
En Mauritanie, l’octroi de visas est en train de devenir un terrain où la souveraineté nationale se dissout dans une zone grise. Certes, le visa reste du ressort exclusif de chaque pays. Mais lorsqu’une mission diplomatique opère sur le sol mauritanien, elle devrait s’astreindre à un cadre fixé par l’État hôte. Or, le constat est amer : les ambassades semblent agir à leur guise, sans encadrement ni contrepoids, avec des pratiques qui frôlent l’abus.
Ce laisser-faire s’explique par l’attitude pour le moins passive du ministère mauritanien des Affaires étrangères. Normalement garant du respect des usages diplomatiques et protecteur des citoyens face aux abus consulaires, le département semble avoir démissionné de ce rôle. Son absence se traduit par une tolérance coupable, qui permet aux représentations étrangères de dicter leurs propres règles sans craindre le moindre rappel à l’ordre.
En d’autres termes, le ministère, censé défendre la souveraineté de l’État dans ses rapports extérieurs, s’est mué en simple spectateur. Or, dans le domaine hautement sensible des visas – qui touche directement à la dignité et à la liberté de circulation des citoyens –, cette abdication est perçue comme un abandon pur et simple de ses prérogatives.
Le cas turc : l’euro imposé
À Nouakchott, l’ambassade de Turquie exige que les frais de visa soient réglés exclusivement en euros. Une disposition totalement contraire aux réglementations mauritaniennes, qui interdisent toute transaction en devises étrangères pour des opérations locales. Comment comprendre que, sur le territoire national, une chancellerie impose une monnaie étrangère au mépris des règles en vigueur ?
Le cas marocain : la tribu comme critère
L’ambassade du Maroc, quant à elle, pousse l’ingérence plus loin : son formulaire de demande de visa oblige les requérants à indiquer leur appartenance tribale. Une exigence choquante, puisque la législation mauritanienne ne reconnaît aucune appartenance de ce type et que la Constitution s’efforce au contraire de combattre le tribalisme. Comment accepter qu’une représentation étrangère réintroduise par la petite porte ce que l’État tente d’éradiquer ?
Le cas américain : des frais exorbitants pour un refus express
À l’ambassade des États-Unis, les demandeurs doivent s’acquitter de frais de visa particulièrement élevés. Officiellement, ces sommes couvriraient « les frais de recherche et de documentation ». Mais chacun sait que, dans la majorité des cas, la décision – négative – tombe en quelques minutes, sans véritable instruction. Le sentiment d’une ponction injustifiée est largement partagé.
Le cas espagnol : un marché de rendez-vous
L’Espagne a externalisé la collecte des dossiers à une société privée. En théorie, un moyen de moderniser le service. En pratique, la corruption gangrène le système : obtenir un rendez-vous passe quasi obligatoirement par un intermédiaire, moyennant finance. La légitimité et la transparence s’en trouvent piétinées. Et les lignes téléphoniques mises à disposition continuent à sonner dans le vide.
Le cas français : l’attente indigne
Enfin, l’ambassade de France persiste dans une pratique humiliante : des files interminables de demandeurs, contraints d’attendre sous les arbres, dans la rue, parfois des heures durant. Un traitement qui bafoue la dignité de citoyens venus simplement exercer un droit de mobilité.
Où est l’État ?
L’enjeu dépasse la simple gestion des visas. Il s’agit de restaurer l’autorité de l’État mauritanien face à des pratiques étrangères qui, en l’absence de garde-fous, sapent la souveraineté nationale et dégradent l’image du pays. Il est urgent que le ministère reprenne ses responsabilités : fixer des normes, veiller à leur application, et rappeler aux chancelleries que le respect mutuel commence par celui des lois et des citoyens de l’État hôte.
Faute de quoi, la délivrance des visas restera un espace de dérégulation, de marchandage et de mépris – et le ministère, par son inaction, portera la responsabilité d’une abdication silencieuse de souveraineté.