Financial Afrik - « Je crois fermement en l’action individuelle, toute femme doit comprendre qu’être femme et leader est bien possible. On ne naît pas leader, on le devient ! »
Financial Afrik s’est entretenu avec la première mauritanienne à diriger une banque. Après un parcours universitaire qui l’a menée en Suisse, en Tunisie, en Espagne et aux Etats Unis, Dr. Leila Bouamatou rentre en Mauritanie pour diriger la banque paternelle, la Générale de Banque de Mauritanie. Elle fait ses premières armes en 2009 comme responsable du Trésor de la Générale de Banque de Mauritanie (GBM). Depuis quatre ans, Leila Bouamatou est Administratrice et Directrice Générale.
Un poste à haut risque que sa solide expérience dans le domaine de la finance internationale lui permet de surmonter avec brio. Tout en apportant un vent frais dans le management de cette auguste banque d’affaire qui n’avait jamais vu, auparavant, tant de modernisme. Exclusif.
Parlez-nous brièvement de vous et de votre parcours ? Comment avez-vous pu vous imposer dans votre secteur ?
Tout d’abord, je suis une authentique Africaine, de père Mauritanien et de mère Sénégalaise; épouse et mère de deux garçons. Mais, je suis également, dans l’histoire de mon pays, la première femme à diriger une banque. J’ai grandi dans un environnement familial multiculturel et plurilingue, ce qui a beaucoup influencé mon parcours scolaire, académique et professionnel. J’ai aussi suivi des études en différentes langues et obtenu divers diplômes dans différents pays.
J’ai surtout, beaucoup appris de mon père et néanmoins ” mentor ” en l’accompagnant dans ses déplacements professionnels et dans ses réunions d’affaires : j’ai, ainsi, appris à me nourrir d’une culture fondée, principalement sur :
-Le travail et la confiance en soi.
-La détermination à toujours aller de l’avant avec un niveau d’exigence élevé vis-à-vis de moi-même.
-La légitimité de mon droit en tant que femme d’être leader dans ma société.
Vous êtes depuis quatre ans la première femme mauritanienne à diriger une banque. Depuis lors, comment a évolué la GBM en termes de total bilan, de PNB et de bénéfices ? Quel est aujourd’hui le positionnement de la banque GBM dans le secteur financier mauritanien ?
Rappelons tout d’abord que la Générale de Banque de Mauritanie pour l’Investissement et le Commerce (G.B.M) a été créé en 1995 par son fondateur. Elle a toujours eu pour vocation le conseil et le financement des entreprises évoluant dans les secteurs stratégiques de l’économie mauritanienne (énergie, mines, pêche, infrastructures, industrie, télécoms, et services).
Grâce à son profil de banque des entreprises de toutes tailles, son expérience et les partenariats développés avec les bailleurs de fonds et ses correspondants étrangers, la GBM est en mesure d’offrir à ses clients les solutions les mieux adaptées à leurs besoins, ainsi que le suivi et l’accompagnement.
Première banque mauritanienne par sa capitalisation, notre banque répond aux critères de solvabilité et de liquidité les plus exigeants.
En dépit d’une conjoncture économique demeurée difficile depuis 2018, le total bilan de la banque a progressé de 11 % par rapport à l’exercice précédent, et est passé de la 10éme position en 2018 à la 8éme en 2020.
Au niveau de la structure de l’actif, les créances sur la clientèle représentent plus de 74 % du total bilan (la GBM garde toujours sa 7éme place en terme de positionnement), illustrant la vocation de la banque et son engagement en faveur du soutien à l’économie Mauritanienne.
Au niveau du passif, les dépôts de la clientèle représentent plus de 61% du total du bilan. Le produit net bancaire de l’année 2020 s’inscrit en hausse de 44 % sur trois ans à méthode constante, positionnant la banque à la 9 éme place.
Le résultat de la banque a également connu une croissance de 86% entre la période 2018 et 2020. La banque continue à renforcer ses fonds propres par l’affectation de la totalité du résultat de ses dix derniers exercices à ses capitaux propres.
A la tête de cette institution, quelles sont les difficultés que vous rencontrez vis-à-vis des hommes mais aussi des femmes dans vos relations au quotidien?
La femme a toujours occupé, chez nous, une place privilégiée, dans la société mauritanienne et dans ses sphères de décisions, mais, seulement au niveau de la famille.
Aussi, la nouveauté se trouve-t-elle dans ce contexte où une femme dirige pour la première fois une banque et se retrouve ainsi« être «pionnière», dans un secteur, durablement,monopolisé par les hommes. Mais, avec le temps, on finit par s’y habituer et ne plus voir la femme mais la dirigeante qu’elle est.
J’ai dû faire face au comportement particulier de certaines personnes dans mon entourage professionnel et social mais c’est le lot de toute aventure pionnière !
C’est une première de voir une femme mauritanienne à la tête d’une banque, comment qualifieriez-vous cette réalité: méritocratie bien sûr …décrivez-nous votre parcours, mais aussi le fait d’avoir été aidée en étant la fille du fondateur de cette banque ?
Si j’étais un homme à la tête d’une entreprise familiale, la question ne se poserait pas….Méritocratie, comme vous dites bien sûr, même s’il est difficile de percer étant la fille de … C’est vrai que je suis la fille d’un père illustre qui a fondé l’un des plus importants groupes commerciaux de mon pays dont fait, d’ailleurs, partie la banque que je dirige. Ceci dit je pense, en toute modestie, que mon parcours explique et justifie amplement ma promotion.
Vous étiez candidate à la présidence de la Fédération Mauritanienne des Institutions Financières. Comment se présente cette institution ? Qu’est-ce qui motivait votre candidature ?
La Fédération des institutions financières communément appelée FIF est une composante importante du Patronat Mauritanien. Elle a pour objet l’étude, la défense et la représentation des intérêts économiques, industriels et commerciaux, légaux et moraux de l’ensemble de ses adhérents.
C’est une institution qui regroupe les principaux acteurs financiers du pays, à savoir les banques y compris la banque centrale, les assureurs, les sociétés de microfinance et les bureaux de change en plus de quelques institutions étatiques dont les activités sont intimement liées à la finance et à l’économie du pays tels que la poste ou encore les établissements en charge de la sécurité sociale.
Voilà pour la première partie de votre question. Quant à la seconde partie, je dirai tout simplement que ma candidature à la présidence de cette institution a été réellement motivée par mon engagement à promouvoir la condition féminine dans mon pays et mon ambition à contribuer, tant soit peu, à la levée des obstacles qui freinent encore la participation de la femme mauritanienne dans le développement socio-économique en Mauritanie.
Je crois fermement en l’action individuelle, toute femme doit comprendre qu’être femme et leader est bien possible. On ne naît pas leader, on le devient ! Certes, des avancées notoires ont été enregistrées sur le plan de la représentation politique. Cependant, la participation des femmes dans les domaines économiques et financiers, notamment privés, demeure très timide pour ne pas dire plus.
Quand j’ai côtoyé de près notre Patronat National, je me suis rendu compte de l’absence totale de la représentation féminine dans toutes les instances dirigeantes de cette institution qui regroupe pourtant 11 fédérations patronales. J’ai été choquée par cette situation anachronique et ringarde et du tort qu’elle représentait pour mon pays.
Aussi, saisissant l’opportunité du renouvellement des instances de la FIF, j’ai décidé de m’engager dans ces élections pour remédier à cette grave anomalie.
J’ai mené une campagne sérieuse et méthodique en consacrant un temps précieux à rencontrer les différents adhérents de la fédération, à convaincre certains d’y adhérer, à discuter avec eux, afin de leur faire partager ma vision et mon plan d’action en vue d’une meilleure prise en charge des problèmes que rencontre la fédération et des moyens de faire aboutir les doléances. Des circonstances sur lesquelles je ne voudrai pas revenir ici, ont fait pencher la balance du côté du second candidat, à qui je souhaite, soit dit en passant, une très bonne chance.
En fait, le plus important pour moi était de passer un message, de marquer la volonté et l’engagement ferme de la femme mauritanienne à participer à toutes les compétitions afin de recouvrer sa place et surtout de la mériter. Franchement, je ne regrette rien et je suis, plutôt, ravie d’avoir osé secouer ce cocotier.
Selon vous, quelles sont les stratégies qu’une femme leader doit mettre en place pour atteindre ses objectifs?
En parlant des stratégies mises en place par les femmes, nous avons un style de leadership différent de celui des hommes. Nous sommes plus inclinées vers le style de leadership transformationnel, car la femme leader :
•Cherche souvent à être un modèle qui inspire ses employés ;
• Passe beaucoup plus de temps à coacher les membres de ses équipes et fait plus attention à leur développement personnel;
•Voit le travail en groupe et dans la communication les clés de la réussite.
Pensez-vous que l’émergence de l’Afrique passera résolument par un leadership affirmé des femmes, leur autonomisation et une égalité des sexes?
L’Afrique ne profite pas pleinement des capacités et du potentiel de sa jeunesse et de ses femmes. Il y’a certes un effort et un travail qui ont été faits pour redynamiser le continent, mais je pense que nous avons raté raté l’essentiel ; c’est à dire d’identifier les facteurs institutionnels qui empêchent ou encouragent les femmes à aspirer aux rôles de leadership dans leur société et à être prises au sérieux.
La mobile banking se développe à grande vitesse. Quelle est votre approche vis-à- vis de la finance numérique ?
La digitalisation fait partie des axes prioritaires de la stratégie commerciale que mon équipe et moi avions présentée à ma prise de fonction. La pandémie de la Covid-19 est venue valider notre vision et confirmer que c’est bien l’avenir des établissements financiers.
Le fait de dématérialiser les services bancaires nous aidera à être plus proches de nos clients et de leurs ramifications.
Ce projet entamé en 2018 comprenait plusieurs volets, parmi lesquels le développement d’un site web interactif ouvert à tout public, c’est à dire aux clients, aux prospects et à toute autre personne à la recherche d’informations sur le secteur bancaire mauritanien ainsi que d’un e-banking offrant tous les services front office; la mise en place d’une infrastructure monétique complète s’ouvrant à toute transaction électronique à travers le mobile banking pour enfin s’ouvrir à l’outil le plus utilisé actuellement qui est le smartphone.
Ces deux volets sont opérationnels à ce jour. Le mobile banking, dernier volet de notre projet de digitalisation, est entamé en deux phases, celle autonome et celle mutualisée en interbancaire à travers le switch interbancaire. Cette dernière phase, déjà entamée est bientôt opérationnelle.
la phase autonome sera incessamment lancée en vue du lancement d’une filiale complètement digitale qui sera accessible à un large public sans pour autant nous éloigner de notre cœur de métier qui est le Corporate banking.
Quelle analyse feriez-vous aujourd’hui de l’impact de la pandémie Covid-19 sur le secteur bancaire et financier mauritanie
Au niveau du système bancaire et financier du pays, l’impact de la pandémie de la COVID 19 a été relativement atténué par les mesures prises par les plus hautes autorités nationales tant sur le plan de la gestion de la pandémie que sur celui des mesures d’accompagnement mises en œuvre par le Conseil de la politique monétaire de la Banque Centrale de Mauritanie.
Ce Conseil a très tôt décidé d’un certain nombre de mesures visant l’augmentation des ressources mises à la disposition des banques afin de leur permettre de maintenir et d’accroître le financement de l’économie nationale.
Dans ce cadre, nous avions noté avec satisfaction la baisse des taux directeurs, de celui de la facilité des prêts, du taux de la réserve obligatoire sans oublier le gel temporaire des deposits sur les crédits documentaires ayant pour objet l’importation des denrées de première nécessité et des hydrocarbures.
Comment voyez-vous l’évolution économique de la Mauritanie ?
En général, la pandémie de la COVID-19 a engendré une crise sanitaire mondiale doublée d’une crise économique de grande ampleur dont les conséquences restent à déterminer une fois jugulée cette pandémie planétaire.
L’activité économique en Mauritanie a connu un ralentissement important dû à plusieurs facteurs endogènes et exogènes liés directement ou indirectement à cette crise.
Un premier bilan fait ressortir un recul du PIB de -2,2% en 2020. La récession économique pourra être plus importante si la pandémie continue sa propension. Heureusement, les autorités mauritaniennes ont rapidement réagi au choc en prenant des mesures fortes pour endiguer la pandémie sur le niveau local et atténuer ses répercussions sur l’économie du pays.
Avec le soutien de ses partenaires au développement, notre pays a obtenu des résultats satisfaisants en matière de consolidation des réformes visant à assurer une stabilité économique solide.
Le Président de la République a annoncé un programme prioritaire élargi très ambitieux dont l’enveloppe de financement serait de l’ordre 500 millions d’euros.
Nous fondons un grand espoir sur la réussite de ce programme qui permettra, sans aucun doute, de relancer, rapidement et durablement notre économie.
Propos recueillis par Dia El Hadj Ibrahima, Nouakchott.
• * Cet entretien est paru dans notre Hors Série de juillet 2021 consacré aux perspectives de la Mauritanie.