Afrimag - L’ex-président Mohamed Ould Abdel Aziz est, depuis le 25 janvier 2023, assigné à résidence, à l’Ecole de police de Nouakchott. Il comparait, lui et une douzaine de co-accusés dont, son beau-fils et deux anciens Premier ministres, dans ce que la presse mauritanienne appelle le « Dossier de la décennie » portant sur le détournement, selon les éléments de l’enquête, de plusieurs dizaines de milliards d’ouguiyas.
Pour tenter de se tirer d’affaires dans un procès longtemps attendu par les Mauritaniens qui réclament la restitution de leurs biens, Ould Abdel Aziz a renforcé sa défense par deux nouveaux avocats (un Français et un Sénégalais).
La stratégie de défense de l’ancien raïs est on ne peut plus claire : donner une tournure internationale à un procès largement suivi dans les capitales européennes et africaines parce qu’il pourrait aussi servir d’exemple aux présidents prédateurs dont l’immunité ne dépasse généralement pas la durée de leurs mandats.
La bataille procédurale a été engagée par les avocats de la défense qui dénoncent un procès «politique». L’ancien président mauritanien ne peut être jugé que pour haute trahison, selon l’article 93 de la constitution mauritanienne, clame l’avocat français, Antoine Vey, l’ex-associé d’Éric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux d’Emmanuel Macron, dernier renfort engagé par Mohamed Ould Abdel Aziz.
Maître Ciré Cledor Ly, arrivé directement de Dakar parle, lui, de « discrimination » dans le traitement des prévenus, soulignant qu’Aziz a été reconduit à la prison, sous haute surveillance d’éléments de la brigade antiterroriste, alors que ses co-accusés sont placés en résidence surveillés !
Réplique des avocats de la partie civile
Dans ce «procès de la décennie 2009-2019» la soixantaine d’avocats de la partie civile engagés par l’Etat dénoncent une fuite en avant de l’ancien président Aziz et de sa défense.
Me Lô Gourmo, homme politique connu pour son engagement dans l’opposition, a clairement signifié, lors du point de presse organisé le 29 janvier, qu’il s’agit de lever les équivoques que la partie adverse entretient autour d’une affaire de justice qu’elle qualifie de «complot» et de «parodie de procès».
Pour cet homme qui a longtemps exercé en France, comme enseignant et comme avocat, le procès en cours est quasiment une première en Afrique et il est suivi pour l’intérêt qu’il porte à la question de la grande corruption et de dissipation de biens publics dont se plaignent les peuples du continent.
Le différend qui oppose les deux camps est bien antérieur au procès. Déjà, les résultats de l’enquête parlementaire, fin 2021, avaient été qualifiés par le camp de l’ancien président Aziz de «chasse aux sorcières»n’ayant pour objectif que de dissuader le prédécesseur de Ghazouani d’envisager un retour gagnant à la présidence.
Pour les avocats de la partie civile, cet «enfumage» est fait, à dessein, pour ne pas aller au fond du dossier, sinon, retarder le plus longtemps possible, un procès qui va révéler le «butin» amassé par Aziz au cours de la décennie 2009-2019.
Les révélations faites suite à la publication du dossier d’accusation étalent au grand jour le trésor de la caverne d’Ali Baba. Outre les actifs financiers gelés par le pouvoir judiciaire, estimés à plus de 41 milliards d’ouguiyas anciennes, l’ancien président posséderait 2 usines d’eau minérale de dénomination sociale «Assil», 2 usines de décorticage du riz et de fabrication de l’aliment bétail, des stations-services dont 20 stations relevant de la société “Hydro 24”, une centaine de véhicules dont des voitures de luxe, des dizaines de villas à Nouakchott, Nouadhibou, Akjoujt et Binichab.
Mais ce ne serait là que la face visible de l’iceberg, l’essentiel de la fortune d’Ould Abdel Aziz se trouvant, selon certaines sources, en France, aux Emirats arabes unis, en Turquie et en Espagne.
Une première en Mauritanie
Le procès de l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz est très suivi à Nouakchott par une opinion publique qui porte également un œil sur des élections générales (municipales, législatives et régionales) à enjeux multiples.
Alors que le parti El Insaf (pouvoir) investit déjà le terrain par l’envoi de missions de prospection et mobilise ses militants pour maintenir un rapport de forces qui lui est largement favorable, l’opposition ne donne aucun signe de vie, comme si elle attend que se produise un miracle ! De timides recompositions tentent de conjurer ce (mauvais) sort, telle l’entente entre les différents segments de la coalition « Vivre ensemble », encore très affectée par la disparition, il y a un an, de l’un de ses leaders, Kane Hamidou Baba, dans un tragique accident.
Ou encore le retour de Biram Dah Abeid, président de l’Initiative pour un Mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA) aux fondamentaux d’un combat politique qu’il avait abandonné, un temps, croyant à un possible «Pacte de non agression» avec les soutiens du président Ghazouani.
Longtemps considéré comme une «manœuvre» de diversion du pouvoir, le «procès de la décennie», comme on l’appelle, pourrait être déterminant dans le positionnement des électeurs : une véritable lutte contre la gabegie est un choix gagnant pour le pouvoir ; un acquittement d’Aziz laissera croire que rien n’a changé.
Par Mohamed Sneïba, Correspondant permanent - Nouakchott