Des milliers de Soudanais réclament la démission du président Omar Al-Bachir et demandent à l’armée de rejoindre leur mouvement.
Au Soudan, l’armée a promis, jeudi 11 avril, une « déclaration importante bientôt », déclenchant de nouvelles scènes de liesse devant le quartier général des militaires à Khartoum, où des milliers de manifestants réclament depuis des jours le départ d’Omar Al-Bachir. La télévision nationale a interrompu ses programmes, tôt jeudi, pour diffuser en boucle des chants patriotiques et militaires. « Importante annonce des forces armées sous peu », pouvait-on lire sur un bandeau figé en bas de l’écran.
Dans les premières heures de jeudi, plusieurs véhicules militaires transportant des troupes sont entrés dans ce complexe qui abrite le siège de l’armée mais aussi le ministère de la défense et la résidence officielle du président Al-Bachir, ont déclaré des témoins à l’AFP. L’armée est déployée dans de nombreuses rues de la capitale, ainsi que des membres du groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide.
« Le régime est tombé, le régime est tombé ! », scandent les milliers de manifestants qui campent devant le QG des forces militaires et brandissent des drapeaux soudanais. Les habitants de la capitale sont appelés à rejoindre massivement cette foule réunie pour le sixième jour consécutif devant le siège de l’armée, ont fait savoir les organisateurs de la contestation. De nombreuses personnes se dirigent vers le QG en voitures, bus et vans, sur fond de klaxons. Des femmes rassemblées devant ce site lancent des youyous.
Ces milliers de Soudanais réclament la démission du président Al-Bachir, 75 ans, au pouvoir depuis trois décennies, et demandent à l’armée de rejoindre leur mouvement. Mercredi soir, le parti du Congrès national (NCP), du président Al-Béchir, a reporté sine die un rassemblement de soutien au chef de l’Etat prévu jeudi à Khartoum.
« Il semble que la police soit avec nous »
La foule déterminée avait défié le régime, toute la journée de mercredi, devant ce siège de l’armée, dont les intentions, tout comme celles de la police, restent à confirmer. « Nous attendons de grandes nouvelles. Nous ne partirons pas d’ici tant que nous ne saurons pas ce que c’est, a indiqué à l’AFP un manifestant devant le QG de l’armée. Mais nous savons qu’Al-Bachir doit partir. Nous en avons assez de ce régime. Trente ans de répression, de corruption, d’abus de droits, c’est assez. »
Depuis samedi, les manifestants ont essuyé à plusieurs reprises les assauts du puissant service de renseignement NISS, qui a tenté en vain de les disperser à coups de gaz lacrymogène, selon les organisateurs du rassemblement. Mardi, onze personnes, dont six membres des forces de sécurité, ont été tuées lors de manifestations à Khartoum, a rapporté mercredi le porte-parole du gouvernement, Hassan Ismail, sans préciser les circonstances de leur mort, d’après l’agence officielle Suna. En tout, 49 personnes sont mortes dans des violences liées aux manifestations depuis que ces rassemblements ont commencé en décembre, de sources officielles.
Agitant des drapeaux nationaux et entonnant des chansons révolutionnaires, les contestataires ont appelé l’armée à rejoindre leur mouvement de contestation, né en décembre mais qui a connu un net regain de mobilisation samedi.
Aucune tentative de dispersion n’a été rapportée pour la journée de mercredi. « Il semble que la police soit avec nous aussi », a estimé un manifestant. Mardi, la police avait annoncé avoir ordonné à ses forces de ne pas intervenir contre les contestataires. Elle a aussi dit vouloir l’union du « peuple soudanais […] pour un accord qui soutiendrait un transfert pacifique du pouvoir ». Concernant les militaires, le général Kamal Abdelmarouf, chef d’état-major de l’armée, avait précisé lundi que celle-ci continuait « d’obéir à sa responsabilité de protéger les citoyens ».
L’appel des capitales occidentales
L’étincelle de la contestation a été la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, le 19 décembre. A travers le pays, des milliers de Soudanais ont appelé au départ de M. Al-Bachir. Le président a tenté de réprimer la contestation par la force, puis a instauré le 22 février l’état d’urgence à l’échelle nationale.
Mardi, des capitales occidentales ont appelé les autorités à répondre aux revendications « d’une façon sérieuse ». Le pouvoir doit proposer « un plan de transition politique crédible », ont écrit les ambassades des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Norvège dans un communiqué conjoint à Khartoum. Mercredi, Washington a exhorté le pouvoir à respecter le droit de manifester. « Nous appelons le gouvernement du Soudan à respecter les droits de tous les Soudanais à exprimer leurs doléances pacifiquement », a tweeté Tibor Nagy, secrétaire d’Etat adjoint chargé de l’Afrique.
Notre correspondant régional, Jean-Philippe Rémy (www.lemonde.fr)