Le Monde - Plusieurs dizaines de personnes, dont des civils, ont été tuées ces derniers jours dans le nord-est du Mali, par des membres de l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS).
C’est une sanglante démonstration de vitalité. A tous ceux qui le croyaient moribond, laminé par les opérations de l’armée française et par la guerre fratricide que lui livrent ses rivaux affiliés à Al-Qaida, l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS) vient d’apporter un démenti brutal dans la région de Ménaka, dans le nord-est du Mali.
Combien de morts, de blessés, de civils chassés de chez eux et de boutiques brûlées les djihadistes ont-ils laissés dans leur sillage depuis le 8 mars, le long de la frontière avec le Niger ? Les plus prudents évoquent des dizaines de morts, certains plus d’une centaine, voire au-delà de deux cents pour les plus alarmistes.
« Personne n’est capable de dire quel est le bilan réel, mais toutes les informations font état de beaucoup de morts, dont de nombreux civils », assure Mohammed, un journaliste d’une radio communautaire de Ménaka.
Le maire de Tamalat (ou Tamalet, selon les versions), là où les violences ont commencé, donne cependant, dans un message WhatsApp, la possible ampleur du drame dans sa seule localité : « 153 morts, 63 blessés, dont 25 femmes et 7 enfants. » Une bonne source, qui s’évertue à faire le décompte macabre, assure avoir provisoirement recensé 143 morts entre Tamalat et Inchinane, une autre localité attaquée par l’EIGS.
Selon toutes les personnes interrogées, c’est le meurtre d’un officier du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), le 1er mars, dans les environs de Tamalat, qui est à l’origine des violences. L’identité du meurtrier est incertaine, mais pour les Touareg Daoussak, très présents au sein du MSA, un groupe armé issu de l’ex-rébellion qui avait pris le contrôle du nord du Mali en 2012, il ne fait aucun doute que le crime est l’œuvre de l’EIGS, qui recrute principalement au sein des communautés peules.
La défiance et les haines
Dans les jours qui suivent, huit combattants de l’EIGS auraient été exécutés en représailles. Les tentatives de médiation ne donnent rien, alors qu’une trêve informelle avait été conclue dans la zone entre les deux groupes en 2019. « Le 3 mars, des combattants de l’organisation Etat islamique sont arrivés, notamment du Nigeria.
Le 5, l’EIGS a sorti une fatwa pour leur donner le droit de verser le sang des Daoussak et de prendre leurs biens », relate la source précédemment citée. Le 8 mars, l’attaque est lancée sur Tamalat, vers 14 heures. « Face aux centaines de combattants de l’EIGS, le MSA a abandonné sa position en se faisant tirer dans le dos. L’EIGS a alors massacré les Daoussak de la zone », poursuit notre interlocuteur.
Le lendemain, le MSA reprend la ville, mais les affrontements se déplacent sur Inchinane ; le 12, la ville d’Anderamboukane, frontalière avec le Niger, est prise par l’EIGS. Selon plusieurs sources, les mêmes scènes de tueries et de pillages se reproduisent à Inchinane, mais, dans la seconde localité, les djihadistes se contentent d’incendier des commerces et de détruire les infrastructures de télécommunications.
Alors que le Cadre stratégique permanent (CSP), qui regroupe désormais les anciens mouvements rebelles, fait état d’« une quinzaine de combattants » tués dans ses rangs, mais de « plusieurs dizaines de morts » parmi les populations civiles ainsi que parmi les assaillants, le 13 mars, l’armée malienne, présente à Ménaka, à 90 kilomètres au nord-ouest, envoie un hélicoptère réaliser quelques frappes, dont les résultats demeurent inconnus.
Les soldats français de l’opération « Barkhane », qui, deux ans auparavant, avaient fait de la zone une priorité opérationnelle et sont encore stationnés dans la ville, n’interviennent pas. « Parce qu’on ne nous l’a pas demandé », assure-t-on en interne, expliquant que « seul le soutien à la Minusma [Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali] et à la mission de formation de l’Union européenne se poursuit jusqu’au désengagement ».
Les temps ont changé. Entre 2017 et 2018, les forces françaises, à la recherche d’alliés locaux, avaient apporté un appui direct au MSA et à une autre milice touareg, le Gatia, dans leur combat contre les djihadistes. Face aux multiplications des exactions contre la communauté peule et aux craintes exprimées par les diplomates d’une immixtion des soldats français dans des conflits communautaires, cette expérience antiterroriste, de l’avis de nombreux observateurs, a exacerbé la défiance et les haines.
Les massacres commis ces derniers jours apparaissent comme une réplique de celui commis il y a un an par l’EIGS à Tilia, de l’autre côté de la frontière nigérienne. Celui-ci avait fait 137 morts, selon Niamey.
Depuis, les islamistes armés ont perdu leur émir, Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, tué par une frappe de drone français en août, ainsi que d’autres cadres. La guerre que lui mène son rival du Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), affilié, lui, à Al-Qaida, lui a fait perdre de sa puissance. Les violences de ces derniers jours laissent cependant craindre un nouvel embrasement.
Emissaires nigériens
Le MSA va-t-il recevoir un appui armé des autres mouvements qui composent le CSP, et peut-être même de l’armée malienne, pour lancer une contre-offensive ? Une réunion est prévue à ce sujet mercredi à Gao. Ira-t-il, le cas échéant, jusqu’à traverser la frontière avec le Niger, pays où il a longtemps bénéficié de la bienveillance du pouvoir, pour y poursuivre les combattants de l’EIGS qui s’y seraient repliés ? « Le premier risque est celui de représailles contre les communautés peules », prévient la consultante Hannah Rae Armstrong.
Par ailleurs, politiquement, ce nouvel épisode de tensions tombe mal pour le président du Niger, Mohamed Bazoum, qui a annoncé, le 25 février, avoir envoyé des émissaires pour dialoguer avec neuf chefs djihadistes. Le peut-il encore avec l’EIGS, et notamment avec Berodji Diouldé, présenté comme l’instigateur de cette nouvelle attaque ?
Cyril Bensimon