(Tunis, le 30 mars 2019) – Les autorités mauritaniennes devraient libérer deux blogueurs arrêtés le 22 mars 2019 et abandonner toutes les accusations liées à leurs propos pacifiques, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les blogueurs, Abderrahmane Weddady et Cheikh Ould Jiddou, sont connus pour leurs écrits critiques à l’égard des dirigeants de Mauritanie, y compris au sujet d’allégations spécifiques portant sur des actes illégaux qu’aurait commis le président Mohamed Ould Abdel Aziz.
Le jour des arrestations, le ministère public a déclaré qu’il enquêtait sur des personnes qui avaient sciemment diffusé des informations erronées. Le 27 mars, un procureur de Nouakchott, la capitale, a inculpé Weddady et Ould Jiddou de diffamation et un juge les a envoyés en prison en attendant de nouvelles audiences, a déclaré Brahim Ebaty, un des avocats défendant les deux hommes.
« Selon toute évidence, dans cette affaire, c’est au messager que l’on s’en prend », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Un pays qui se considère comme démocratique ne devrait pas envoyer les gens en prison parce qu’ils ont publié des informations d’intérêt public, même si elles sont contestées ou discutables. »
Weddady est un entrepreneur du bâtiment, ancien journaliste et ancien militant du parti Rassemblement des forces démocratiques, qui vit à Nouakchott. Sa page Facebook est largement suivie, ont rapporté les membres de sa famille.
Depuis 2016, Weddady enquête et écrit sur un système présumé permettant d’acquérir de manière frauduleuse des titres de propriété de milliers de Mauritaniens afin de les revendre, a expliqué son frère Nasser à Human Rights Watch. Les auteurs de cette combine sont réputés proches des dirigeants politiques du pays.
Ould Jiddou, également de Nouakchott, est un consultant juridique, ancien militant d’un parti d’opposition, qui se montre critique envers le gouvernement, principalement sur sa page Facebook, a déclaré son épouse, Zainab Mint Bally. Lui aussi avait écrit sur sa page au sujet de l’arnaque présumée sur la propriété, a-t-elle déclaré.
Lors des dernières semaines, des allégations ont surgi sur Internet et dans les médias arabophones, portant sur des fortunes supposées mal acquises d’origine mauritanienne, détenues dans une banque de Dubaï et gelées par les autorités émiraties, a déclaré Nasser Weddady. Des membres de la famille des deux blogueurs ont déclaré qu’ils avaient écrit sur la question sur leurs pages Facebook.
Début mars, les médias mauritaniens ont rapporté que la brigade de la police nationale spécialisée dans les crimes financiers ouvrait une enquête sur ces allégations et avaient l’intention d’interroger des journalistes et des blogueurs, dont Weddady et Ould Jiddou.
Le 7 mars, les policiers chargés des crimes financiers ont convoqué Weddady et Ould Jiddou à leur quartier général, les ont questionnés sur leurs écrits sur les comptes bancaires supposés et ont confisqué leurs cartes nationales d’identité et passeports, ont déclaré leurs proches ainsi que Mohamed Ould Moine, un avocat de Nouakchott représentant les deux hommes.
Le 22 mars, la brigade des crimes financiers a à nouveau convoqué les hommes et les a arrêtés, ont déclaré les membres de leur famille et Ould Moine. Le même jour, le ministère public mauritanien a déclaré dans un communiqué que les autorités mauritaniennes avaient déterminé que l’histoire des fonds illicites gelés était inexacte et qu’elles enquêteraient sur les personnes qui – selon ses accusations – avaient sciemment diffusé ces fausses informations.
Les autorités mauritaniennes se servent de lois pénalisant la diffamation, la diffusion de « fausses informations », le terrorisme, la cybercriminalité et le blasphème afin de poursuivre et d’emprisonner des défenseurs des droits humains, des activistes, des blogueurs et des opposants politiques. Elles sont également connues pour avoir, par le passé, maintenu des détracteurs du gouvernement dans l’incertitude légale grâce à de longues périodes de détention provisoire, de contrôle judiciaire et, dans le cas d’un autre blogueur, Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir, récemment condamné à mort pour blasphème, de détention extrajudiciaire.
Ould Moine a déclaré le 25 mars qu’il avait été autorisé à rendre visite aux accusés chaque jour au quartier général de la brigade des crimes financiers, pendant quelques minutes, mais jamais en privé. Le soir des arrestations, les policiers sont apparus sans prévenir aux domiciles des deux hommes et les ont fouillés, ont déclaré leurs proches.
Mint Bally a déclaré à Human Rights Watch que trois policiers en civil étaient arrivés tard dans la soirée avec Ould Jiddou, avaient fouillé leur chambre puis étaient repartis. Au même moment, des policiers montés dans trois véhicules ont emmené Weddady au domicile de ses parents afin de récupérer des clés de chez lui, qu’ils ont finalement obtenues en convoquant un de ses frères par téléphone. Ils ont fouillé la maison de Weddady et ont confisqué son ordinateur et son écran, a déclaré son épouse, Melika Mohamed Lemin.
Le 26 mars, les autorités ont transféré les deux hommes dans un poste de police, a déclaré Mint Bally, qui a rapporté qu’elle s’y était rendue ce soir-là et avait été autorisée à parler brièvement avec eux, mais pas en privé.
Le 27, un procureur du tribunal de Nouakchott Ouest les a interrogés sur leurs écrits sur les fonds supposés des Émirats et les a inculpés de diffamation en vertu de l’article 348 du code pénal, qui prévoit une peine de six mois à cinq ans de prison, a déclaré Ebaty, qui assistait à l’audience. Un juge a questionné les deux hommes sur le même sujet et les a renvoyés en détention en attendant la prochaine audience, a rapporté Ebaty. À la date du 28 mars, ils étaient détenus à la prison centrale de Nouakchott, a-t-il déclaré.
« Les autorités mauritaniennes devraient libérer immédiatement ces deux blogueurs, qui sont clairement détenus pour des actes d’expression pacifiques », a conclu Sarah Leah Whitson. « Les plaintes de diffamation doivent être examinées par un tribunal indépendant dans le cadre d’une action en justice civile, et non pas d’un procès criminel. »
Human Right Watch