ou financés. Pourtant, ces chiffres, lancés comme autant de preuves d’efficacité, ne disent rien des conditions concrètes d’insertion, ni du taux de pérennisation des emplois créés.
Les projets pilotes cités — comme celui de 102 jeunes entrepreneurs agricoles à Rkiz et Mbagne, ou encore l’intégration de 300 jeunes dans la pêche artisanale — restent symboliques à l’échelle nationale. Leur démultiplication à l’échelle des besoins (des dizaines de milliers de jeunes sans emploi ou déscolarisés) relève pour l’instant de la déclaration d’intention, plus que d’une stratégie systémique.
Une stratégie morcelée, une absence de vision globale
Les ministres ont insisté sur l’importance d’une « stratégie tripartite » : créer des emplois dans les secteurs porteurs, soutenir l’auto-emploi dans les chaînes de valeur, et structurer des programmes d’accompagnement. Mais cette stratégie reste morcelée, sans articulation claire entre les formations, les besoins des entreprises et les politiques de développement.
Le chantier de la “mauritanisation” des emplois — bien que mentionné — est toujours confronté à des freins majeurs : absence de profil qualifié, dépendance à la main-d’œuvre étrangère dans des secteurs clés, et résistance de certains employeurs. La plateforme « Rukhsa » censée réguler l’accès aux emplois étrangers est un bon outil… encore faut-il qu’elle soit utilisée avec rigueur et transparence.
Le rôle du patronat : mobilisation sincère ou opportunisme conjoncturel ?
Le président du patronat, Mohamed Zein El Abidine Ould Cheikh Ahmed, a salué la coopération croissante entre public et privé. Il a rappelé les efforts du secteur privé dans la formation et l’emploi, évoquant des partenariats stratégiques avec l’État. Là encore, le discours est bien rodé, mais sur le terrain, de nombreuses entreprises peinent encore à s’engager pleinement dans la formation de jeunes sans expérience, privilégiant souvent la sous-traitance ou les recrutements temporaires à bas coût.
Quant à l’appel à « valoriser les métiers manuels » et à « changer les mentalités des jeunes », il revient comme une rengaine. Mais peut-on vraiment leur demander d’embrasser des métiers « dévalorisés » sans garantir un salaire digne, une protection sociale minimale et une perspective d’évolution professionnelle ?
Formation professionnelle : la vraie promesse à concrétiser
Le ministre de la Formation professionnelle, Mohamed Melainine Ould Eyih, a lui aussi livré un bilan flatteur de la première mandature présidentielle : triplement des places dans les centres de formation, plus de 50 000 jeunes formés, et un objectif de 115 000 formés d’ici 2030. Mais là encore, rien n’a été dit sur les débouchés réels de ces formations, ni sur leur adéquation avec les besoins locaux et régionaux.
Former pour former est devenu une habitude. Ce qui manque cruellement, ce sont les mécanismes de suivi post-formation, les partenariats engageants avec des entreprises, et surtout une orientation claire vers les filières d’avenir (numérique, énergies renouvelables, agriculture modernisée).
Ce quatrième salon national de l’emploi se veut être une plateforme de dialogue. Mais il risque fort, comme les éditions précédentes, de s’enliser dans un bavardage technocratique, sans remise en cause structurelle du système.
Les jeunes Mauritaniens attendent des résultats, pas des chiffres. Ils attendent des perspectives, pas des salons. Ce n’est pas une photo avec un badge autour du cou qui crée un emploi, mais une politique cohérente, honnête, et suivie dans le temps.
Tant que l’on continuera à célébrer l’apparence d’une solution sans oser affronter les vraies causes du chômage et de l’exclusion — inégalités sociales, faible attractivité des secteurs productifs, échec du système éducatif, inertie de l’administration — la jeunesse continuera d’applaudir… de loin.
Cette cérémonie de plus n’est qu’un écran de fumée. Derrière, le chômage des jeunes reste massif, structurel, et ignoré. La mise en scène continue. Le changement, lui, attend toujours.