(Tunis) – Les autorités mauritaniennes devraient délivrer dans les meilleurs délais un passeport à un ancien détenu de Guantanamo Bay ou expliquer les bases juridiques sur lesquelles se fondent l’interdiction de voyager qui lui a été imposée, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
Après avoir été détenu plus de 14 ans en Jordanie, en Afghanistan et à Guantanamo, Mohamedou Ould Slahi, auteur d’un célèbre livre de souvenirs sur son incarcération, a été remis en liberté par les États-Unis. Il a ensuite été renvoyé dans son pays, la Mauritanie, où l’exercice de ses droits semble faire l’objet de restrictions arbitraires.
« Apparemment il ne suffisait pas que les États-Unis détiennent Mohamedou Ould Slahi en l’absence de chefs d’inculpation pendant 14 ans », a déclaré Lama Fakih, directrice par intérim de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.« Maintenant, son propre gouvernement le prive de ses droits sans porter la moindre accusation contre lui. »
Ould Slahi a déclaré à Human Rights Watch qu’il souffrait de maux de dos et de douleurs consécutives à l’ablation de sa vésicule biliaire à Guantanamo. En l’absence de passeport, Ould Slahi, qui ne possède aucune autre nationalité, ne peut se rendre à l’étranger pour y suivre un traitement médical qui, selon lui, n’est pas disponible en Mauritanie.
En 2001, Ould Slahi s’est rendu aux autorités mauritaniennes pour y être interrogé sur des questions relatives à des actes de terrorisme. Il a été manifestement remis aux services de renseignement jordaniens, qui l’ont détenu dans une prison jordanienne, avant d’être transféré aux États-Unis, sur la base aérienne de Baghram en Afghanistan. En août 2002, les autorités américaines l’ont placé à Guantanamo Bay.
En 2015, alors qu’il était toujours en détention, il a publié son journal Guantanamo Diary (« Les Carnets de Guantanamo »), dont les autorités américaines ont autorisé la publication après avoir supprimé de nombreux passages. Le livre fait état d’abus physiques et psychologiques, principalement subis aux mains des autorités américaines, dont Ould Slahi affirme avoir été victime. Cet ouvrage a été traduit dans de nombreuses langues et publié dans plus de 25 pays. En 2017, après sa libération, Slahi a fait publier une réédition, qui rétablit les passages expurgés.
En juillet 2016, un comité d’examen américain a approuvé la libération d’Ould Slahi, et il a été conduit en Mauritanie en octobre, alors qu’il n’avait plus de passeport ni de documents d’identité mauritaniens. À son arrivée, les agents de la sécurité mauritaniens lui ont indiqué que, à la demande des États-Unis, il n’obtiendrait pas de passeport avant deux ans, a-t-il déclaré à Human Rights Watch.
Un article du New Yorker en date du 15 avril 2019 cite un diplomate américain anonyme qui aurait déclaré que la Mauritanie aurait convenu avec les États-Unis de ne pas accorder de passeport à Ould Slahi avant l’expiration d’un délai non divulgué depuis son départ de Guantanamo Bay.
Plusieurs semaines après son retour, Ould Slahi a demandé une nouvelle carte d’identité nationale, première étape vers l’obtention d’autres documents d’état civil essentiels, notamment un passeport. Il n’a pas reçu de carte avant juillet 2017, a-t-il indiqué.
Ould Slahi a officiellement fait la demande d’un passeport à Nouakchott, la capitale mauritanienne, le 2 janvier 2019. Ould Slahi et son avocat, Brahim
Ebety, ont déclaré qu’aucun passeport ne lui avait été délivré, pas plus que de réponse à sa demande.
Le 25 février, Ebety a pétitionné le ministère de l’Intérieur, affirmant qu’Ould Slahi avait droit à un passeport et demandant qu’il soit ordonné aux services d’état-civil de lui en délivrer un. Le ministère n’a donné aucune suite à sa demande, selon Ebety.
Le 13 mai, Human Rights Watch a écrit aux autorités mauritaniennes pour leur demander de préciser l’état-civil d’Ould Slahi et la base juridique sur laquelle celles-ci se fondent pour ne pas donner suite à sa demande de passeport. Au moment de la diffusion de ce communiqué, aucune réponse n’avait été reçue.
L’article 10 de la Constitution mauritanienne garantit le droit des citoyens d’entrer et de sortir librement du pays. L’article 12 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantissent le même droit, sous réserve des restrictions prévues par la loi. La Mauritanie est partie à ces deux instruments juridiques.
Ould Slahi est né à Rosso, dans le sud de la Mauritanie, et a grandi à Nouakchott. Après le lycée, il a obtenu une bourse pour faire des études d’ingénieur en Allemagne, où il a vécu, ainsi qu’au Canada et en Mauritanie avant sa détention en 2001. Au début des années 90, il a rejoint les forces moudjahidines afghanes pour soutenir leur combat contre le gouvernement afghan appuyé par les Soviétiques. À cette époque, il avait prêté allégeance à Al-Qaïda, mais avait déclaré avoir rompu tous liens avec l’organisation en 1992, l’année de sa dernière visite dans le pays. Ould Slahi est marié et père d’un jeune fils.
« La liberté de voyager est un droit fondamental », a conclu Lama Fakih. « Si le gouvernement a un motif légitime de refuser la délivrance d’un passeport à l’un de ses citoyens, il doit fournir par écrit une raison convaincante et permettre à l’individu concerné de la contester. »
Source: HRW