Pour planter le décor, il est important de rappeler que les Accords de Partenariat Economique (APE) sont des accords de libre-échange qui remplacent le régime commercial unilatéral qui a régi les relations commerciales entre l’UE et les pays ACP durant plus de quarante ans, à travers les conventions successives de Lomé, et depuis 2000, dans le cadre de l’Accord de partenariat de Cotonou.
Ce régime de préférences unilatérales n’était pas compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) car il accordait un traitement préférentiel aux pays ACP mais pas aux autres pays en développement non ACP.
Ces préférences accordées aux ACP nécessitaient une dérogation aux règles de l'OMC, puisqu'elles ne respectaient pas l'article I du GATT relatif au traitement de la Nation la Plus Favorisée (NPF) et n'étaient pas non plus couvertes par la disposition de l'OMC dite "clause d'habilitation pour le système de préférences généralisées (SPG) » sauf pour les Pays les Moins Avancés (PMA).
En effet, selon la clause de la nation la plus favorisée, des concessions commerciales préférentielles ne peuvent être accordées par un pays (ou une région) membre de l’OMC à un autre pays (ou région) même non membre, sans que ce soit étendu à tous les autres pays membres, sauf dans les deux cas suivants:
si la préférence est accordée à l’ensemble des pays en développement ou à l’ensemble des pays les moins avancés (PMA) – clause d’habilitation;
(ii) si cette concession est réciproque et s’inscrit dans un accord de libre échange – article XXIV du GATT;
Ces nouveaux accords commerciaux (APE) concernent six zones géographiques (l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale, l’Afrique de l’Est, l’Afrique australe, des Caraïbes et le Pacifique) avec chacune desquelles l’UE va négocier des accords bilatéraux de libre échange en conformité avec les textes fondateurs de l’OMC. L’objectif est l’insertion des Etats ACP dans l’économie mondiale.
Dans chacune de ces régions, coexistent des pays à statuts différents : les pays moins avancés (PMA) et des pays à revenus intermédiaires. Exceptés, le Cap Vert, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigéria, les 11 autres membres de la CEDEAO plus la Mauritanie sont des PMA.
3 pays d’Afrique de l’Ouest (non PMA) – Nigéria, Côte d’Ivoire et Ghana- concentrent 87% des exportations de la sous région vers l’UE et ont un intérêt à améliorer leur accès au marché de l’UE.
Le Nigéria se détache comme acteur politique et économique de poids. Sa population représente la moitié de la population de la sous-région. Il représente 65% des exportations de la région vers l’UE.
La Côte d’Ivoire et le Ghana ont ratifié leurs APE intérimaires durant l’été 2016. L’APE Côte d’Ivoire est en application provisoire depuis le 4 septembre 2016 et celui du Ghana depuis le 16 décembre 2016.
Le Nigéria (moins dépendant des exportations avec l’UE) bénéficie dans le cadre du Système de Préférences Généralisées (SPG) de l’UE, d’une réduction des droits de douane européens sur environ 1/3 des lignes tarifaires et d’une exemption totale des droits de douane sur 1/3 de lignes tarifaires supplémentaires.
Sous ce régime, le Nigéria exporte, sans droits de douane, ses produits pétroliers qui représentent 95% de ses exportations totales vers l’UE. Il y a donc peu de chances de voir le Nigéria signer l’APE dans le court terme.
Après plus d’une décennie de négociations, un accord régional avait été paraphé par l’ensemble des parties UE-AO, le 30 juin 2014 à Ouagadougou. L’Accord de Partenariat Economique (APE) avait été signé côté européen, le 12 décembre 2014. Il avait été signé par presque tous les États ouest-africains en décembre 2014.
Seuls le Nigéria, la Gambie et la Mauritanie n’avaient pas signé le texte. Mais ces deux derniers pays ont finalement rejoint le groupe des signataires, respectivement le 10 août et le 22 septembre 2018, et ce malgré les alternatives offertes aux PMA, dans le cadre du commerce international, et qui les permettaient de ne pas signer les APE comme nous allons le montrer dans les paragraphes suivants.
Le traitement spécial et différencié (TSD) en faveur des PED
Il est important de souligner ici que plus des trois quarts des Membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) font partie des pays en développement ou des pays les moins avancés. Tous les Accords de l’OMC contiennent des dispositions spéciales à l’intention de ces Membres.
L'une des principales décisions résultant du Tokyo Round, adoptée par les PARTIES CONTRACTANTES, le 28 novembre 1979, a été la "Décision sur le traitement spécial et différencié (TSD) en faveur des PED appelée « clause d’habilitation » qui stipule que « les parties contractantes peuvent accorder un traitement différencié et plus favorable aux pays en développement sans l’accorder à d’autres parties contractantes……, » nonobstant les dispositions de la clause relative au régime de la NPF du GATT.
Dans le cadre de la cause d’habilitation, les PED peuvent également former des arrangements commerciaux préférentiels entre eux. Dans ce cas, les préférences ne sont pas tenues d’aboutir à une véritable Zone de Libre Echange ou Union Douanière, et des préférences partielles pour un sous-ensemble de produits sont permises.
La portée de la Clause d'habilitation a été élargie en 1999 par l'introduction d'une dérogation appelée « Préférences tarifaires en faveur des pays les moins avancés », autorisant les pays en développement à accorder des préférences tarifaires pour les importations en provenance des pays les moins avancés.
Cependant, cet accès préférentiel des PED aux marchés des pays développés devrait se faire sur une base non réciproque et non discriminatoire (consolidant la dérogation antérieure de 1971 relative au SGP).
Avant le Cycle d'Uruguay, la flexibilité prévue dans les règles commerciales visait principalement la protection des branches de production naissantes et la non-réciprocité dans la libéralisation des échanges (notamment par le biais des schémas SGP).
Le TSD dans les Accords de l'OMC est axé essentiellement sur les catégories additionnelles, y compris les périodes de transition, les dispositions en faveur des PMA et les dispositions relatives à l'assistance technique.
Le Système des Préférences Généralisées (SPG)
La Communauté européenne a été la première à appliquer ce système dans le cadre d'un schéma entré en vigueur le 1er juillet 1971. Aujourd’hui, le SPG de l’UE comporte trois régimes (SPG général, SPG+ et TSA).
Un régime général dit « standard » qui prévoit une réduction des droits de douane pour environ 66% des lignes tarifaires (accès sans droit ni quota pour les produits non sensibles, réduction des droits pour les produits sensibles) en faveur des pays en développement considérés comme vulnérables.
Un régime spécial (SPG+) d’encouragement en faveur du développement durable et de la bonne gouvernance qui accorde un accès sans droit ni quota sur 66% des lignes tarifaires (y compris les produits sensibles). La durée de chacun de ces régimes (SPG et SPG+) est de 10 ans.
Le régime Tout sauf les armes (TSA) a été adopté en février 2001. Une initiative de l’UE qui vise à éliminer les contingents et droits de douane pour la totalité des produits, à l'exclusion des armes, importés des PMA (49). Les PMA comptent 33 pays d’Afrique, 10 pays d’Asie, 5 pays de la zone Pacifique et 1 des Caraïbes (Haïti). Il s’agit de la tranche la plus généreuse.
Malgré l’entrée en vigueur de cette initiative en 2001, peu des pays PMA ACP l’ont utilisée pour exporter vers l’UE à cause des préférences consenties par l’accord de Cotonou (règles du cumul plus favorables). Les règles d’origine prévues par le régime TSA étant plus restrictives, il ne sera plus possible pour un PMA d’utiliser à volonté, des matières premières originaires d’un pays voisin ou de la CEDEAO dans la fabrication d’un produit local, sans que ce dernier ne perdre le caractère originaire.
La durée de l’initiative TSA est illimitée. Il faut relever son caractère stable dans la mesure où la TSA est dispensée des modifications lors des réexamens périodiques du système généralisé de préférences de l’Union européenne.
Les mesures de sauvegardes et autres protections…
L’économie de la Mauritanie, qui négocie l’APE avec le groupe CEDEAO, se caractérise par une forte concentration des exportations (minerais de fer). En matière de commerce, le pays est très ouvert, avec des clients et des fournisseurs diversifiés. Membre d’un seul ensemble économique, l’Union du Maghreb Arabe (UMA), la Mauritanie est l'un des rares Membres de l'OMC à n'accorder de tarifs préférentiels à aucun pays.
Les pays européens demeurent les principaux fournisseurs et clients de la Mauritanie, avec 34,3 % de l’origine des importations et 44,4 % des exportations. La chine est en train de se positionner comme un partenaire stratégique. La part du continent africain dans les échanges avec la Mauritanie est en nette amélioration.
Par destination, les exportations sont majoritairement orientées vers l’Europe (44,4 %), l’Asie (41,6 %) et l’Afrique (13,2 %). Les exportations sont composées essentiellement de minerais de métaux (52,8 %) et de produits de la pêche (46,7 %).
Selon l’origine des importations, les fournisseurs de la Mauritanie sont l’Europe (34,3 %), l’Amérique (27,7 %), l’Afrique (12,8 %), l’Asie (16 %) et le Moyen Orient (9,2 %). Les principaux produits importés d’Europe sont constitués de biens d’équipement (31,5 %) des produits pétroliers (23,3 %), de produits alimentaires (21,1 %) et de matériaux de construction (9,1 %).
Pour tirer le maximum d’avantages des APE, nombre d’experts encouragent la Mauritanie à s’aligner sur le Tarif Extérieur Commun (TEC) de la CEDEAO dans le cadre d’un accord d’association ou d’une intégration plus poussée.
L’accord APE conclu est asymétrique en matière de concessions commerciales : la libéralisation des échanges, côté ouest-africain, couvrira 75% des lignes tarifaires. Elle sera échelonnée sur 20 ans dont les premières 5 années sans aucune réduction tarifaire.
25% des lignes tarifaires ouest-africaines sont traitées comme sensibles et ne seront donc pas libéralisées. Notamment, 43 % des produits agricoles ne sont pas libéralisés dont les viandes, les produits de la pêche, certains légumes, les céréales, le cacao et préparations à base de cacao, les pâtes etc. D’autres produits industriels comme le ciment, les textiles et habillement ne seront pas non plus libéralisés.
Théoriquement, l'Afrique de l'Ouest devrait exclure tous les produits, essentiellement agricoles, qui sont considérés les plus sensibles et qui sont soumis à un taux de 35% sous le TEC de la CEDEAO. Seront aussi exclus de la libéralisation environ la moitié des produits, également en partie agricoles, soumis à un taux de 20% sous le TEC de la CEDEAO. La liste des produits sensibles se négocie dans le cadre d’une offre Régionale.
Le choix des produits du groupe D qui devront être exclus du schéma de libéralisation obéit à un certain nombre de préoccupations : le souci de protection des entreprises de la région, le souci de préservation du budget des Etats, Le souci de sauvegarde du potentiel industriel ou entrepreneurial local, etc.
La région Afrique de l’Ouest représentait plus de 38% du volume des échanges entre l’UE et les pays ACP en 2014.
L’UE importe principalement d’Afrique de l’Ouest: produits agricoles (cacao, banane, ananas, bois, etc.) ; Pêche ; produits pétroliers. L’UE exporte essentiellement : des Équipements industriels et des Véhicules.
L’UE offrira un accès total, sans droit de douane ni quota, à tous les pays de la région dès la date d’application provisoire de l’accord. L’accord porte à ce stade uniquement sur les échanges de marchandises et ne couvre ni l’investissement, ni les services qui font l’objet d’une clause de rendez-vous, tout comme la propriété intellectuelle.
Dans la perspective de l’APE, la CEDEAO a négocié, en parallèle entre ses membres, un tarif extérieur commun qui est entré en vigueur le 1er janvier 2015.
Des mesures de sauvegarde du TEC de la CEDEAO seront incorporées dans l’APE, offrant ainsi à chaque pays la possibilité de protéger sa production intérieure en cas de nécessité:
des droits et taxes à l’exportation (promotion d'industrie naissante, protection de l'environnement …);
des mesures de sauvegardes bilatérales pour une période limitée (dommage grave de l’industrie domestique…);
des mesures de protection d’une industrie naissante provisoires (suspension de la libéralisation ou augmentation du droit de douane sur le produit concerné);
L’APE prévoit une « clause de non-exécution » à l’article 105 de l’APE : cela induit qu’en cas de violation grave de ces éléments essentiels de l’Accord de Cotonou, les parties peuvent engager une procédure de consultation gouvernementale au titre de l’article 96 ou 97 de l’Accord de Cotonou et, en dernier ressort, suspendre les préférences commerciales découlant de l’application de l’APE.
L’APE Afrique de l’Ouest comprend une clause de rendez-vous à l’article 106 en vertu de laquelle les parties conviennent de poursuivre les négociations sur le développement durable parmi d’autres sujets (investissement, services etc.).
Au niveau financier, la CEDEAO a obtenu de l’UE un engagement financier d’un montant de 6,5 milliards d’euros, dans le cadre de son APE, par le biais du Programme APE pour le développement, le PAPED.
Une fois l’APE signé par toutes les parties la procédure de ratification pourra débuter (approbation du Parlement européen, ratification des 2/3 des États africains).
L’APE UE-Afrique de l’Ouest, au-delà du comité conjoint chargé de la mise en œuvre de l’accord, prévoit un comité consultatif qui a pour vocation de promouvoir le dialogue entre les partenaires économiques et sociaux des deux parties sur les aspects économiques, sociaux et environnementaux.
Les principales caractéristiques des APE
Initialement, les APE devraient couvrir les questions tarifaires c’est-à-dire l’agriculture et les industries, mais aussi les questions non tarifaires autrement dit les services (hors culture et audiovisuel). À cela nous pouvons ajouter les sujets de Singapour (investissement, concurrence, facilitation au commerce et marchés publics).
Pour le moment, les APE négociés ne couvrent que les marchandises (sauf dans le cas des Caraïbes où l’APE concerne également les services, les investissements et les autres questions liées au commerce);
Un Accord de libre échange : L’APE prévoit le passage du système de préférences commerciales non réciproques accordées par l’UE aux pays ACP à un nouveau système caractérisé par la réciprocité.
L’aide financière : Elle constitue un élément déterminant des APE qui doivent contribuer à supporter les coûts de l’ouverture commerciale et des ajustements nécessaires.
Des Accords régionaux : article 35.2 de l’Accord de Cotonou « la coopération économique et commerciale se fonde sur les initiatives d’intégration régionale des Etats ACP, considérant que l’intégration régionale est un instrument clé de leur intégration dans l’économie mondiale ».
La flexibilité : La négociation d’APE sera flexible sur les questions suivantes :
le calendrier d’ouverture progressive;
La préservation des acquis;
La mise en place d’une durée de transition suffisante;
L’amélioration de l’accès au marché des produits ACP « par le biais notamment du réexamen des règles d’origine »;
La couverture finale des produits compte tenu des secteurs sensibles;
Le degré d’asymétrie pour le démantèlement tarifaire.
Avantages des APE
Réduction du prix des biens de consommation importés de l’UE (après la mise en œuvre de l'APE, les importations de l'Union européenne sont rendues moins chères par rapport au reste du monde, compte tenu de la suppression du droit de douane) ;
Baisse des coûts de production industrielle (libéralisation des intrants et des biens d’équipement) ;
Dans un contexte concurrentiel, l’intégration régionale pourrait stimuler la création d’alliances entre entreprises de différents pays (CEDEAO), qui chercheront à faire face à la concurrence des entreprises européennes et à améliorer la qualité des produits exportés vers l’UE et aussi à l’intérieur de la CEDEAO (Faivre - Dupaigre et al. 2004 ; Lawrence et al. 2005) (P.C.I. International Consulting, 2004);
L'APE permettra d'améliorer la compétitivité en induisant un transfert de la taxation de porte vers la taxation intérieure (TVA) qui ne taxe plus la production (intrants, bien d'équipement) ni les pauvres (médicaments, matériaux scolaires). Cependant, les droits de douanes sont plus faciles à collecter que les de taxes domestiques, comme la TVA;
Arrêt des subventions de l'UE à l’exportation pour les produits agricoles exportés vers les marchés d’Afrique de l’Ouest (l’UE s’est engagée à le faire);
En favorisant le commerce et l'investissement étranger direct, l'APE devra faciliter un faire un transfert de savoir faire et des technologies vers l'Afrique de l'Ouest. D’où des opportunités nouvelles pour des investisseurs étrangers intéressés à produire et commercialiser sans droit de douane sur l’UE et les différentes zones ACP;
Les tarifs élevés actuels favorisent la contrebande et la corruption et les recettes théoriques se volatilisent souvent en raison des dérogations et des irrégularités. Une baisse des tarifs aurait un effet dissuasif sur de telles pratiques;
Dans le cadre des APE, les règles d'origines ont été améliorées et le cumul étendu. Elles ont été simplifiées pour certains produits agricoles et pour le textile, ce qui va impulser le potentiel de production de la région et d'exportation vers l'UE dans ces secteurs;
Globalement, les APE apportent plus de garanties en termes se sécurité juridique et de stabilité pour les entreprises et les investisseurs.
Inconvénients des APE
Manque à gagner fiscal pour les États (les droits de douane constituent en moyenne 25 % des revenus des gouvernements africains);
La diminution des ressources de l’Etat se fera au détriment des dépenses et investissements sociaux : éducation, santé, infrastructures publiques, protection de l’environnement, etc.;
Le transfert d’une fiscalité de porte vers une fiscalité intérieure portant sur les seules entreprises du secteur formel risquent, selon plusieurs études, de dégrader la compétitivité du secteur formel et donc du secteur agroalimentaire moderne ;
Risques sur plusieurs activités de substitution d’importations ; la concurrence des produits européens pourrait s’opérer de différentes façons : directement de produit à produit, indirectement ou via la substitution ;
Les importations en provenance de l’Europe sont constituées de produits qui peuvent concurrencer des productions locales ouest africaines (cas des importations de viandes de volailles, de pommes de terre ou de lait) ou en perturbant les flux régionaux fondés sur les complémentarités des bassins de production (cas de l’oignon, du bétail et des viandes bovines, du maïs, etc.);
Une substitution accrue est à craindre pour le riz, remplacé par la farine de blé et les huiles de palme remplacées par d’autres huiles végétales importées d’Europe;
Risque sur l’intégration régionale (la Mauritanie comme certains pays de la CEDEAO pourraient se détourner des importations de la sous-région pour s’approvisionner auprès de l’UE) ;
L’Afrique au Sud du Sahara est la première région des intentions d’investissements dans le monde selon plusieurs études. L’APE risque de réduire cette perspective en confinant cette région aux investisseurs européens;
D’autres grands partenaires de l’AO seront tentés d’exiger les mêmes faveurs que celles accordées à l’Europe. Cela pourrait être le cas des américains avec la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA);
Les différentiels de compétitivité entre l’agriculture familiale des pays du Sud et l’agriculture des pays industrialisés favorisent les exportations agricoles de ces derniers. Ainsi les paysans du sud seront induits à se spécialiser sur quelques produits d’exportation non vivriers (ex. café, cacao), ce qui peut augmenter considérablement les risques de crise alimentaire;
Dans le cas où l’UE ne respecte ses engagements ; ses produits, fortement subventionnés, risquent de déstabiliser cette agriculture et induire une baisse des revenus pour les éleveurs et les producteurs (lait et viande) locaux.
Conclusion
Aujourd’hui, un constat s’impose : dans le cadre de la libéralisation généralisée du commerce mondial, à travers des accords tant multilatéraux (cycles successifs du GATT / OMC) que bilatéraux, les préférences sont soumises à une érosion lente mais continue et inéluctable. Il semble qu’à moyen terme, plus de 60% des importations de l’UE seront couvertes par accord commercial bilatéral. 35 pays et 12 ensembles régionaux (65 pays au total) ont signé des accords bilatéraux avec l'UE (Direction générale du Commerce, Commission européenne).
Rares sont les pays auxquels l’Union européenne n’accorde pas d’accès préférentiel à son marché, que ce soit au travers d’accords réciproques ou pas (tel que le Système de Préférences Généralisées, destinés à de nombreux pays en développement).
En effet, l’UE a multiplié les négociations avec d’autres ensembles régionaux avec la perspective de mettre en place des accords régionaux de libre échange ou des accords d’association. Dans tous les cas, elle accordait des préférences commerciales pour l’accès à son marché en contrepartie d’un accès facilité pour ses exportations vers ces nouveaux partenaires. Mécaniquement, cela entraîne une diminution de la « marge préférentielle » des ACP, ce que l’on appelle l’érosion des préférences.
Ainsi, dans bien des cas, les tarifs préférentiels ne confèrent pas à la Mauritanie des avantages substantiels par rapport au tarif de la nation la plus favorisée. A titre d’exemple, des cinq principaux produits d’exportation mauritaniens (classification à six chiffres du SH), le tarif NPF est de zéro dans l’UE. Ce qui veut que la préférence accordée à ces produits sur le marché de l’UE est la même que celle qui est accordée aux mêmes produits venant reste du monde. En effet, la marge préférentielle par unité de produit exporté vers un pays importateur donné est la différence entre le droit de la Nation la Plus Favorisée (NPF) valable pour tous les pays, et le droit préférentiel pour ce produit.
Aujourd’hui, l’Europe propose d’ouvrir son marché à 100 % (contre 97 % déjà acquise) ; en contrepartie, elle demande au bloc Afrique de l’Ouest plus la Mauritanie de libéraliser au moins 75 % de leur marché suivant un calendrier négocié.
Seul bémol, et pas des moindre, la région ouest africaine n'a pas su tirer, par le passé, pleinement profit des opportunités commerciales offertes par la libéralisation des marchés mondiaux à cause d’un manque criant de capacités productives et une qualité insuffisante de l’offre. Il est clair que les entreprises de cette région du continent éprouvent des difficultés énormes d’adaptation aux exigences de compétitivité liées à la mondialisation des échanges, notamment la conformité avec les Accords de l’OMC qui gouvernent le système commercial multilatéral (SCM), en particulier ceux sur les Obstacles Techniques au commerce (OTC) et sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS).
Ceci est d’autant plus vrai que ces pratiques commencent à devenir de véritables contraintes compte tenu de l’exigence des consommateurs européens face aux risques sanitaires et environnementaux. En effet, les mesures normatives introduites par le partenaire européen pénalisent considérablement les exportations ouest africaines qui doivent intégrer des coûts supplémentaires.
Il s’avère donc que la ratification des APE ne sera pas chose facile car de nombreux obstacles risquent de se dresser encore devant l’UE et ses partenaires ouest africains, notamment la mise en place de la liste unique des produits sensibles et l’épineuse question de la clause NPF que l’UE pourrait exiger de ses partenaires…réduisant ainsi leur marge de négociation avec le reste du monde.
Épouvantail ou réel Accord de partenariat, l’APE n’a encore livré que la face émergée de l’Iceberg, et seul l’avenir nous édifiera sur cette question.
Mohamed Ahmed ELKORY
Economiste/Expert en propriété Intellectuelle