Sidi El Moctar Taleb Hamme - Le Ministre des Pêches et de l’Economie Maritime est depuis hier à Nouadhibou pour une visite de travail de quelques jours.
Cette visite coïncide avec la Journée Mondiale des Pêcheurs Artisans et des Travailleurs de la Mer, décidée le 21 Novembre 1997 à New Delhi, en Inde, par des groupes de travailleurs de pêche de 33 pays.
Depuis lors, cette journée du 21 novembre est célébrée à l’échelle planétaire par un nombre croissant d’organisations socio professionnelles du monde de la mer.
Cette année, cet évènement est célébré chez nous dans un contexte où les révélations de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) et le niveau surprise d’éveil engendré par les résultats théoriques de cette CEP, ont fait que les mots rupture avec les mauvaises pratiques du passé, réformes, transparence et équité, dominent les esprits et prédisposent tout le monde à agir si la transition dure au point de faire perdre la confiance et répandre le désespoir.
A la pêche, les messages semblent décryptés puisqu’une nouvelle dynamique y est déclenchée par son Ministre et laisse déjà émaner des signes forts sur les intentions de Son Excellence. Mais cette dynamique, menaçante pour la mafia traditionnelle interne et externe au secteur, est malheureusement menacé d’être étouffée par la force antagoniste d’ennemis redoutables de toute réforme.
Déjà, Monsieur le Ministre a entamé l’amélioration de la transparence dans le mode d’instruction des dossiers par ses collaborateurs et de leur comportement vis-à-vis des usagers, vient de vulgariser, à Nouadhibou, la contribution de son Département au Programme Prioritaire Elargi du Président (PPEP). Monsieur le Ministre est aussi entrain de mobiliser certains collaborateurs et des experts externes pour d’abord, combler les vides et insuffisances de la stratégie de son prédécesseur (Stratégie d’Aménagement et du Développement Durable et Intégré des pêches maritimes 2020-2024) et ensuite, réviser le cadre normatif de son secteur ; le but est la transposition des réformes à introduire et/ou auxquelles on conviendra avec l’ensemble des acteurs sensibles à l’assainissement du secteur.
Avec ces démarches, naissent beaucoup d’espoirs si on sait bien l’attachement de Monsieur le Ministre des pêches à l’application stricte de la loi et l’émergence, au secteur, d’une nouvelle génération de jeunes professionnels prédisposés à accompagner toute politique réformiste concertée.
Personnellement, j’ai découvert cette génération émergente à travers les groupes WhatsApp ‘’Secteur des pêches’’ et ‘’Secteur de la pêche 2030’’. Ce sont des professionnels qui lient déjà leur avenir à la pérennité du secteur des pêches ou la durabilité de la ressource et qui, ainsi, souhaitent que les décideurs aient désormais à l’esprit, entre autres, la question du ‘’changement climatique’’ et ses impacts sur le secteur de manière générale.
La position de ces professionnels par rapport à l’objectif ‘’une flotte nationale performante’’, serait suffisante pour vous donner, chers lecteurs, une idée de l’évolution positive de leurs mentalités et surprendrait certainement ceux pour qui le pêcheur est, par définition, tricheur. En effet, pour cette frange des professionnels, cet objectif de la nouvelle stratégie sectorielle 2020-2024, signifie l’amélioration et la diversification de la production halieutique nationale, c’est à dire :
- l’exploitation des espèces et groupes d’espèces présentant encore des potentiels exploitables parmi les petits pélagiques (y compris les petits thonidés côtiers) ainsi que le développement des pêcheries dites émergentes et de la pêche continentale où le fleuve et environ 35 autres cours et plans d’eau, présentent d’énormes potentialités ;
- Le renforcement des Chantiers Navales de Mauritanie (CNM) pour concevoir et produire des navires-types par segment en donnant la priorité à des navires adaptés pour pêcher les petits pélagiques et aider à moderniser la pêche artisanale et à mettre fin à son caractère informel. Ceci engendrera automatiquement la redéfinition des concepts "pêche artisanale" et "pêche côtière" et puis un changement des missions et rôles des CNM ;
- La promotion de types d’engins et de techniques de pêche adaptés et d’une main d’œuvre nationale suffisante et hautement qualifiée, notamment dans les domaines de la pêche à la ligne et à la senne tournante où le déficit est énorme. C’est reconnaitre, au départ, l’échec des expériences passées en matière de formation et la recherche de nouvelles approches en concertation avec les utilisateurs potentiels du produit final ;
- La libération du pêcheur (surtout le pêcheur propriétaire de l’outil de production) du joug des mareyeurs’’, des usiniers et autres. Il s’agit, entre autres, de la mise en place d’un mécanisme de financements pour le maillon des producteurs, renforcé par un fonds de rachat pour faire sortir, à la casse ou à l’exportation, tout surplus de l’effort de pêche ;
- L’organisation d’un nouveau recensement du parc dit artisanal et côtier de manière à éviter les erreurs récurrentes et ayant, jusqu’ici, empêché de cerner l’effectif des navires et leurs propriétaires.
Quant à la réalisation de cet objectif de "flotte nationale performante", elle nécessite obligatoirement de :
• Savoir que toute autorisation d’une usine de farine et toute construction d’un nouveau navire par les CNM, signifient l’autorisation implicite d’un nouvel effort de pêche correspondant aux capacités et puis le droit à une partie du TAC ;
• Interdire l’affrètement sous toutes ses formes ; celui-ci étant incompatible avec la politique nationale visant principalement la reconstitution d’une flotte nationale et la mauritanisation des équipages ou la domestication des activités de pêche ;
• Arrêter ou limiter les Conventions d’Etablissement et le statut de société de droit mauritanien. Un tel montage juridique, s’est révélé, dans la pratique, à l’origine de la forte installation d’étrangers dans tous les maillons de l’activité et un grand manque à gagner pour le pays et risque aussi d’induire plus d’instabilité chez les populations maritimes ;
• Réviser les conventions d’Etablissement déjà en vigueur et la consécration des conditions du Code d’investissement comme base d’accès pour les privés à nos ressources en attendant de mettre en place un éventuel code d’investissement pêche;
• Mettre fin au caractère informel de la pêche artisanale eu égard l’importance de la pression qu’elle exerce sur la ressource, les caractéristiques de ses navires émergents et les pertes que fait subir la confusion dans sa gestion à l’Etat ;
• Encourager le régime d’acquisition des navires, notamment ceux de la pêche hauturière ;
• Former et recycler, en permanence, des équipages et puis suivre l’insertion des personnels formés (capitalisation des résultats des projets et appuis de la BAD/PDPAS, de la Banque Mondiale, de l’UE, etc.) ;
• Réviser la réglementation relative à l’emploi des étrangers de manière à la rendre davantage contraignante aussi bien dans les filières maritimes que continentales.
Enfin, nos nouveaux jeunes professionnels qui font leur apparition dans le secteur, expriment leur soutien à la constitution d’une flotte nationale performante parce que cela vise à rendre le pays indépendant dans l’exploitation de ses ressources, à assurer durablement l’approvisionnement de ses industries et à accroitre les retombées socio-économiques de la gestion de son patrimoine halieutique.
Par ailleurs, qu’il n’échappe pas à Monsieur le Ministre des pêches que ce peu de changement constaté dans le comportement de la profession, va certainement fâcher la vieille garde qui avait toujours fait échouer toute tentative de redressement et œuvré pour perpétuer la confusion au sein de ce secteur en se servant tant d’agents de l’administration que des organisations socioprofessionnelles et de leurs complices étrangers.
Souhaitons donc à Monsieur le Ministre la chance de pouvoir rester au-dessus de la mêlée (influence et guerre des lobbies), d’agir conformément à sa propre vision et de réussir à choisir librement les ressources humaines appelées à l’accompagner dans la mise en œuvre de la stratégie redéfinie de son secteur.
Dr Sidi El Moctar Taleb Hamme
Source : Cridem