Ce samedi 1er septembre 2018 représentait une importante journée électorale puisque s’y déroulait trois scrutins simultanés. Un test pour les électeurs, mais aussi pour le pouvoir et l’opposition (dans sa diversité). A l’instar de toute élection, il y’a diverses raisons pour un électeur d’accorder son vote à un candidat. Alors, faut-il négliger le ‘’Needo ko bandum’’ dans une société comme la nôtre, cette société mauritanienne dans laquelle nous évoluons, qui est profondément traditionnelle et surtout minée par des divergences entre les communautés, entre gens de même communauté ou tribu, voire entre les habitants d’un même village ?
Dans ce climat de faiblesses et de guéguerres, de conflits entre les générations où la modernité flirte avec les traditions, le tout couronné par la pauvreté et une grande ignorance, ce concept a bel et bien un sens. Car dans une situation chaotique, chacun cherche ses siens.
Permettez-moi un petit rappel sociologique, pour replacer le sens de ce concept dans son contexte naturel.
La société Mauritanienne, comme la plupart des sociétés africaines est basée sur le communautarisme, qui est cette logique de vivre ensemble, sur la base du partage d’une même identité culturelle, ethnique et même religieuse, avec une forme d’organisation qui définit les normes sociales, Celles-ci sont tellement ancrées, que les valeurs qu’elles portent prennent une portée sacrée : la force du lien de parenté, la parole d’honneur, du sens de la famille, de la communauté, de la tribu… « Les nôtres » constitue le référent existentiel pour toutes les communautés mauritanienne (peuhl ; wolof, soninke, maure, haratine et bambara).
La sacralité de la parenté est telle que nos systèmes sociaux sont largement régie et structurés par cette valeur dont les mariages endogamiques favorisent la consolidation et la pérennisation. Le fameux adage « les cousins sont faits pour les cousines » est une illustration à peine banalisée de la règle de conduite matrimoniale.
Face à une société structurée de la sorte, c’est politiquement suicidaire de ne pas tenir compte de cet aspect important qu’accordent les populations aux liens de parenté qui lient les uns aux autres, qui demeure jusqu'à nos jours le moyen le plus efficace pour avoir ‘’des voix’’ dans nos localités. Le pouvoir l’a bien compris et y ruse bien pour rafler des voix. Par exemple, le jour du vote, j’ai rencontré un ami avec lequel j’ai partagé les bancs au lycée, me demandant de voter pour « son parent » en me sortant comme argument « nezzo fof ine anndi nburdo baaba mum, kono ko baaba mum mburani dum » c’est-à-dire chacun connaît qui est mieux que son père, mais il préfère son père. Un argument pour justifier le choix du candidat basé sur la parenté uniquement.
Allez dans les villages à l’intérieur du pays, voyez par quelle facilité les politiciens caressent les sensibilités des personnes à travers cette arme. retournable qu’est la parenté. Nul besoin d’un programme, encore moins d’un bilan pour les candidats sortants Non, le programme n’est pas si important, ce qui importe, c’est ce que le candidat représente pour la personne.
Ainsi, nos politiciens biens rusés font du porte à porte pour expliquer leurs désirs de régner (des fois même basés sur des hiérarchies sociales, où ce sont les familles dites ‘’nobles ‘’ qui ont le pouvoir politique tel que cela a toujours été depuis le temps de nos chefferies traditionnelles), en plus, ils expliquent surtout et beaucoup plus le sens ‘’ nezzo ko bandum ‘’, c'est-à-dire la personne en face de toi a le devoir moral de voter pour toi, car c’est ton sang, ta famille, ta communauté. Face à cette valeur du respect de la parenté, beaucoup vont voter consciemment, mais, pour la plupart inconsciemment contre leurs intérêts et l’intérêt de la commune ou de la région, car la famille/parenté passe avant tout !
Comprendre le sens de la parenté chez nous aidera peut-être à comprendre la logique du vote en Mauritanie et surtout cela orientera le travail de l’opposition vers des stratégies plus adaptées. Cela nous évitera d’être surpris de voir un maire, élu puis réélu, régner sur son fief électoral pendant plus de dix ans malgré l’absence de changement positif dans sa commune.
Le défi pour les politiciens, pour ceux qui sont soucieux du changement et de l’amélioration des conditions de vie des populations bien sûr, c’est vraiment faire un travail de conscientisation populaire. Quand je dis conscientisation populaire, c’est d’abord de faire comprendre “aux nôtres” que la politique, ce ne sont pas ces hommes et ces femmes rusés qui profitent de nous, de nos liens de parenté pour régner, mais plutôt un système participatif qui aidera à améliorer nos vies. De passage, faire comprendre que ce sont bien certains de nos parents qui nous vendent pour leurs propres intérêts.
Actuellement la parenté devrait prendre un autre sens, le sens de « l’intérêt commun », « l’intérêt du peuple », « l’intérêt du village, du département, de la région » et non la parenté classique, qui nous mène dans des fossés. Ainsi, il est un devoir de rappeler aux populations leurs responsabilités dans leurs choix, leurs responsabilités pour le changement participatif et essayer, par la même occasion, d’assainir cette image de la politique qui est synonyme de flatterie, de mensonges et rêveries. Il faudra bien prendre conscience que nos conditions de vie dépendent de nos choix. Comme le disait à juste titre Thomas Sankara dans un discours datant du 4 août 1987 : « Le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il peut s’asseoir et écrire son développement ; il peut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur ».
Mais la prise de conscience n’est qu’un premier pas. Nous devons, à mon sens, nous battre bec et ongles contre non pas cette valeur de parenté mais plutôt contre ceux qui en usent pour nous maintenir dans la pauvreté, sous la domination et qui alimentent ce système discriminatoire qui favorise les uns au détriment des autres.
Par ailleurs, l’action sociale ne doit pas être absente de notre engagement politique. Il faut beaucoup de social dans la politique, vraiment beaucoup de social! Il est vrai qu’il faut des moyens pour le faire surtout dans nos localités où la pauvreté est reine, cependant il en faut, cela devient une nécessité. Le parti Tawasoul l’a bien compris. Il y’a aussi des actions qui ne sont pas moins sociales et qui comptent beaucoup dans nos communautés, c'est-à-dire la présence solidaire avec les gens dans leurs moments de bonheur et d’infortune ( mariages, baptêmes, deuil entre autres), car c’est souvent à l’occasion de ces moments que les populations vous reconnaissent cette présence morale qui compte beaucoup dans nos communautés… mais pas ces grands boubous bien brillants qu’on ne voit que lors des périodes électorales.
"Pour conclure, je dirais qu'un parti politique ou un candidat aie plus de chance de réussir dans les élections, il devra tenir compte des réalités sociologiques du terrain et en faire bon usage. Usage qui se basera sur l'intérêt commun, mais aussi penser à être utile à nos populations, pas seulement au moment de la campagne, mais avant la période des sollicitations électorales"
Dieynaba Ndiom
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