Jeune Afrique - Très attendu, le nouveau gouvernement ne marque pas vraiment un tournant dans le mandat du président Ghazouani. Décryptage du dernier mercato politique mauritanien.
Il n’y aura finalement pas eu de rupture. Le nouveau gouvernement, annoncé le 31 mars, ne marque pas un tournant dans le mandat de Mohamed Ould Ghazouani. Face au mécontentement des Mauritaniens, qui déplorent, entre autres, la flambée des prix, et à celui d’une partie de sa majorité, le chef de l’État était sous pression depuis plusieurs mois.
Fin mars, il avait pourtant prononcé un discours devant l’École nationale d’administration dans lequel il annonçait d’importants changements.
Limogeages surprenants…
Or, alors que plusieurs potentiels successeurs étaient déjà pressentis, le Premier ministre, Mohamed Ould Bilal Messoud, nommé en août 2020, a été reconduit. Le départ qui retient le plus l’attention est celui du ministre des Affaires étrangères, Ismail Ould Cheikh Ahmed. Déjà en poste sous l’ancien président Mohamed Ould Abdelaziz, il a dernièrement eu à gérer d’épineux dossiers, comme l’assassinat de ressortissants mauritaniens au Mali. Il a été nommé, ce 1er avril, directeur de cabinet du président.
Mais d’autres limogeages, certes de personnalités moins en vue, ont créé la surprise à Nouakchott, comme ceux du populaire Taleb Ould Sid’Ahmed (Emploi) et de Mariem Bekaye (Environnement), qui aurait fait les frais d’une brouille avec le secrétaire général de son ministère. Ou encore celui d’Amal Sidi Cheikh Abdallahi, la fille de l’ancien président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, devenue ministre de l’Enseignement supérieur en 2021.
Au secrétariat général de la présidence, arrive un homme que l’on n’attendait pas : Yayha Ould Ahmed Wagef. Ancien Premier ministre de « Sidi », il fut le patron du parti Adil, absorbé par l’Union pour la République (UPR, au pouvoir), dont il était jusqu’ici le vice-président. Aurait-il pu s’entendre avec Mohamed Ahmed Ould Lemine ? Voire !
Cousin et puissant directeur de cabinet d’Ould Ghazouani, ce dernier est en tout cas promu ministre de l’Intérieur. Un poste que ce préfet de carrière a déjà occupé lors de la transition d’Ely Ould Mohamed Vall (2005-2007). Une nomination inattendue tant il paraissait improbable que le chef de l’État pût se séparer de son parent, dont il est très proche et qu’il sollicitait quotidiennement.
À l’Intérieur, cet ancien ambassadeur au Mali remplace l’indéboulonnable Mohamed Salem Ould Merzoug… qui hérite du portefeuille des Affaires étrangères. Les postes clés restent en effet occupés par des piliers du gouvernement : Mohamed Mahmoud Ould Cheikh Abdoullah Ould Boya (Justice), fils du très influent cheikh Abdallah Bin Bayyah ; Hanana Ould Sidi (Défense), un intime du président ; Ousmane Kane (Économie) et Dah Ould Sidi Ould Amar Taleb (Affaires islamiques). Seul le ministre des Finances change, avec l’arrivée de l’ex-directeur des Impôts, Isselmou Mohamed Mbaye. Son prédécesseur, Mohamed Lemine Ould Dhehby, est quant à lui nommé gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie (BCM).
… et reconduction inattendue
Enfin, la reconduction du ministre du Pétrole, des Mines et de l’Énergie, Abdessalam Ould Mohamed Salah, en poste depuis août 2020, a surpris. L’ex-représentant régional de la FAO pour l’Afrique du Nord et le Proche-Orient était pourtant la cible de critiques depuis qu’il a annulé, en février, le contrat d’approvisionnement en produits raffinés remporté une nouvelle fois par Addax. Cette décision pourrait faire perdre plusieurs dizaines de millions de dollars à la Mauritanie compte tenu de la flambée des cours du pétrole provoquée par la guerre en Ukraine.
S’il a finalement convaincu le trader suisse dirigé par le Sénégalais Moussa Diao de prolonger son contrat de six mois, il continue de chercher une solution pérenne. Au départ assez éloigné de la gestion de ce dossier, Mohamed Ould Ghazouani devrait désormais le suivre de près.
Par Justine Spiegel