Le Calame - Dans la dernière quinzaine du mois de novembre 1970, en garnison à Fdérick et alors que je supervisais, à l’intérieur de la caserne, une séance d’instruction d’armement consacrée au fonctionnement de la mitrailleuse 12 .7 mm, j’ai été convoqué par le Commandant d’unité, le capitaine Niang Ibra Demba, dans son bureau.
Sans rien me dire, ce dernier me tendit un T.O. (télégramme officiel) de l’Etat-Major National qui lui annonçait ma mutation à la CQG (compagnie du quartier général) à Nouakchott, en qualité d’Aide de camp du président de la République. Il me félicita pour le choix qui a été porté sur moi pour cette honorifique mais surtout, précise-t- il, très sensible mission.
N’ayant jamais imaginé pouvoir être muté à cette fonction que je croyais plutôt réservée à des officiers plus mûrs comme le capitaine Boye Harouna qui y était à cette époque, je n’en éprouvais pas moins, secrètement, un sentiment de satisfaction que seule atténuait la crainte de ne pas être à la hauteur du défi.
Aujourd’hui répandue dans la quasi-totalité des pays, la fonction d’Aide de Camp était à l’origine, dans les traditions de l’Armée française dont nous avons hérité de certaines pratiques, une mission confiée à des cavaliers émérites chargés par les généraux de distribuer leurs ordres, de surveiller l’ordonnance des troupes et les questions d’intendance.
L’ombre du Président
Actuellement, chez nous comme ailleurs, l’officier Aide de camp du président de la République, ombre de ce dernier, lui assure une mission d’assistance générale et parfois de transmission d’ordres.
Moins d’une semaine après la réception de mon message d’affectation, je me retrouvais à Nouakchott dans le bureau du commandant Mohamed Mahmoud Ould El Houssein plutôt connu sous le nom de Hamoud Ould Naji, Chef d’Etat-Major de l’Armée Nationale, pour être briefé sur ma nouvelle mission.
Celle-ci requiert, selon le Chef d’Etat-Major, des qualités d’excellente présentation, de sociabilité, beaucoup de présence physique et d’esprit, de discrétion etc. Autant de qualités que je ne pouvais prétendre réunir mais dont l’énoncé par le CEMN m’engageait surtout à tout faire pour être digne de la confiance placée en moi.
Ma prise de service à la présidence était programmée pour le samedi 28 novembre 1970 où j’arrivai à 7 heures 45, en compagnie de mon prédécesseur et aîné le capitaine Harouna Boye, l’un des premiers officiers de notre Armée nationale et vétéran de la guerre d’Indochine au sein de l’armée française.
On peut s’ imaginer les mille et une questions que je me posais sur la manière dont je devais m’y prendre pour être à la hauteur de ces nouvelles fonctions et pour me tenir correctement , dans ce nouveau monde dont j’ appréhendais qu’il fût trop sophistiqué et guindé pour moi.
Au contraire, par sa chaleur humaine et sa simplicité, le premier contact avec le Président Moktar allait suffire pour me rassurer en partie.
La nature modeste de la maison qu’il habitait confortait ce premier sentiment : une villa, deux fois plus petite que celle du directeur du siège de la Miferma (actuelle SNIM) à Zouérate où j’étais précédemment en service. Elle jouxtait, à quelques dizaines de mètres, ce qui était censé être le palais présidentiel, très modeste lui aussi et d’ailleurs exclusivement réservé aux séances de présentation des lettres de créance des ambassadeurs étrangers et à l’hébergement des chefs d’Etats en visite dans notre pays.
Le premier climatiseur installé dans ce palais l’a été à l’occasion de la visite en 1971, du Roi Fayçal d’Arabie Saoudite.
Le train de vie de la famille présidentielle, la nature de ses visiteurs, souvent des parents et amis mauritaniens ou plus rarement étrangers, sinon des jeunes élèves, frères, neveux ou nièces de Monsieur le Président, achevaient assez rapidement de me rassurer, sur l’ordinarité de ces lieux que je savais si peu accessibles sous d’autres cieux.
Après avoir été brièvement présenté au président de la République, à la sortie de sa résidence, par mon prédécesseur, je les accompagnai pour la traditionnelle cérémonie de levée des couleurs qui ouvrait les manifestations commémoratives du dixième anniversaire de notre indépendance nationale.
Cette levée des couleurs était suivie d’une prise d’armes et d’une cérémonie de remise des médailles auxquelles assistaient les représentants de tous les corps constitués de l’Etat ainsi que tous les chefs de missions diplomatiques et consulaires accrédités dans notre pays. La prise d’armes était commandée, ce jour- là, par le capitaine Soueidat Ould Weddad, un autre pionnier et officier valeureux de note armée.
A dix heures, le président de la République devait prononcer, à l’Assemblée nationale, le traditionnel discours à la nation sous forme de bilan annuel de l’activité du gouvernement et des différentes réalisations accomplies par l’Etat, qu’elles soient achevées ou en cours d’exécution.
Le programme devait continuer avec les inaugurations des nouveaux projets et, dans l’après- midi, le lâcher des parachutistes dans la zone au sud de l’ancien aéroport de Nouakchott sur ce qui s’appelait en ce temps-là, « zoueirit parachutes» (la petite dune des parachutistes).
Décisions mémorables
Parmi les inaugurations phares de ce dixième anniversaire figurait, en bonne place, celle de la route Nouakchott- Akjoujt dont les travaux venaient de s’achever et qui constituait avec celle de Nouakchott - Rosso, longue de 203 kms et construite deux années plus tôt, les seuls axes bitumés sur l’ensemble des un million trente-cinq mille kilomètres carrés du territoire national.
Contrairement à d’autres pays anciennement colonisés par la France qui y avait réalisé une infrastructure routière plus ou moins acceptable, la Mauritanie ne comptait pas un seul kilomètre d’asphalte le 28 novembre 1960, jour de son accession à la souveraineté nationale.
Au cours de mon séjour au service du Président Moktar Ould Daddah, je devais assister à quatre autres cérémonies similaires, à l’Assemblée nationale, à l’occasion des anniversaires de l’indépendance.
L’une d’entre elles était particulièrement mémorable pour sa signification politique et économique pour notre pays. Il s’agit, en 1974 de la nationalisation de la société des mines de fer de Mauritanie, la MIFERMA qui devenait la SNIM (société nationale des industries minières) précédée en 1973 de la mise en circulation de la monnaie nationale, l’ouguiya, officiellement créée au mois de juin de cette année.
Aussi audacieuses l’une que l’autre, ces deux décisions marquaient une double volonté d’indépendance politique et économique des autorités nationales.
La première libérait notre pays de la tutelle financière exercée par l’ancienne puissance coloniale sur la devise CFA des pays de la sous-région ouest africaine à laquelle nous appartenions et la deuxième affirmait notre volonté d’exercer notre souveraineté pleine et entière sur l’exploitation de nos ressources naturelles dont le fer constituait à l’époque, avec la pêche, la plus grande richesse, jusque-là essentiellement exploitée par et au profit de puissantes sociétés étrangères.
Mon service auprès du Président Moktar se prolongera jusqu’au début du mois de mars 1975, soit 4 ans et 3 mois, équivalant à trois fois et demi la durée du séjour moyen de chacun des huit collègues officiers qui m’ont précédé dans cette fonction depuis 1960.
Durant ces 51 mois, j’ai sillonné avec lui la totalité des wilayas de notre pays comme je l’ai accompagné dans ses nombreuses visites de la quasi-totalité des pays arabes, de plus de trente pays africains, de la majorité des pays européens, aux Etats Unis, au Canada au Japon et au Pakistan.
Ce serait, on le voit, un euphémisme que de dire que le Président Moktar a beaucoup voyagé à travers le monde durant cette période mais je suis bien placé pour témoigner que c’était toujours pour de bonnes raisons et dans la plus grande sobriété pour lui-même et pour tous ceux qui avaient l’honneur de l’accompagner au cours de ces périples où il n’avait eu de cesse de porter haut l’image de la Mauritanie et de servir les grandes causes arabe et africaine (question palestinienne, décolonisation de l’Afrique ), notamment lors de la présidence par notre pays, en 1971- 72, de l’Organisation de l’Unité Africaine.
Qu’il s’agisse en effet, de visites d’Etat, de travail, d’amitié ou même de grands périples à travers de nombreux pays pour plaider les grands dossiers relatifs à la décolonisation et dont l’un avait duré plus de trente jours successifs, le Président Moktar, qui voyageait sans le moindre agent de sécurité rapprochée et sans maître d’hôtel, s’est toujours imposé, comme à toutes les délégations qui l’accompagnent, un régime sec sur le plan financier.
Avec lui, pas de frais de mission. Seule une petite provision, un montant confié à quelqu’un de son entourage immédiat, permettait, le cas échéant, de payer les frais d’hébergement et de restauration des membres de délégations lorsqu’ils ne sont pas pris en charge par le pays hôte.
En plus des petits pourboires donnés au personnel de service des hôtels, cette provision servait aussi, de temps à autre, à secourir des compatriotes, étudiants ou autres, trouvés en détresse dans les pays visités.
Destination privilégiée
En tout état de cause, le Président Moktar veillait à ce que toute opération effectuée sur ce montant soit systématiquement notée et justifiée sur un état de dépense dont il certifiait, lui-même, la conformité, par sa propre signature, avant d’être envoyé au trésor public, accompagné, le cas échéant, du reliquat de cet argent contre quitus.
La moindre liberté faite avec la gestion de ces montants était systématiquement sanctionnée par une lettre de mise en demeure signée par le Président lui-même et adressée au détenteur de cette provision , pour exiger le remboursement des dépenses non justifiée.
C’est ainsi qu’un beau matin, six à sept mois avant mon départ de cette fonction d’Aide de Camp et à la veille d’un déplacement que nous devions effectuer en Tunisie, le Directeur de cabinet du Président, Abdel Aziz Ould Ahmed, m’appela dans son bureau pour me dire que le patron avait décidé que je devienne l’argentier de la délégation et qu’il fallait, pour cette raison, passer à la banque centrale pour décharger la contre-valeur d’un montant de quatre cent mille ouguiyas en travelers- chèques dollars.
Je priai instamment le directeur de cabinet de remercier de ma part monsieur le Président pour sa confiance, mais de lui demander de m’épargner cette mission car, avec mon salaire mensuel de 16.000 ouguiyas, que je dépensais souvent avant le 5 du mois, il n’était pas forcément prudent de me confier cette petite cagnotte.
Dans l’après-midi, Abdel Aziz devait m’appeler de nouveau pour me dire qu’il avait rapporté mes propos au Président mais que ce dernier n’avait rien voulu savoir et qu’il fallait donc aller à la banque pour prendre possession de la provision dont il m’avait parlé le matin.
Je m’exécutai sans enthousiasme mais surtout en me posant cette question lancinante : comment et où vais-je pouvoir garder cet argent que je ne pourrais pas rembourser en cas de perte ou de vol ?
Le lendemain, vers 13 heures, arrivés à Monastir en Tunisie et juste après avoir installé monsieur le Président dans sa suite d’hôtel, ce dernier me retint un moment pour me dire : lieutenant, Ezzi ( le sobriquet qu’il donnait à Abdel Aziz Ould Ahmed ) m’a bien rapporté vos scrupules au sujet de la gestion de la provision.
Mais rassurez-vous, ma confiance est totale et tout ce que je vous demande, comme d’ailleurs à ceux qui vous y ont précédé, c’est, s’agissant de deniers publics, de m’apporter à chaque fois un état justificatif des dépenses qui y ont été effectuées, que je dois certifier et que vous devez rapporter avec, le cas échéant, le reliquat du montant, pour recevoir un quitus du trésorier général.
Je le remerciai encore une fois de sa confiance et promis de faire de mon mieux pour me conformer à ces instructions.
Au cours de la période qu’aura duré ma mission auprès du Président MOD, notre pays, en dépit de la modestie de ses moyens et de son infrastructure d’accueil particulièrement dérisoire, n’a pas cessé d’être une destination privilégiée pour les nombreuses visites officielles non seulement de chefs d’états de pays arabes et africains mais aussi d’autres illustres hôtes, rois, princes et présidents du monde entier.
Au risque d’en oublier quelques-uns, je citerai parmi ceux qui ont visité la Mauritanie durant mes quatre années et trois mois de mission d’Aide de Camp, les rois, prince et présidents suivants : le roi Fayçal d’Arabie saoudite, le roi Norodom Sihanouk et la reine Monique du Cambodge, le prince Moulaye Abdellah du Maroc, les présidents Pompidou de la République française, Senghor du Sénégal, Sékou Touré de Guinée, Diori Hammani du Niger, Houari Boumediene d’Algérie, Bourguiba de Tunisie, Kadhafi de Libye, Zayed Ben Sultân Al Nahyane des Emirats Arabes Unis , Gowon du Nigéria, Mobutu du Zaïre, Bongo du Gabon, Ahidjo du Cameroun, Ngouabi du Congo Brazzaville, Amilcar Cabral Président du PAIGC, Moussa Traoré du Mali.
(A suivre)
/Par Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine