En exprimant sa volonté d’engager de larges concertations avec tous les acteurs de l’opposition, le président Ghazwani serait-il à la recherche de plus de légitimité pour gouverner le pays ? La question est sur beaucoup de lèvres en Mauritanie. Pourtant il est élu, selon les chiffres officiels, avec plus de 52% des voix. Il est vrai qu’en Afrique, un tel score au premier tour fait sourire (jaune), pour ne pas dire douter, les concurrents et adversaires qui y suspectent une espèce de « forcing », quantitativement certes moindre que les 99, 999% soviétiques mais tout aussi écrasants.
Au soir donc du 22 Juin, Ghazwani était élu président de la République islamique de Mauritanie ; président de « tous » les Mauritaniens, précisait-il, quarante jours plus tard, lors de la prestation serment. Un engagement dont l’exercice passe, effectivement, par des concertations et dialogues avec tous ceux qui partagent, avec lui, le souci de mener à bon port notre pays. Les défis sont énormes, les deux camps en sont conscients et fort louable, de la part du président, d’exprimer sa volonté de discuter, avec tous, des questions nationales majeures. Contacts en conséquence enclenchés, avec l’opposition surtout ; glace brisée, premiers pas franchis vers la décrispation : une ouverture saluée par le président de l’UFP, le docteur Mohamed ould Maouloud, à sa sortie d’audience avec le nouveau président. Les rapports entre l’opposition et le pouvoir ne doivent pas être systématiquement marqués du sceau de la méfiance, voire de la tension permanente, comme nous l’avons vécu durant les dix dernières années où les rapports entre Ould Abdel Aziz et l’opposition qualifiée de radicale, étaient plus qu’exécrables. Le premier traitait avec mépris ses opposants et, même, ses collaborateurs et soutiens. Un tout autre tempérament que son successeur, croient savoir ceux qui ont approché ou connu Ould Ghazwani qui en sait, lui, certainement beaucoup plus : en quarante années d’amitié, il doit avoir certainement avoir ouï quelques rages de son alter ego et tiré toutes les leçons. Quoiqu’il en soit, il semble avoir fait bonne impression sur ses visiteurs. Mais ne dit-on pas qu’elles sont souvent trompeuses ?
Echanges à fructifier
La présidentielle du 22 Juin aura été marquée, comme presque toutes celles qui l’ont précédée, par des contestations, accusations de fraudes, répression contre les militants et sympathisants des candidats de l’opposition… Elle a révélé de vraies fractures au sein du peuple mauritanien : celle ouverte sous Ould Taya, entre les Maures et les Négro-africains, accentuée sous Abdel Aziz. Puis entre les Beïdanes et les Haratines, avec la récurrente question de l’esclavage et de ses séquelles. Deux blessures jointes par une même dimension raciale, réunissant les communautés noires à dénoncer leur exclusion et leur marginalisation par un « système » suprémaciste arabe qui gouverne le pays depuis bien longtemps, en particulier avec le règne des treillis et vareuses. A ce jour, aucune tentative sérieuse de le démonter, à tout le moins adoucir, n’a été entreprise par les différents pouvoirs. Sinon de simples discours et velléités. Et l’on a même senti la prudence du candidat Ghazwani, lorsque les cadres négro-africains de la majorité sont venus lui remettre une plateforme portant les revendications de leur communauté. « Le nouveau président semble maîtriser la problématique haratine », observe un leader politique de l’opposition qui l’a rencontré, « mais il présente un sérieux déficit sur la question négro-africaine ». Méfiance, voire répulsion, à l’instar de trop nombreux officiers des forces armées et de sécurité suspectés d’avoir trempé ou couvert les exactions commises dans les casernes, entre 89 et 91 ? Autre question qui fâche : le pouvoir, la transcription et l’introduction des langues nationales –pulaar, soninké et wolof – dans le système éducatif mauritanien.
Le président de l’UFP a résumé, au micro de RFI, les questions qui méritent débat. Il ajoute, à cette fondamentale question de l’unité nationale, l’ancrage de la démocratie, la justice, la bonne gouvernance, le partage équitable des dividendes des ressources du pays entre l’ensemble de ses citoyens, etc. Le président de la République acceptera-t-il de secouer le palmier ? Ira-t-il jusqu’à élaborer, en commun accord avec l’opposition et toutes les bonnes volontés, un format d’actions et des thèmes consensuels ? Ou se suffira-t-il d’un show, avec le quitus des partenaires au développement comme la France, les USA, l’Espagne et l’Allemagne ? A priori, non, préfère avancer l’opposition. Mais elle attend de voir. Et Dieu sait combien nombreux sont les mauritaniens en cette position attentiste ! Cela dit, chacun de reconnaître, pour l’instant, qu’Ould Ghazwani est en passe de réussir un premier pari : décrisper la tension entre son gouvernement et son opposition. De quoi donc se tailler un costume de président de consensus. Saura-t-il le porter ? Le faire sien jusqu’à quasiment seconde peau ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite, à l’orée de son premier mandat.
DL (Le Calame)