Le Forum National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU), principal pôle de l’opposition démocratique, a décidé de se trouver une candidature unique pour la présidentielle de 2019. Un gros challenge confié à l’ancien Premier ministre de Sidioca, Yahya ould Ahmed El Waghf, entouré d’une commission ad hoc.
L’homme a certes les capacités et les qualités pour proposer de bons critères de désignation à ses pairs, comme il peut, également, concocter un programme commun de gouvernement. Mais le Forum, constitué de membres de tous les horizons, partis politiques, Société civile, syndicats et personnalités indépendantes, qui ont fréquemment étalé leurs divergences, sera-t-il pour autant capable de se choisir un candidat en son sein ? La décision de le tenter est certes louable, elle est même à saluer : elle montre le souci du FNDU à changer de stratégie, en proposant une alternative au peuple mauritanien ; mais risque fort, avancent nombre d’observateurs, ne pas faire long feu. « C’est même la meilleure manière de faire éclater le Forum », croit savoir un observateur averti de la scène politique. Il faudra donc négocier dur pour harmoniser les points de vue. Sur quelles bases concocter un programme gouvernemental commun, par exemple, alors que les islamistes de Tawassoul prêchent un Etat islamique, quand les autres en prônent un libéral ? Cela dit, une telle question peut amener chacun à approfondir sa position, dépasser ses préjugés et à trouver, ainsi, une voie tout à la fois fidèle et novatrice…
Pour parvenir à une candidature unique, il semble incontournable de lister des critères de candidature, organiser une primaire, désigner un corps électoral et convaincre, enfin, les uns et les autres de respecter les règles du jeu. Mission parsemée de plusieurs embûches... D’abord au sein même du Forum où personne ne semble prêt à suivre les autres, leur donner plus de chances qu’à soi-même. Occasion plutôt rêvée de jauger le poids de son propre parti au sein de l’opinion. Or, il n’est un secret pour personne que les différents partis politiques obéissent à des agendas différents. Le refus de Tawassoul à se plier au boycott prôné par le FNDU, lors des municipales et législatives de 2013, en est une illustration mais n’est que la partie émergée de l’iceberg. Certains pôles du Forum – surtout les personnalités indépendantes, pour ne pas les nommer – reprochent souvent à leur homologue politique de faire trop ombrage aux autres. On raconte même que Cheikh Sid’Ahmed Babamine, qui a cédé le fauteuil de président du rassemblement citoyen à Mohamed Jemil Mansour, il y a quelques semaines, aurait été victime d’une cabale montée par diverses personnalités du Forum. C’est ce qui expliquerait son absence aux manifestations, en fin de son mandat. Habituellement étouffé, le malaise des indépendants pourrait éclater au grand jour. Les syndicats et la Société civile sortant, eux aussi, de leur silence. La question de la candidature unique est donc manifestement à haut risque. S’en remettre, alors, à une candidature indépendante, pour préserver l’« unité de façade » du FNDU ? Conscients des dangers d’implosion, quasiment tous les partis du Forum en sont à peser le pour et le contre…
Plusieurs observateurs de la place avancent l’idée de soutenir une candidature unique mais externe, tenant compte des expériences de 1992 et 2009. Dans le premier cas, l’UFD peinait à se trouver un candidat et jeta son dévolu sur Ahmed ould Daddah, fraîchement débarqué de l’extérieur. Dans le second, Le Front National pour la Défense de la Démocratie (FNDD) choisit Messaoud ould Boulkheir, alors président de l’Assemblée nationale et de l’APP. Tawassoul refusa l’option et jeta son président Jemil Mansour dans la course. On connaît la suite.
Le FNDU doit rester prudent dans sa quête. Il lui faut, d’abord et en priorité, s’assurer un pacte de confiance en son sein. Et se méfier, ensuite, des manœuvres en coulisses du pouvoir qui ne manquera pas d’user de tous les moyens pour l’empêcher de s’entendre sur un candidat unique, surtout si celui-ci devait être de ses ennemis jurés, comme Ely ould Mohamed Vall ou Mohamed ould Bouamatou. A cet égard, on n’oubliera pas que le pouvoir suspecte les trente-trois sénateurs frondeurs d’avoir été contactés par l’opposition vivant à l’étranger, notamment au Maroc...
Comme on le sait, la puissance régnante s’est déclarée, par la voix de son chef, depuis Néma, après une critique acerbe de l’opposition, convaincue de que celle-ci n’a aucune chance de gagner l’alternance. Les dés sont-ils pipés d’avance ? Mais la crise multiforme que connaît le pays et que nie le pouvoir a suffisamment pris d’ampleur pour contraindre les acteurs à s’asseoir autour d’une table et débattre, sans passion, afin de permettre au pays d’aborder le virage de 2019 dans la sérénité. Faute de quoi, ils auraient à en répondre, devant les Mauritaniens et l’Histoire.
Que les partisans du recours à la violence ou à un coup d’Etat se détrompent ! Le pays ne veut pas de tels expédients : il sait parfaitement comment et quand cela commence mais jamais quand ni comment cela finit. Aux ordres et désordres des militaires, depuis 1978, la Mauritanie veut se construire, enfin, dans la durée citoyenne. Supporterait-elle une nouvelle transition, avec un autre militaire-caméléon, prêt à se muer en civil pour garder le pouvoir ? Aujourd’hui, chaque tribu a ses galons, dispose donc d’armes, alors que la citoyenneté a pris racine, au sein même du peuple : grands sont les risques d’embrasement.
DL (Le Calame)