Alors que le président Aziz quitte le pouvoir début aout pour laisser la place à son successeur élu, le général Ghazouani, la répression est brutale en Mauritanie pour briser la contestation qui a marqué les lendemains de l’élection présidentielle du 22 juin.
Les autorités mauritaniennes ont détenu au moins trois personnalités de l’opposition sans chef d’accusation, manifestement dans le cadre d’efforts visant à étouffer la contestation du résultat de l’élection présidentielle du 22 juin, a déclaré lONG Human Rights Watch. Les autorités ont également bloqué Internet et arrêté des dizaines de militants de l’opposition.
Selon les résultats officiels, qualifiés de frauduleux par quatre candidats de l’opposition, Mohamed Ould Ghazouani a remporté 52 % des voix, s’évitant ainsi un second tour. Le président sortant, Mohamed Ould Abdel Aziz, qui a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État en 2008 et remporté les élections de 2009 et 2014, a publiquement soutenu la candidature de d’Ould Ghazouani, l’ancien ministre de la Défense.
« En coupant l’internet et en incarcérant les sympathisants de l’opposition, les autorités mauritaniennes donnent l’impression de vouloir réprimer toute contestation des résultats des élections », a déclaré Lama Fakih, directrice adjointe de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.La constitution mauritanienne interdisait à Abdel Aziz de briguer un troisième mandat.
Une centaine d’arrestations
Les manifestations ont éclaté le 23 juin, après qu’Ould Ghazouani a proclamé sa victoire sur la base de résultats partiels. Des affrontements avec les forces de sécurité ont été signalés dans certaines zones, notamment dans le centre de Nouakchott, la capitale. Le ministre de l’Intérieur, Ahmedou Ould Abdallah, a annoncé le 25 juin que les autorités avaient arrêté une centaine d’individus qu’il a qualifiés d’étrangers liés à des candidats de l’opposition et accusées de vouloir déstabiliser le pays. Les activistes de l’opposition interrogés par Human Rights Watch ont assuré que bon nombre de personnes arrêtées étaient mauritaniennes, mais ils ignoraient le nombre réel d’arrestations.
Le gouvernement aurait commencé à bloquer l’accès à internet sur mobile le 23 juin, selon Reporters sans frontières et des sources mauritaniennes. Le 25 juin, les lignes de téléphone fixe par Internet ont également cessé de fonctionner, ont précisé ces mêmes sources, avant d’être rétablies dans certaines entreprises. L’accès à Internet a été entièrement rétabli le 3 juillet. Selon les médias locaux et l’agence de presse d’Etat, les autorités ont déclaré que l’interruption était nécessaire pour des raisons de sécurité.
Les Mauritaniens comptent beaucoup sur Internet pour accéder aux médias – en particulier les alternatives aux chaînes de télévision et de radio d’État – et pour communiquer avec leurs familles et leurs amis à l’étranger. Ils se connectent massivement via les services de téléphonie mobile par Internet.
Les autorités ont arrêté deux journalistes et un militant politique lié à des candidats de l’opposition. Les trois hommes ont été détenus pendant une semaine environ, sans chef d’accusation ni de raisons clairement énoncées, selon leurs déclarations à Human Rights Watch, corroborées par un avocat qui les représente, Brahim Ebety.
Les autorités ont arrêté l’activiste Samba Thiam le 25 juin à son domicile à Nouakchott. Thiam est le fondateur du parti Forces progressistes pour le changement (FPC), que les autorités ont jusqu’ici refusé de reconnaître. Il est aussi activiste au sein de la coalition VIVRE ENSEMBLE (CVE), dont la candidate, Kane Hamidou Baba, est arrivée en quatrième position du scrutin. Le 23 juin, Thiam a publiquement lancé des accusations de fraude électorale sur sa page Facebook, dénonçant la répression excessive des manifestations par les autorités.
Thiam a déclaré à Human Rights Watch que les autorités lui avaient confisqué ses cinq téléphones, deux ordinateurs, des clés USB et divers documents. Il a pu récupérer le dernier de ces articles le 16 juillet. Thiam a déclaré que les autorités lui avaient demandé de s’engager par écrit à renoncer aux activités et aux déclarations incitant à la violence et aux opinions extrêmes, un comportement qu’il a nié avoir jamais eu, avant de le relâcher le 3 juillet en l’absence d’inculpation.
Les autorités mauritaniennes ont déjà eu recours à des lois à la formulation très vague, notamment contre la violence et la haine raciales, pour poursuivre en justice ceux qui dénoncent l’esclavage et les inégalités raciales.
Seidi Moussa Camara, journaliste, a déclaré à Human Rights Watch que des agents de sécurité en tenue civile l’avaient arrêté chez lui à Nouakchott le 26 juin, confisquant son passeport, divers documents, trois ordinateurs, deux téléphones portables et le téléphone de six autres personnes. Camara est un allié de l’Initiative pour la Résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), dont le dirigeant, Biram Dah Abeid, a fini en deuxième position lors du scrutin. Il critiqueles autorités dans le quotidien La Nouvelle Expression, qu’il a fondé en 1999.
Selon Camara, les autorités l’ont arrêté et placé en détention dans les locaux d’une brigade antiterroriste, où il a été interrogé principalement sur son activisme et ses contacts de journaliste. Il a été transféré au siège de la Direction de la sécurité de l’État à Nouakchott le 30 juin et remis en liberté en l’absence de chef d’inculpation le 3 juillet, a-t-il précisé. Il a indiqué que tous les biens qui lui avaient été confisqués lui ont été restitués.
Le 3 juillet, tôt dans la matinée, des agents de la sécurité ont arrêté Ahmedou Ould Wedia, célèbre journaliste de la chaîne de télévision mauritanienne Al-Mourabitoun, à son domicile de Nouakchott. Ould Wedia appartiendrait au parti d’opposition Tawassoul, dont le candidat, Sidi Mohamed Ould Boubacar, est arrivé troisième au scrutin présidentiel. Le 11 juillet, un procureur de Nouakchott a interrogé ce dernier et a ordonné son maintien en détention sans préciser les raisons de cette décision, a déclaré son avocat Ebety. Le 15 juillet, Ould Wedia a été remis en liberté en l’absence de chef d’inculpation.
Si les autorités ont relâché certaines des personnes arrêtées dans le cadre de manifestations postélectorales, elles ont maintenu en détention plusieurs autres, notamment pour avoir pris part à des manifestations non autorisées, endommagé des biens publics et troublé l’ordre public, ont expliqué des activistes. Les tribunaux ont condamné au moins 13 des personnes arrêtées à des peines allant jusqu’à six mois d’emprisonnement pour ces infractions ou des infractions similaires.
Le 9 juillet, un tribunal régional de Kaédi, une ville située en bordure du fleuve Sénégal, a condamné les activistes du CVE Amadou Mamoudou Athie, Oumar Doro Sy, Mamadou Abou Diallo, Abou Lomé, Amadou Koumba, ainsi qu’un activiste de l’IRA, Moussa Diobayrou Konate, à six mois de prison ferme, dont quatre avec sursis et à une amende de 2 000 ouguiyas (soit 54 dollars) pour avoir illégalement organisé un rassemblement, endommagé des biens et provoqué des troubles de l’ordre public.
Les six hommes ont été arrêtés le 25 juin dans la ville de Rindiaw, a déclaré Fatimata Konte, une activiste du FPC et de la CVE, qui documente ces arrestations dans la région. Le tribunal a acquitté quatre autres activistes de CVE de Rindiaw lors de la même procédure. Tous ont nié les accusations portées contre eux et comparu devant un tribunal, a déclaré Konte.
Le 16 juillet, le tribunal de Kaedi a également poursuivi un activiste de la CVE, Ghaly Sall, et les membres de l’IRA Abou Modi Diongue, Ibrahima Kane, Amadou Ousmane Día, Ismail Thimbo, Sidi Ould Brahim, Bakar Ould Bowa, Kader Bocoum et Youba Ould Hamed, tous originaires de la ville de Lexaiba, pour avoir pris part à une manifestation illégale, incendié le bureau du maire, endommagé des biens et agressé des policiers. Tous ont plaidé non coupable et déclaré lors d’une audience le 11 juillet que la police les avait enchaînés dans des positions de stress et empêchés de dormir, a déclaré Konte, qui a assisté à l’audience.
Les autorités d’Aleg, à l’est de Nouakchott, ont arrêté les activistes de la CVE Oumar Bachir Dia, Adama Souleymane Bass, Mamadou Hamadi Niang, Ali Amadou Ba et Abdoul Gueye, qui ont été accusés d’avoir pris part à une manifestation non autorisée et de s’être livrés à des actes de désobéissance vis-à-vis des autorités, a déclaré Konté, qui s’est entretenu avec les cinq hommes à la prison d’Aleg.
Le 11 juillet, un tribunal de Nouakchott a condamné sept activistes du CVE et de l’IRA à six mois de prison pour participation à une manifestation non autorisée, vandalisme, incitation à la haine raciale, dommages à la propriété d’autrui et à l’héritage national et résistance aux forces de l’ordre, a déclaré Balla Touré, cofondateur et activiste de l’IRA. Tous ont nié les accusations, a-t-il dit. Au 20 juillet, les autorités de la ville de Nouadhibou détenaient 13 hommes que Touré a décrits comme des militants de l’opposition sur les mêmes accusations, qu’ils ont tous niées.
mondafrique