Mars 2019 est la date butoir marquant la fin du deuxième mandat du président Mohamed Ould Abdel Aziz.
Et à cette date, sauf retournement de situation et à moins d’une révision constitutionnelle qui ne se fera pas aussi facilement qu’on l’imagine, Ould Abdel Aziz devra quitter le pouvoir et laisser le peuple décider de qui élire au terme de l’élection présidentielle qui s’en suivra. Mais, le camp du président semble préoccupé par l’après 2019.
Tant et si bien qu’un « dialogue national inclusif » a été organisé à la hâte dans cette optique et sans l’opposition. Le pourquoi du dialogue. Le destin du président mauritanien semble lié au thème du « dialogue ». D’abord, celui de 2009, visant à entériner le fait établi du coup d’état contre Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, ayant abouti à l’accord de Dakar, sous l’égide de la communauté internationale.
Seules certaines dispositions en seront formellement appliquées, le temps d’organiser des élections (présidentielles, législatives et municipales) pour conforter sa place sur l’échiquier politique et donner ensuite un coup de pied dans la fourmilière et passer à la trappe l’accord de Dakar. Les hommes-liges du président opposeront les résultats des élections pour passer outre le dialogue et l’accord qui s’en suivit et justifier le fait établi : Aziz est bien président et il faudra attendre les élections ultérieures pour prendre le pouvoir.
Puis vint le dialogue de 2011. Le président, initiateur d’une rectification qui aura tout chamboulé (l’armée, l’administration, le paysage politique, le milieu des affaires, le potentat tribal) est le maître incontesté d’une Mauritanie dirigée depuis 1978 par l’armée.
L’opposition ayant maintenu sa position de boycott de tous les scrutins électoraux entend exiger un dialogue pour une sortie de crise. Là encore, le pouvoir récupère ce thème du dialogue pour retourner la situation à son avantage. Des journées de concertations sont lancées, auxquelles prennent part toutes les forces de la majorité en plus de la CUPAD, une coalition dirigée parMessaoud ould Boulkheir. Excepté l’opposition qui n’y a pas pris part. Les résolutions qui en sont issues demeureront lettre morte.
Jusqu’au dialogue de 2016. La présidentielle de 2014 ayant été boycottée par l’opposition, tout comme tous autres les scrutins (excepté Tawassoul qui y a pris part, ce qui lui vaut de diriger l’institution de l’opposition démocratique et de se faire taxer d’opportunisme), le pouvoir est conscient du risque encouru pour une telle situation. Surtout que le cas du Burkina Faso, de la République Démocratique du Congo, du Gabon et de bien d’autres pays africains donnent à penser.
Et en 2019, les généraux du sérail auront pris la retraite. Ce qui isoleraitMohamed Ould Abdel Aziz qui doit assurer ses arrières, aussi bien pour l’immense fortune amassée qu’un pouvoir qui lui garantit de ne pas être inquiété sur le plan judiciaire. Du coup, jamais sans la Mauritanie, semble bien être la litanie qui marque le destin d’un pays qui peine à se débarrasser d’une armée qui le tient en otage depuis 38 ans.
Lors du discours de Néma, le président annonce la nécessité d’entamer un dialogue dans « un mois » et dans la foulée des idées phares sont exprimées, telle que la dissolution du Sénat qui ne cesse, selon le président, de mettre le bâton dans les roues du gouvernement.
Le dialogue est commenté, sans être entamé dans les faits. Le Forum National pour la Démocratie et l’Unité, le Rassemblement des Forces Démocratiques transmettent au gouvernement les préalables au dialogue : l’ouverture des médias publics à tous les partenaires, le non usage de la violence contre les manifestations pacifiques, l’ouverture de l’administration et des marchés publics aux cadres et hommes d’affaires de l’opposition et l’engagement à ne plus organiser une élection en dehors d’un code électoral consensuel. D’ici-là, tant qu’une réponse écrite quant à ces préalables ne leur est pas adressée, l’opposition maintiendra sa position de boycott de tout processus de dialogue. C’est dans un tel contexte que se tient le dialogue de 2016. C’est l’impasse pourrait-on dire : le dialogue initié par le président Mohamed Ould Abdel Aziz, avec la participation d’une certaine opposition, n’a pas rempli son objet, l’idée étant de préparer l’après 2019.
Quels scénario alors pour Ould Abdel Aziz ? Voyant que l’idée d’un troisième mandat est peu susceptible de passer comme une lettre à la poste, le camp présidentiel devra envisager un tour de passe pour garder la mainmise sur un pouvoir qu’il détient « dans la douleur » depuis 2008.
Le président Aziz quittera en théorie le pouvoir en 2019, un dauphin civil sera adoubé par la majorité présidentielle, à l’initiative de celui qui restera maître de la situation dans les coulisses : Aziz, via les généraux et les hommes de confiance. Le pouvoir, la fortune, un rythme de vie royal, la belle vie, sont à ce prix. D’autant que ces jeunes requins ne se préoccupent guère de ce qui n’est pas leur carrière et leurs intérêts. Moulaye ould Mohamed Lagdhaf, Sidi Mohamed ould Mahampourraient être des dauphins possibles.
Seul hic, leur qualité de civil et leur jeunesse sont des handicaps majeurs pour un sérial putschiste peu enclin à garnir son tableau de chasse de la tête d’un deuxième président civil. D’où l’éventualité d’un dauphin militaire, un général à la retraite. Un scénario plausible, d’autant que la fraternité militaire et une amitié de trente ans plaident pour un tel cas de figure, quoiqu’un général à la place du général, tout aussi ambitieux, serait porté à bouter hors du marigot un caïman encombrant qui s’évertue à mener la danse bien après sa sortie de la salle des spectacles.
Tel un train qui en cache un autre, le dialogue de 2016 augure d’un autre qui remettra les pendules à l’heure voulue par Aziz. A défaut d’un troisième mandat qui présente l’avantage d’être franc sans avoir à concevoir un scénario loufoque aux allures de casse-tête chinois, des solutions demeurent possibles : ticket présidentiel (vice-président), premier ministre aux pouvoirs élargis, présidence de l’Union Pour la République (avec en plus le statut de mentor d’une majorité qui n’agit que sous ses ordres).
En tout cas, la situation est suffisamment incertaine pour qu’il paraisse actuellement urgent, voire impérieux, pour le président de s’assurer un après-2019 aussi confortable que l’aura été tout le temps écoulé en tant que maître du palais présidentiel. Auquel cas, l’opposition se démènera pour provoquer l’impasse. Cette dernière, faut-il le rappeler s’est fixé pour objectif de faire échec à l’ambition démesurée d’un président peu enclin à terminer son mandat normalement et partir sur la pointe des pieds. Elle menace en effet de manifester de façon périodique jusqu’à cette date.
Pour ce faire, elle se doit de resserrer les rangs et de se ranger derrière un candidat unique et consensuel en vue de multiplier ses chances face à un camp du pouvoir qui a tous les moyens de mener à bien ses ambitions d’après 2019. Ce qui signifie que la question vaut aussi pour l’opposition : quel scénario pour 2019 ? La question est d’autant plus prégnante que ses leaders historiques, de la trempe d’Ahmed Ould Daddah et de Messaoud ould Boulkheir auront dépassé l’âge de 75 ans, ce qui de facto les met « Out » à cette date. Il reste alorsMohamed Ould Maouloud, comme candidat crédible potentiel.
A moins que les islamistes de Tawassoul, une force montante sur l’échiquier d’un pays traditionnaliste, ne propose le leur, Mohamed Jemil Mansour ou un autre. Parmi les personnalités indépendantes, Maître Ahmed Salem Ould Bouhoubeiny reste une alternative plausible. Une forte coalition négro-africaine et Hratine est aussi envisageable. A moins qu’un Outsider parachuté de l’étranger ne vienne déjouer les dés quelque peu pipés d’une opposition qui n’a jamais su s’unir, si ce n’est face à l’armée.
Mais, l’on se souvient qu’à la dernière une minute, une ultime volte-face de certains de ses Apparatchiks débauchés par l’establishment financier, se retournent pour faire pencher la balance du côté d’un pouvoir toujours aux mains des colonels, aujourd’hui généraux. 2019 est l’occasion historique pour elle de provoquer le changement, en renvoyant dans ses foyers une armée qui, en trente huit ans de pouvoir, n’a pas réussi à gouverner dans la sérénité et l’honnêteté un pays toujours un butte au mal de la mal gouvernance politique, économique, sociale et culturelle. Elle dispose pour cela de plus de deux ans.
Mais alors que le pays s’enfonce dans une crise multidimensionnelle, le sort d’un homme semble prendre le dessus sur celui de tout un pays. On peut pour l’heure se poser la question de savoir quand tout ce cinéma cessera sans trop de dégâts pour un pays et pour un homme qui n’en sont pas à leur premier coup d’essai en matière de scénarios en tous genres (l’un subissant et l’autre agissant) ?
Le Rénovateur Quotidien