Hassena ould Ely, l’ancien ADG de la SNIM, a récemment adressé, à Ould Ghazwani, un rapport rendant compte de la situation de la célèbre entreprise nationale.
Le document serait, dit-on, revenu sur les méthodes de pillage mises en place entre 2011 et 2015, situant diverses responsabilités dans la vente de fer par intermédiaires. Hassena Ould Ely porte ainsi à notre connaissance des « inconnues connues », produites quatre ans avant son arrivée à la tête de la SNIM. Pourquoi ces révélations ? Pourquoi, surtout, juste maintenant ?
Et pourquoi seulement sur la vente du fer ? Le rapport se prononce sur le divorce entre l’ancien ADG et l’ancien président de la République. Que cache donc cette séparation entre amis ?
Il est inexplicable qu’El Hassena ould Ely, soumis au droit de réserve par ses lourdes responsabilités et très proche d’Ould Abdel Aziz, ouvre de tels poussiéreux dossiers datant des années 2011-2015. Pourquoi ce revirement spectaculaire d’un des couloirs les plus empruntés par l’ex-Président pour des décisions sujettes à polémiques et qui ont effectivement suscité des remous ? Difficile de répondre. Il est toutefois évident que Ould Ely voulait dénoncer une transaction qui permit, à des particuliers mauritaniens associés à des ghanéens flirtant avec des australiens, de prendre possession de toute une réserve minière.
A mon avis, l’ADG de la SNIM aurait eu plus à gagner s’il avait abordé le sujet lorsque sa brûlante actualité agitait toutes les classes ouvrières et politiques de l’opposition. Quand celle-ci criait au scandale de cette transaction douteuse, effectuée dans des conditions opaques, où était Hassena ould Ely, ce responsable qui n’aura retrouvé conscience qu’en Juillet 2019 ? Et pourquoi cherche-t-il maintenant à se disculper des fautes de ses prédécesseurs, à une époque où il était, lui, occupé à manigancer, avec d’autres intermédiaires, la cession de l’exploitation d’une infrastructure de souveraineté nationale dont il était le premier responsable ?
Dix ans de magouille
Ce rapport nous rappelle, simplement, que la SNIM fut à l'origine de tous les problèmes des dix années de gestion d’Ould Abdel Aziz. Dès le début : quand Sidi ould Cheikh Abdallahi rencontra des hommes d'affaires venus négocier l'achat de certaines activités de la SNIM, un plan ORSEC fut déclenché par des « maniganceurs », pour l'écarter du pouvoir, au prétexte de « tentative de haute trahison », et le faire remplacer par Mohamed ould Abdel Aziz, un putschiste invétéré qui avait, à l’époque, joué la carte du risque. Dix ans de pouvoir… et/ou de magouilles : quel bilan ? A vous de juger.
Mais ce qu'il faut surtout retenir de toute cette histoire de rapport, c’est qu’Ould Abdel Aziz a truffé la présidence de la République de lanceurs d’alerte surveillant, 24 heures sur 24, tous les mouvements et activités en et autour de celle-là. Véritables micro-récepteurs-émetteurs, ces employés au Palais rompus à l’espionnage et le contre-espionnage d’Etat entretiennent tout un système de relais et d’alerte précoce. En déposant un rapport aussi accablant sur des décisions du Président sortant, Hassena ould Ely a pris un gros risque et apprend, maintenant à ses dépens, que celui-ci peut se révéler bien plus grand encore.
Car, avant même que son courrier ne fût déposé dans le parapheur du nouveau chef de l’Etat, les services de renseignements infiltrés en avaient déjà soumis la lecture à Ould Abdel Aziz, en vacances en Turquie. Et sa réaction ne s’est pas fait attendre : il a fait remplacer la pièce « défectueuse » du système par une autre « adaptable ».
Tout-à- fait normal, me direz-vous : contraint de laisser sa place, chassé du pouvoir par la limite constitutionnelle du nombre de mandats, l’ex-Président n’a pas quitté ses fonctions sans manquer de sécuriser ses arrières. Pendant onze ans, il a dirigé le pays d’une main de fer, en mettant en place une dictature économique et financière qui n’associait, à l’ordinaire, aucun de ses collaborateurs à ses prises de décision.
Même pas son Premier ministre ! Il donnait, à ses ministres, des instructions à suivre ou des ordres à exécuter sans commentaires et sans avis à donner. Ce sont ces agissements qui lui ont fait parfois commettre de malheureuses, voire fatales, erreurs susceptibles d’exposer à des poursuites certains de ses ministres, de ses proches collaborateurs ou hommes d’affaires prête-nom dont les entreprises lui servaient d’écran de fumée.
Ouf de soulagement
Ould Abdel Aziz a dit, persisté et signé : « Je quitterai le pouvoir mais ne serai pas loin et continuerai à faire de la politique, comme tout mauritanien ». Seulement voilà : sa politique à lui et sa façon de la faire avaient, avant même déjà son départ, commencé à agacer beaucoup de ceux qu’il utilisait pour ses montages financiers occultes ou teintés de corruption. Maintenant qu’il n’est plus là, c’est un ouf général de soulagement.
Et l’on découvre, en fin de compte, que les ministres et directeurs d’établissement public ou parapublic indexés en responsables de la gabegie et du détournement ne sont, en réalité, que des victimes. Ils ont été utilisés, par l’ex-Président, en vulgaires commis de ses propres affaires. Il s’est enrichi par ministres interposés ; ses proches se sont enrichis par l’intermédiaire de dirigeants d’établissement public ou parapublic ; et ses hommes d’affaires de confiance se sont enrichis sur le dos des investisseurs et des bailleurs de fonds. Mais en fin de compte, toutes ces richesses lui sont revenues, par effet boomerang.
Ce que beaucoup de gens ne comprennent pas – mais que l’actuel chef de l’Etat a, lui, sans doute parfaitement compris – c’est que son prédécesseur lui a laissé, en héritage, de nombreux dossiers confus, ficelés sur des scandales à même de porter préjudice aux intérêts suprêmes de la Nation. Ould El Ghazwani sait également qu’Ould Abdel Aziz a laissé, aussi derrière lui, de proches collaborateurs désormais orphelins et exposés à d’énormes risques de poursuites judiciaires, alors qu’en réalité, ils ne sont pas même responsables de leurs propres agissements. Lui-même chef d’états-major des forces armées, donc officiellement responsable de toutes leurs activités, il n’était, dans la réalité des faits, qu’un général de division grassement payé, assis dans un bureau climatisé, galons étoilés aux épaules, mais pratiquement sans pouvoirs ni prérogatives. On mettait à sa disposition des équipements militaires, des munitions – achetés où, par qui et à quel prix ?
Il ne le savait pas toujours… – des hommes, des armes, une très bonne logistique et un budget à peine suffisant pour payer ses soldats et assurer un minimum de fonctionnement de son administration : voilà tout. Cela signifie qu’on lui demandait de se contenter de ce qu’il recevait pour faire tourner sa grosse machine et de ne pas chercher à fouiner dans les affaires relevant du « secret d’Etat ». Ce si commode secret d’Etat où se cachent les malversations financières et les transactions opaques…
Nommé ministre de la Défense, il put se rendre compte de la nature « coquille vide » de ce département, à l’instar de tous ses homologues ministériels. Son rôle était de recevoir des officiels, s’entretenir avec des missions, gérer le quotidien des affaires banales et… fermer les yeux sur le reste. Durant les cinq dernières années du régime d’Ould Abdel Aziz, tous les ministres (sauf ceux des Finances, de la Pêche, de l’Industrie et des Mines) étaient comme sans portefeuille, ni pouvoirs véritables, ni moyens. Plusieurs d’entre eux servaient uniquement de boîte de résonance ou courroie de transmission d’ordres venus « d’en haut » ou « de l’entourage d’en haut ».
Les secrétaires généraux, commis d’Etat très bien payés, faisaient tourner les machines au ralenti, faute de moyens. Parfois même sans la moindre ouguiya pour résoudre le moindre problème de fonctionnement. Ils devaient se contenter de leurs salaires et privilèges et exécuter, les yeux fermés, des ordres parfois des plus surprenants et risqués.
Overdose de louanges
Il y a, dans ce pays, des gens indexés en responsables de tous les maux dont souffre la gestion de l’Etat mais qui ne sont, en réalité, que les victimes d’une torture professionnelle et psychologique que leur infligeaient les responsabilités dont ils furent chargés, sans jamais leur donner les moyens de les assumer. Le Président Ould Ghazwani est maintenant le chef de l’Etat. Surveillé, nuit et jour, par des drones humains invisibles, lanceurs d’alerte incrustés à ses côtés, il est pris en otage par un système politique extrêmement complexe où chacun sait tout de l’autre et tient en main quelque élément susceptible de faire chanter celui-ci.
Si bien que la Mauritanie ressemble, à tous points de vue, à la République Démocratique du Congo : un président élu «démocratiquement », par une majorité qui lui a été collée quasiment de force, face à un parlement qui ne dépend pas de lui et n’obéit qu’aux instructions de celui qui a quitté le pouvoir. Que peut donc faire Ould Ghazwani en telle configuration ? Rien ou presque. D’abord obligé de comprendre la configuration du terrain où il a été parachuté ; attendre ensuite de pouvoir se positionner par rapport à chacune des forces centrifuges qui l’entourent : la « majorité » au pouvoir, ses propres électeurs, l’opposition, la Société civile, les organisations internationales et la rue.
Dopé par une overdose de louanges, de chants à sa gloire et de soutiens, lors d’une campagne où il fut injecté sans comprendre vraiment pourquoi, Ould El Ghazwani a maintenant du mal à se détacher d’une dépendance fort coûteuse. Il n’a pas vraiment de choix. Soit il accepte la complicité qui lui a été imposée et l’a mis devant le fait accompli : sortirait-il alors indemne du piège qui lui a été tendu et dans lequel il est tombé ?
Soit il « se rebelle », refuse de composer avec les porteurs des projets politiques de son prédécesseur et s’éloigne d’eux. Il est fort à parier qu’alors, le BASEP (Bataillon d’Appui et de Soutien à l’Ex-Président) lui fasse « politiquement » comprendre qu’il n’est qu’en « période d’essai ». Résurgence de très mauvais souvenirs ? Faisons en sorte qu’il n’en soit plus jamais rien.
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant
Le Calame