
Comment expliquer qu’un Mauritanien né à Nouakchott, petit-fils d’anciens ministres et ambassadeurs, soit réduit à l’état de “suspect” pour le simple fait de sa couleur de peau et de ses traits ? Le visage, devenu passoire de justice, remplace la loi. Ceux qui “n’ont pas la bonne apparence” se retrouvent pris dans la nasse des rafles, humiliés publiquement, marqués au fer de la suspicion. Comment expliquer que des agents de l’ordre dressent des barrages en pleine ville et arrêtent les véhicules de transport en commun et les motos pour ne contrôler qu’une catégorie de citoyens au teint noir.
Cette pratique est nourrie par une xénophobie rampante, institutionnalisée par le silence des autorités et tolérée par la hiérarchie policière (encouragée il est vrai, subrepticement par l’Europe). Le droit à la dignité, le droit à la santé, le droit de prévenir sa famille : autant de droits élémentaires foulés au pied. Comment justifier qu’un malade soit privé de son traitement, exposé à la mort, parce que des agents se retranchent derrière un règlement arbitraire ou des instructions vagues ?
La fin de ce calvaire n’a pas été obtenue par la reconnaissance de la vérité ou le respect de la loi. Elle a été “achetée”. Oui, acheté comme on rachète une vie prise en otage. Il a fallu de l’argent pour que l’innocence d’Ibrahima Ba retrouve l’air libre. Voilà où nous en sommes : des citoyens “libérés” non par le droit, mais par le prix fixé par des mains corrompues.
Que l’on comprenne bien : si un citoyen au nom connu, issu d’une famille de hauts serviteurs de l’État, peut être traité ainsi, que dire du sort réservé à ceux qui n’ont ni voix ni réseau ? Combien de vies anonymes se consument dans le silence de cellules crasseuses ? Combien de familles fouillent morgues et commissariats en quête d’un fils disparu ? Combien de mères prient pour un miracle, tandis qu’on marchande la liberté de leurs enfants ?
L’affaire Ibrahima Ba est un miroir de nos défaillances. Elle nous oblige à dire haut ce que beaucoup vivent en silence : la République est malade quand ses propres forces de l’ordre deviennent les vecteurs d’humiliation, de racket et de ségrégation. Lutter contre ces dérives, ce n’est pas défendre un individu, c’est défendre la République elle-même.
Car un État qui abandonne le droit au profit de la brutalité, qui remplace la loi par la couleur de peau, qui troque la justice contre des pots-de-vin, n’est plus qu’une caricature de lui-même.
Le délit de faciès est une insulte à la République.
La xénophobie est une tache sur le drapeau.
La corruption est une gangrène qu’il faut extirper.
Ne pas les combattre, c’est accepter que la Mauritanie devienne une prison à ciel ouvert pour ses propres enfants.
B.C.