Le Calame - “ Jamais une initiative de dialogue n’a fait l’objet d’une convergence totale de vues dans le cadre d’une structure réunissant des partis de l’opposition et ceux
Une conférence de presse d’une partie de l’opposition qui réclame un dialogue et non des concertations et le lendemain une partie de l’opposition qui répond à une invitation au palais pour échanger, semble-t-il, sur les préparatifs des concertations nationales. Que se passe-t-il au sein de cette opposition ? Sur quoi diverge-t-elle ? Dialogue ou concertations, ne s’agit-il pas d’une querelle de sémantique ?
Me Yacoub Diallo : Nous n’avons aucun problème avec les partis de l’opposition auxquels vous faites allusion. Au contraire, nous étions en discussion, jusqu’à tout récemment, au sujet de la déclaration qu’ils ont publiée en marge de la conférence de presse.
N’ayant pas pu nous accorder sur le contenu de ladite déclaration, nous avions convenu que cela ne doit nullement altérer nos liens, ni être un frein à notre volonté commune d’unifier nos vues quant aux problématiques nationales qui seront abordées dans le cadre du dialogue en perspective.
S’agissant de la polémique dialogue/concertation, nous avons, très tôt, au sein de la Coordination des Partis représentés au Parlement, évacué cette question. Nous nous sommes, en effet, entendus sur un sens unique à donner à ces deux vocables, à savoir : une rencontre politique inclusive à laquelle sont associés des acteurs nationaux déterminants, tels que les personnalités nationales, les syndicats et les organisations de la société civile.
Ce forum aura pour objectif d’analyser la situation du pays, définir les problèmes dont il souffre et, autant que faire se peut, s’accorder, à travers des consensus, sur des solutions justes et durables, en s’assurant que le pouvoir s’engage à les mettre en œuvre.
Pouvez-vous nous dire sur quoi a porté la rencontre au palais avec les partis représentés à l’Assemblée Nationale ? Le démarrage des concertations est-il imminent ?
En réponse à une sollicitation de la Coordination des Partis représentés au Parlement, comme mentionné dans sa feuille de route, le Président de la République a bien voulu nous recevoir pour nous assurer de son soutien dans cette dynamique, et de l’engagement du gouvernement à mettre en œuvre les conclusions du dialogue.
En ce qui concerne le démarrage du dialogue, il y a lieu de mettre en place une commission d’organisation représentative de l’ensemble des acteurs conviés à ce processus. Aussi, faut-il solliciter l’avis de toutes les forces concernées au sujet de la composition et des missions de cette commission, ce à quoi nous sommes disposés à donner le temps qu’il faut.
Dans le cadre des préparatifs du dialogue, les partis représentés à l’Assemblée Nationale avaient conçu une feuille de route. Est-elle toujours d’actualité ?
La feuille de route de la Coordination est une contribution aux efforts visant à mettre le pays dans une perspective d’apaisement et de recherche sereine de solutions pérennes pour les problèmes dont il souffre depuis des décennies et qui menacent, hélas, son existence même…
Cette contribution a, de mon point de vue, le triple avantage d’émaner de forces politiques issues de la majorité et de l’opposition, de viser la tenue d’un dialogue inclusif et sans tabous et de bénéficier du soutien solennel du Président de la République. Je pense que tous ces éléments font qu’elle est assurément d’actualité, sans toutefois vouloir sous-estimer l’importance et la pertinence de tous les autres apports qui ne manqueront pas d’enrichir le dialogue à venir.
Voudriez-vous nous rappeler les différentes thématiques qui y étaient consignées et nous dire si elle pourrait être actualisée pour intégrer les revendications des autres partis de l’opposition, voire même de la société civile ?
Lors du processus de confection de la feuille de route, nous avions tenu à recueillir les avis de divers acteurs politiques et sociaux, non membres de la Coordination, au sujet des thématiques à retenir.
Aussi, avions-nous fait en sorte de couvrir la totalité du spectre des sujets d’intérêt national. Il en est ainsi des thématiques de l’unité nationale, de l’esclavage, de la gouvernance politique, économique et sociale, de l’éducation, de la santé, de l’environnement…. Il s’agit, tout compte fait, d’une œuvre humaine qui pourra toujours être améliorée, particulièrement dans le cadre d’un forum national où tous les patriotes sincères viendront contribuer à l’élaboration d'un pacte républicain, devant servir de fondement à un système démocratique solide et bien enraciné.
Sous Ould Abdel Aziz, il y a eu deux dialogues boycottés par certains partis de l’opposition comme le vôtre, le RFD. D’importantes résolutions avaient été adoptées même si elles ne sont pas toutes mises en œuvre. Qu’est-ce qui vous garantit aujourd’hui que les recommandations qui seraient formulées au terme de ces concertations seraient, elles, mises en œuvre ?
De mémoire d’observateur de la scène politique nationale, aucun pouvoir exécutif ne s’est engagé, aussi solennellement, à mettre en œuvre les conclusions des dialogues précédents. Il est à noter également que jamais une initiative de dialogue, comprenant une approche et des propositions de thématiques, n’a fait l’objet d’une convergence totale de vues dans le cadre d’une structure réunissant des partis de l’opposition et ceux de la majorité dans son ensemble. Je pense qu’il y a là autant d’éléments qui nous autorisent à être optimistes quant à l’issue de ce dialogue.
Depuis la réunion au palais, n’y a-t-il pas eu de tentatives de rapprochement entre les deux camps de l’opposition ?
Comme dit précédemment, nous entretenons des rapports très cordiaux avec nos amis dans l’opposition, y compris avec ceux qui ne sont pas membres de la Coordination des Partis représentés au Parlement.
Ces manœuvres politiques sont intervenues quelques semaines après la célébration de la 2e année de l’investiture du président Ghazouani. Quelle évaluation vous faites au RFD de ses deux années à la tête du pays ? Est-il sur le chemin du changement, à défaut de rupture d’avec la gouvernance de son prédécesseur?
Nous croyons fermement, au niveau du RFD, qu’il ne faut ménager aucun effort pour que le pays s’engage, résolument, dans la voie du changement salutaire. Certes, des retards ont été enregistrés sur le front de la rupture d’avec les pratiques, les habitudes, les réflexes et les hommes du passé…
Lors de leur conférence de presse, les huit partis de l’opposition ont dénoncé en vrac l’exclusion par « le système » des composantes haratine et négro-africaine de tous les leviers politiques, économiques, sociaux, militaires, sécuritaires etc. Partagez-vous cet avis ? Que faudrait-il faire, selon vous pour régler ce que d’aucuns appellent la « question nationale » ou le « vivre ensemble » ?
Le RFD n’a cessé de dénoncer l’exclusion et la marginalisation sur des bases ethniques, régionales ou en rapport avec les convictions politiques des personnes victimes de ces pratiques d’un autre temps… Nous estimons que le dialogue est le cadre approprié pour analyser ces problèmes, en vue de leur trouver des solutions justes et pérennes.
Que pensez-vous du dossier dit « de la décennie » qui a conduit Ould Abdel Aziz à la détention préventive alors que douze de ses coaccusés sont laissés libres ?
En tant que membre du collectif chargé de la défense des intérêts de la partie civile dans ce dossier, vous comprendrez, aisément, la déférence et le respect que j’ai pour notre justice.
Le côté social demeure une épine dans les souliers du gouvernement qui n’a pas réussi à mettre fin aux spéculations sur les prix des produits vitaux. Que vous inspire cette situation ?
Il est grand temps que le gouvernement réfléchisse, sérieusement, à la création d’une structure publique, en charge de réguler le marché national des denrées de première nécessité et d’assurer le ravitaillement régulier et à des prix abordables de zones pauvres, enclavées ou éloignées.
Notre pays a une riche expérience dans ce domaine avec la défunte SONIMEX, dont le sort doit faire l’objet d’une enquête sérieuse ainsi que celui des autres sociétés et établissements froidement liquidés par l’ancien pouvoir… Il y a lieu aussi de réajuster les prix des hydrocarbures pour les ramener à leur niveau réel. Une telle mesure induirait, immédiatement, une diminution d’une série de denrées et de services de base (produits alimentaires, transport, eau, électricité…).
Que répondez-vous à ceux qui accusent les partis de l’opposition comme le RFD et l’UFP d’être devenus « amorphes », voire d’avoir perdu la voix depuis l’installation du président Ghazouani au palais ?
La pertinence des choix politiques se mesure aux résultats et non à l’activisme béat. L’énergie d’une force politique doit être canalisée et servir la cause stratégique. Elle ne doit pas être gaspillée. Les formes de lutte politique ne sont pas figées, elles doivent, constamment, prendre en compte le contexte et s’assurer le meilleur moyen d’atteindre l’objectif.
Propos recueillis par Dalay Lam