La question de la réforme du système de retraite en Mauritanie suscite des débats de plus en plus animés dans les milieux sociaux et économiques. Depuis des années, les inégalités entre fonctionnaires et travailleurs régis par la convention collective de travail soulèvent des interrogations sur l’équité du système. Si les premiers sont les grands oubliés de cette équation, les seconds profitent de conditions plus favorables, bien que des disparités persistent au sein de leurs rangs.
Les fonctionnaires, parents pauvres de la retraite
En effet, les travailleurs régis par la convention collective de travail bénéficient d’un décompte de départ à la retraite assez substantiel, alors que les fonctionnaires partent sans le moindre sou en poche, si bien qu’ils sont induits à s’endetter en attendant de toucher leur première pension, plusieurs mois après.
Récemment, un espoir timide avait surgi après la discussion en coulisses d’un projet de loi visant à instaurer un « décompte de départ » à la retraite pour les fonctionnaires. L’une des options consistait à accorder aux retraités de la fonction publique quelques mois de salaire comme bonification pour les soutenir dans leur transition vers la retraite ; une période souvent, financièrement et psychologiquement, difficile.
Tous les espoirs sont encore permis dans la mesure où le 21 octobre dernier, le Ministère de la fonction publique et du travail et le Ministère délégué auprès du Ministère de l’Economie et des Finances ont lancé un Avis d’appel à manifestation d’intérêt portant sur « la réalisation d’une étude actuarielle du régime des retraités de la République Islamique de Mauritanie ».
Des disparités au sein des travailleurs régis par la convention collective
S’agissant du personnel régi par la convention collective de travail, la Mauritanie est probablement, l’un des rares pays au monde où ladite convention fait l’objet d’interprétations parfois diamétralement opposées selon le bon vouloir des employeurs.
Pour rappel, l’indemnité de départ à la retraite (IDR) est calculée en pourcentage de l’indemnité de licenciement. Il s’agit donc de déterminer pour chaque retraité cette dernière qui servira de base au calcul de l’IDR. L’indemnité de licenciement, quand à elle, comporte trois niveaux (25%, 30% et 35%), tranches dont bénéficie, cumulativement, tout travailleur légalement licencié, au prorata des années de services effectuées.
Conformément à l’Article 31 de la Convention collective « L’Indemnité de Départ à la Retraite est décomptée sur les mêmes bases et suivant les mêmes règles que l’indemnité de licenciement. » selon les pourcentages cumulés suivant 30%, 50%, 75% et 100% de l’indemnité de licenciement qui sert de base au calcul de l’IDR.
Cependant, l’application de ces règles varie considérablement d’une entreprise à une autre. Tandis que des sociétés comme la SOMAGAZ, le Port Autonome de Nouakchott, ou la SAMIA appliquent ces dispositions correctement, d’autres comme la SNIM n’accordent qu’une seule tranche de l’IDR. Cette interprétation restrictive prive les retraités de la SNIM de 60 % de leurs droits, un manque à gagner considérable par rapport à leurs homologues d’autres entreprises.
Pour illustration : prenons le cas d’un agent de la SOMAGAZ qui part à la retraite après 30 années de service. Ce retraité va bénéficier cumulativement de 30% (0 à 5 ans de service), plus 50% (6 à 10 ans de service), plus 75% (10 à 20 ans de service) et plus 100% (plus de 20 ans de service, soit 10 ans dans ce cas de figure).
Pour la SNIM, avec le même salaire et le même nombre années de service, ce retraité ne touchera que la dernière tranche, c'est-à-dire, 100% pour ses 10 dernières années de services (pas de cumul pour les trois autres tranches), ce qui se traduit par une perte de 60% de ses droits de départs à la retraite par rapport à son alter ego de la SOMAGAZ.
Cette lecture erronée des responsables du personnel de la SNIM, fait que les retraités SNIM, dont l’écrasante majorité compte plus de 20 ans de bons et loyaux services, n’obtiennent que la dernière tranche de l’IDR, autrement dit 100% de l’indemnité de licenciement.
Ce qui est paradoxal dans cette formule SNIM est que, dans le meilleur des cas, aucun retraité SNIM, aussi ancien soit-il, ne pourra dépasser l’indemnité de licenciement. Cet argument montre, à plus d’un titre, que cette formule est battue en brèches.
Le comble de cette histoire est que les retraités de la SAMIA, simple filiale de la SNIM, sont beaucoup plus chanceux que leurs collègues de la société mère puisqu’ils touchent 60% de plus que les retraités SNIM car la SAMIA a opté pour la bonne formule.
En effet, les responsables des ressources humaines de la SNIM ont perdu de vue que les différentes tranches de l’IDR (30%, 50%, 75% et 100%) devraient également bénéficier cumulativement aux retraités suivant les mêmes règles de calcul de l’indemnité de licenciement dont les tranches sont cumulatives comme le stipule l’Article 31 de la convention du travail.
Un précédent judiciaire et des espoirs déçus
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de réinventer la roue, cependant il y a lieu de reconnaître que les pouvoirs publics sont tenus de répondre à plusieurs questions qui se posent avec de plus en plus d’acuité. Est-il acceptable de continuer d’exploiter une convention collective avec deux lectures diamétralement opposées ? Pourquoi la SAMIA applique-t-elle la bonne formule alors que la société mère, en l’occurrence, la SNIM applique la mauvaise ? La réponse est toute simple : la SNIM a peur de se retrouver devant la justice.
En effet la première alerte est venue d’une vingtaine de retraités SNIM 2010 qui avaient, en leur temps, porté leur cause devant les tribunaux compétents. Il s’agit du conflit collectif objet du procès verbal de médiation N° 349/DTPS/11 du 30/11/11, opposant la SNIM à un groupe de retraités. La justice a fini par trancher l’affaire à l’avantage des retraités 2010 qui ont ainsi obtenu gain de cause en touchant leurs reliquats d’indemnité de départ à la retraite suivant le jugement N° 2013/0067 du 01/10/13.
Pourtant, ce verdict n’a pas servi de jurisprudence ni pour la SNIM ni pour les autres sociétés incriminées ni même pour le législateur. Et, aujourd’hui, ce sont près de 2000 retraités qui ont déjà porté plainte contre la SNIM. Malheureusement, leurs dossiers sont toujours en souffrance dans le tiroir d’un juge depuis plusieurs années, à cause de la complaisance et de l’imprévisibilité d’une justice supplétive.
Une réforme indispensable
Pour corriger ces inégalités et offrir une retraite digne à tous les travailleurs mauritaniens, une réforme profonde et inclusive du système de retraite est indispensable. Les pouvoirs publics doivent s’atteler à :
-Instaurer une indemnité de départ pour les fonctionnaires, afin de combler le vide financier au moment de leur retraite ;
-Harmoniser l’application des règles de la convention collective, pour éviter les interprétations divergentes entre les entreprises ;
-Garantir une justice efficace, capable de traiter rapidement et équitablement les litiges liés aux droits des retraités.
Pour conclure il est important de souligner ici que la retraite est une étape cruciale dans la vie d'un travailleur, marquée par des défis financiers et sociaux importants. En Mauritanie, il est urgent de réformer un système qui laisse encore trop de retraités dans la précarité. Une telle réforme permettra non seulement de corriger des inégalités flagrantes, mais aussi de valoriser le travail accompli par des générations de fonctionnaires et de travailleurs du secteur public et privé. Cependant, tout cela ne sera possible qu’avec une véritable volonté politique et une justice indépendante, rapide et équitable, capable de trancher efficacement les litiges relatifs aux droits des retraités afin d’assurer un avenir plus juste pour les masses laborieuses.