Le Calame - Me Mine Abdoullah est membre Fondateur de l’Alliance Nationale pour la Lutte contre la Corruption et la Restitution des Biens Mal Acquis.
Vous êtes Membre Fondateur de l’Alliance Nationale pour la Lutte contre la Corruption et la Restitution des Biens Mal Acquis. Un des objectifs de cette Alliance c’est de contribuer à la traque des biens dont l’Etat et les Mauritaniens ont été spoliés ces dix dernières années. Comment entendez-vous vous y prendre ?
Maître Mine Abdoullah : Nous profitons de l’occasion pour remercier les ONG qui nous ont investi de leur confiance pour être membre d’une Alliance aussi importante dont l’ambition est de contribuer à la culture de la bonne gouvernance, de la redevabilité, de la reddition des comptes et de la gestion vertueuse des biens communs.
Quand on connaît les freins au développement que constituent la corruption et ses corollaires que sont les détournements et les dissipations, on mesure les préjudices portés à a Mauritanie ces dernières années avec tant de ressources ayant servi à autre chose qu’au bien-être des populations…
La Coalition que nous dirigeons s’investira, dans la mesure de ses possibilités, dans une mission de veille, de dénonciation, de poursuites contre ceux qui, jouissant des privilèges de leurs fonctions, se plaisent (ou se sont complus) à confondre les biens de l’Etat avec leurs biens… Bien entendu, le travail que fera l’Alliance le sera en collaboration avec la justice.
Votre initiative vient appuyer l’action de l’Etat qui a créé, il y a quelques mois, un pool d’avocats dont vous êtes d’ailleurs membre, pour récupérer les biens mal acquis, surtout par l’ancien président de la République, Mohamed Abdel Aziz, suspecté d’avoir accumulé un patrimoine dont 29 milliards d’ouguiyas viennent d’être gelés par la Justice. Le dossier est pendant devant la justice. Qu’allez-vous faire pour accélérer la procédure que nombre de Mauritaniens trouvent trop lente ? Est-ce que ce n’est pas à cause de ces lenteurs que la société civile a décidé de créer cette Alliance ?
Bon, écoutez, le temps de la justice n’est pas le temps… du temps qui s’écoule, si nous pouvons nous exprimer ainsi. Mais rassurez-vous, tout ce qu’il est possible de faire pour que justice passe sera fait.
Certes, la lenteur de la justice est souvent invoquée, mais le dossier qui nous concerne ici est assez complexe pour être expédié en un tournemain au risque de finir en queue de poisson. Quoiqu’il en soit, la mise en place de cette Alliance est une nécessité et ses objectifs vont au-delà du seul dossier de l’ancien Président Abdel Aziz.
Pensez-vous que l’inculpation de l’ancien Président et 12 de ses anciens collaborateurs permet de dissuader les candidats aux détournements des deniers publics ? N’avez-vous pas le sentiment que ce mal est très profond et que l’impunité a encore de beaux jours devant elle, chez nous ?
La corruption est tellement ancrée dans le quotidien des Mauritaniens, et ce depuis tellement d’années, qu’elle tend presque à la banalisation. Mais, le fait qu’un ancien Président soit poursuivi pour cette grave infraction devrait, nous le pensons fortement, dissuader plus d’un à commettre de tels méfaits.
En effet, l’exemple est si frappant qu’un tel précédent serait dissuasif pour les corrupteurs et les corrompus. En tout cas, c’est notre souhait. Et c’est le souhait ardent de tous ceux qui se préoccupent de la bonne utilisation des biens communs.
Depuis que la police économique a transmis le dossier à la justice, on n’entend presque plus parler de la HCJ que l’Assemblée Nationale devrait mettre en place pour juger le Président et les ministres pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions et devant laquelle d’ailleurs souhaite comparaître l’ancien Président, arc-bouté à l’article 93 censé le protéger. Que pensez-vous de cette situation ? La société civile n’a-t-elle pas le sentiment que le gouvernement privilégie la justice ordinaire à la justice d’exception ?
La Haute Cour de Justice est prévue par la Constitution (article 92). Elle est impersonnelle et ne vise pas un individu en particulier (ici l’ancien Président Mohamed Abdel Aziz). Croire donc que l’Assemblée Nationale traîne des pieds parce que le dossier serait refilé aux juridictions ordinaires est sûrement une mauvaise perception.
Aussi, l’ancien Président, de bonne guerre, peut se cramponner à l’article 93 et exiger d’être jugé par la Haute Cour de Justice. Néanmoins, nous pensons que le problème d’immunité du Président et de l’impunité ne peut plus faire l’objet de débat (même de juristes) ; étant entendu que l’immunité du Président en exercice est un privilège de juridiction pendant la durée du mandat qui fait qu’au cours dudit mandat le Président ne peut être mis en cause que devant la Haute Cour (pour haute trahison).
Mais une fois que le Président n’est plus en exercice, il peut être poursuivi par les juridictions ordinaires. Aussi, à ce que nous savons, les faits reprochés à l’ancien Président Mohamed Abdel Aziz relève d’actes détachables de ses fonctions, lesquels actes sont passibles, sous tous les cieux, des tribunaux ordinaires. Bien entendu, en cas de controverse soulevée par sa défense, la justice tranchera d’abord cette exception préliminaire.
Pour le dernier volet de votre question, le gouvernement, c’est-à-dire l’Exécutif, ne peut privilégier ni la justice ordinaire ni la justice d’exception, comme vous dites. Ce n’est pas son rôle et il ne lui revient pas d’indiquer une quelconque orientation au juge ; le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs oblige…
La société civile est-elle satisfaite de la manière dont se déroulent les différentes enquêtes de la police économique et de la justice ?
En tout cas, à cette date, la société civile estime que la procédure suit son cours normal ; de la production du rapport de la CEP (Commission d’Enquête Parlementaire) à sa transmission à la justice et les enquêtes de la Police économique… Néanmoins, la société civile demande que la justice accélère le pas pour le procès de tous les prévenus et que le principe de la présomption d’innocence bénéficie à ces derniers tant qu’un tribunal normalement constitué ne les aura pas déclarés coupables et condamnés, chacun à la hauteur du forfait commis.
Propos recueillis par Dalay Lam