Mauritanie – Une nouvelle stratégie de la Banque mondiale : promesses, illusions et angles morts d’un partenariat “orienté emploi” | Mauriweb

Mauritanie – Une nouvelle stratégie de la Banque mondiale : promesses, illusions et angles morts d’un partenariat “orienté emploi”

jeu, 27/11/2025 - 12:14

Le 26 novembre 2025, le Groupe de la Banque mondiale a présenté avec emphase un nouveau Cadre de Partenariat-pays (CPF) pour la Mauritanie, couvrant la période 2026-2030. Une stratégie « centrée sur l’emploi », « alignée sur la SCAPP », « axée sur la résilience » : les mots sont soigneusement choisis, calibrés pour rassurer bailleurs, investisseurs et gouvernements. Mais derrière la rhétorique consensuelle d’un document de bonne intention se profilent les mêmes ambiguïtés, les mêmes impensés, et les mêmes écarts persistants entre ambition internationale et capacité réelle de mise en œuvre.

La Banque mondiale annonce quatre priorités :

  1. Plus d’emplois et de meilleure qualité
  2. Des institutions renforcées
  3. Des communautés mieux connectées
  4. Une population plus résiliente

Tous les cadres stratégiques dédiés à la Mauritanie depuis vingt ans contiennent exactement ces mots-clés. Diversification, gouvernance, inclusion, résilience climatique : la terminologie évolue peu, les diagnostics non plus. Le paradoxe reste entier : la Mauritanie est l’un des pays les plus “stratégiquement accompagnés” d’Afrique, mais l’un des moins transformés structurellement.

Le CPF se veut le catalyseur d’une économie « plus diversifiée, compétitive et résiliente ». Mais diversifier à partir de quoi ?

  • Un secteur extractif qui représente plus de 30 % des recettes fiscales, mais génère très peu d’emplois locaux.
  • Une agriculture dépendante de pluies imprévisibles, sans infrastructures modernes.
  • Une industrie embryonnaire.
  • Un secteur privé fragile, largement dominé par des monopoles familiaux.

Le document de la Banque mondiale ne s’interroge jamais sur la nature même du tissu productif, ni sur la manière dont les acteurs dominants continueront — ou non — à capter les opportunités offertes par le partenariat.

La stratégie affiche l’emploi comme colonne vertébrale. Mais les chiffres sont têtus :

  • Moins de 15 % des jeunes occupent un emploi formel.
  • La formation professionnelle demeure déconnectée du marché.
  • Les projets d’appui au secteur privé se heurtent à la faible compétitivité locale.

Promouvoir la formation en partenariat avec l’industrie est une excellente formule — mais encore faut-il une industrie réelle, non quelques enclaves minières pilotées depuis l’étranger.

Le CPF parle de gouvernance, de gestion des finances publiques, de décentralisation. Mais l’expérience montre que les réformes structurelles échouent moins par manque d’expertise technique que par absence de volonté politique, fragmentation institutionnelle et résistances internes.
Les bailleurs le savent mais préfèrent éviter frontalement la question.

Pastoralisme durable, eau, résilience côtière : des thèmes indispensables. Mais la Mauritanie reste l’un des pays les plus exposés au changement climatique, avec :

  • une urbanisation chaotique,
  • des zones côtières sous-équipées,
  • un pastoralisme menacé par l’extension des surfaces minières,
  • des politiques publiques peu anticipatrices.

Le CPF, ici encore, décrit des solutions sans affronter le problème central : la faiblesse chronique de l’État à planifier, contrôler et protéger ses espaces naturels.

La Banque mondiale insiste sur la synergie au sein du Groupe :

  • IDA pour les financements souverains,
  • IFC pour attirer le secteur privé,
  • MIGA pour couvrir les risques.

Mais cette architecture repose sur une hypothèse fragile : que le secteur privé international affluera dès lors que les risques seront couverts. Or la Mauritanie souffre moins d’un problème de risque que :

  • d’un marché intérieur trop étroit,
  • de coûts logistiques insoutenables,
  • d’un manque de main-d’œuvre qualifiée,
  • d’une faible lisibilité des politiques publiques.

Il faudra plus que des garanties de MIGA pour transformer un secteur privé structurellement sous-dimensionné.

Aucune mention sérieuse des fractures sociales :

  • 28 % de la population en pauvreté multidimensionnelle,
  • un accès inégal aux services (éducation, santé, eau),
  • des disparités territoriales extrêmes.

La promesse de « résilience » ne compense pas l’absence d’une réflexion sur les inégalités socio-spatiales, pourtant au cœur de la stabilité du pays.

 

La stratégie 2026-2030 du Groupe de la Banque mondiale coche toutes les cases. Elle est cohérente, bien écrite, rassurante. Mais elle reflète surtout une logique d’accompagnement sans conflit, qui évite soigneusement de questionner les rapports de pouvoir, les pesanteurs administratives, et les résistances internes qui bloquent les réformes depuis des années.

Pour que ce CPF soit plus qu’un document de communication internationale, il faudrait :

  • une stratégie assumée de transformation du secteur public ;
  • une lutte réelle contre les monopoles économiques ;
  • une réforme structurelle de la formation professionnelle ;
  • un plan d’adaptation climatique qui dépasse les projets pilotes ;
  • et un engagement ferme pour réduire les inégalités régionales.

Sans cela, la Mauritanie continuera d’accumuler les stratégies ambitieuses… et de repousser la transformation systémique dont elle a réellement besoin.