Esther a passé une journée avec des femmes réfugiées à Dakar, au Sénégal. Elle a pu échanger sur leur quotidien, et recueillir les histoires difficiles de certaines d'entre elles.
madmoiZelle au Sénégal- Esther est partie à la rencontre des Sénégalaises durant trois semaines. Elle a réalisé interviews, portraits, reportages, qui s’égrainent au fil des jours sur madmoiZelle.
*Tous les prénoms ont été modifiés
Au bureau des réfugiées, dans un quartier modeste de Dakar, un groupe de femmes arrive au compte-gouttes. Comme si elles égrenaient les demi-heures. Annie* est arrivée la première, suivie d’Élisabeth* et de Khadija*.
Toutes les trois bavardent, débattent des conditions dans leurs pays d’origines respectifs. Annie surtout, originaire d’un pays des Grands Lacs, ironise :
« Ah les rues sont propres hein ! Tu vois clairement la différence en passant la frontière. »
Mais à quel prix ? On comprend que selon elle il faut payer de sa liberté pour donner à voir une belle vitrine.
Il est difficile de la cerner. Comme toutes ici, son histoire est « compliquée ». Elle ne veut pas s’étendre dessus.
Donner un sens au quotidien, le défi de ce groupe de femmes réfugiées
Elles sont les premières arrivées à la réunion du groupe de femmes qui ont été désignées « relais » entre leur communauté et les institutions et ONG censées venir en aide aux populations déplacées – comme par exemple le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, ou ses partenaires opérationnels.
Mais la raison de leur rencontre aujourd’hui n’est pas l’organisation d’une nouvelle « causerie » ou autre événement en lien avec leurs communautés.
Non, aujourd’hui elles sont venues faire du savon !
« En 2013, le groupe de femme a élaboré un projet pour être formées à la conception de savon », m’explique Farah*, la présidente, une fois que tout le monde est réuni.
Élisabeth me confie plus tard :
« Ça nous fait une activité, ça donne quelque chose pour s’occuper. Sinon on devient folles. »
Réfugiées au Sénégal, ces femmes peinent à assurer leur subsistance
Car effectivement, le quotidien se remplit seulement à force d’imagination et d’inventivité.
« Un jour tu fais la bonne, l’autre tu fais le linge, l’autre encore tu tamises les pierres… »
Elles (sur)vivent pour la plupart de petits travaux effectués au jour le jour « selon ce qu’on trouve ».
Arrivées il y a plus ou moins longtemps du Tchad, de Mauritanie, de République Démocratique du Congo, du Congo Brazzaville ou encore de Côte d’Ivoire… toutes déplorent la précarité dans laquelle elles se trouvent. Farah m’explique :
« Notre plus gros souci, c’est la documentation. Même avec les documents et le statut de réfugiées délivrés par l’État sénégalais, on ne peut rien faire.
Tu veux signer un contrat de travail, t’inscrire à l’école, te faire soigner… mais les gens te disent :
— On ne connaît pas ces papiers. »
« On est sous tutelle, jamais complètement autonomes », estime Élisabeth.
Romain Desclous, porte parole du HCR dans la région Afrique de l’Ouest réagit à ces difficultés :
« Une fois le statut de réfugié délivré, il est reconnu par les autorités étatiques sénégalaises, tous les services de l’État le reconnaissent. Mais on ne peut pas nier qu’il y a parfois des difficultés bureaucratiques. »
Réfugiée venue de Mauritanie, le risque de « l’apatridie »
La majorité d’entre elles – sinon toutes – sont arrivées au Sénégal à la suite de conflits dans les régions avoisinantes. Farah a fui la Mauritanie à l’âge de 6 ans avec son grand-père. Sa famille ?
« Certains sont morts, certains je les ai perdus… »
Elle a un jugement très sévère sur sa propre existence.
« Nos vies, on les a ratées. On ne peut rien faire. Mais si au moins nos enfants pouvaient réussir ce qu’on a manqué… »
Je lui oppose sa présidence de l’association, ce à quoi elle rétorque que « c’est la seule chose ».
À son sourire lorsqu’elle évoque sa fille, je comprends pourtant que non, ce n’est pas tout à fait la seule chose, mais que ses espoirs sont bien maigres.
« On nous dit toujours que ça va changer. Alors oui, on espère que ce sera le cas, mais pour le moment on est juste des exclues, des femmes sous tutelle. »
Elle rêve de retourner en Mauritanie, mais ceux qui s’y risquent se retrouvent « réfugiés dans leurs propres pays ».
« Il n’y a rien de mis en place pour les réintégrer, on met leurs enfants dans des classes où l’on parle arabe, sans transition, alors qu’ils ont grandi dans un pays où on parle le français.
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