Entretien avec Philippe Poinsot, coordonnateur résident des Nations Unies au Maroc
ALM : La migration est une problématique importante pour les pays de l’Afrique mais aussi pour les pays européens. En tant que représentant d’une organisation onusienne, quel regard portez-vous sur cette problématique ?
Philippe Poinsot: Le premier regard c’est de dire que la migration est une réalité. Elle fait partie intégrante de l’histoire de l’humanité. Partant de là, il faut donc se doter de mécanismes qui permettront de bien la gérer. C’est d’ailleurs l’idée derrière le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui sera adopté à Marrakech. Après, si on regarde plus vers les détails, la question des migrants est intrinsèquement liée aussi à une question plus large qui est celle des droits humains. Les droits de l’Homme s’appliquent à tous quel que soit le statut de la personne y compris les migrants et les apatrides. Il y a un certain nombre de droits qu’il faut donc appliquer. C’est la responsabilité des États de faire en sorte que les personnes qui se trouvent sur leur territoire dont ils ont la responsabilité puissent bénéficier de ces droits. Mais au-delà de cette question des droits humains, des droits de l’Homme, des droits à l’accès aux soins de santé, des droits à l’éducation… il y a d’une manière plus générale le besoin grandissant d’une meilleure coopération entre les Etats pour que cette migration se fasse de manière sûre, ordonnée et régulière. Parce que ce qu’on ne voudrait pas c’est que la migration irrégulière et avec elle tout ce qu’on a pu voir comme dérives comme le trafic d’êtres humains ou encore la traite des personnes, soit la façon à travers laquelle la migration se manifeste. Par conséquent, le meilleur moyen pour éviter cette migration irrégulière (qui est dangereuse pour les migrants en particulier), c’est de faciliter des migrations sûres, ordonnées et régulières, tout en réduisant l’incidence et les répercussions négatives de la migration irrégulière grâce à la coopération internationale et à l’ensemble des mesures proposées dans le Pacte mondial.
Certains États se montrent réticents à la question de la migration, comment les convaincre d’adopter ce Pacte ?
On a d’ores et déjà une majorité d’États disposée à adopter le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui, rappelons-le, n’est pas contraignant. Pour ceux qui sont encore hésitants, je pense qu’il y a d’abord un gros travail de plaidoyer à faire pour leur expliquer les finalités de ce document. On a lu beaucoup de fausses informations à ce sujet comme le fait que ce Pacte s’oppose à la souveraineté des États, ou bien qu’il va augmenter la migration. Tout cela est faux. Ce document n’est pas là ni pour augmenter la migration ni pour la stopper. On a entendu dire aussi que le Pacte revient à abolir des frontières. C’est également faux. Dans ce sens, il y a un certain nombre de contrevérités qu’il va falloir rapidement clarifier.
Au-delà du plaidoyer, que faut-il faire ?
Au-delà du plaidoyer, je pense qu’il va falloir apporter plus de données factuelles sur les bénéfices de la migration et sur les chiffres eux-mêmes de la migration. Parfois on parle de concepts mais sans avoir vraiment une bonne connaissance de l’ampleur du phénomène. Or quand on regarde les quelques chiffres dont nous disposons, la migration dans son ensemble est intercontinentale mais aussi intracontinentale. En l’occurrence, il va falloir débattre autour des chiffres réels qui montrent qu’en réalité même si c’est un phénomène qui doit être géré, contrôlé et régulé, on n’est pas dans une situation aussi catastrophique que certains voudraient le laisser entendre.
Par quels moyens accompagnez-vous la politique du Maroc en matière migratoire par exemple ?
Le Maroc a la particularité d’être à la fois un pays d’origine, de transit et d’accueil et a plusieurs réponses à trois problématiques différentes en réalité. C’est vrai que le système des Nations Unies pour le développement ici accompagne la Stratégie nationale d’immigration et d’asile. Ça c’est pour tout ce qui concerne les migrants qui sont sur le territoire marocain, que ce soit de manière régulière ou irrégulière. C’est un travail qu’on fait avec le ministère de la migration. Mais le problème plus large que pose votre question c’est celui des conditions de développement qui poussent parfois les personnes à quitter leur pays d’origine. Et là ça renvoie au lien entre les objectifs de développement durable et la migration. Les Etats membres se sont engagés à réaliser cette course contre la montre pour réaliser ces 17 objectifs de développement durable d’ici 2030. Mon souhait c’est qu’un maximum de ressources et d’efforts puisse aller à des activités de développement qui permettent d’accélérer l’atteinte de ces objectifs plutôt que de chercher à mettre en place des mesures qui vont chercher à gérer l’urgence que l’on connaît quant il y a un phénomène de flux migratoire.
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