L’ancien Président Ely OULD MOHAMED VALL a donné une conférence, le mercredi 19 Octobre 2016, dans le cadre du forum de la femme africaine, organisé au siège du Parlement Européen à Bruxelles, la Capitale Belge.
Dans sa conférence magistrale, l’ancien Président a fait une analyse exhaustive de la situation de la femme dans les zones de conflits en Afrique. Il a souligné que la plupart des victimes civiles des guerres et des conflits dans le monde et particulièrement en Afrique, sont des femmes.
Le conférencier a cité des exemples édifiants des exactions et malheurs auxquels les femmes sont exposées dans ces circonstances comme la perte des parents, des biens et du domicile et le calvaire qui s’en suit sur le chemin de l’exode avec son lot d’enlèvement, de viol et autres traitements cruels.
Le conférencier a mis en exergue le rôle que la femme est capable de jouer dans l’ancrage de la culture de la paix et le rétablissement de la sécurité notamment au cours des négociations et la gestion de la phase qui suit les conflits armés. Il a signalé que, malgré, le grand tapage qu’on entend sur l’implication des femmes dans les processus de paix et les débats sur les politiques générales, la présence de celles-ci dans la sphère de prise de décisions reste faible. Comme exemples éloquents, le conférencier a cité les cas du Libéria, de la Somalie et autres.
OULD MOHAMED VALL, a conclu par dire que la participation active de la femme dans les différents domaines de la vie est une garantie de développement et de stabilité. Mais cette participation ne peut se réaliser sans le renforcement des capacités et de l’implication des femmes à travers la création, au profit de celles-ci, de conditions d’éducation, de travail et de discrimination positive en matière d’emploi et d’élection afin de leur permettre d’accéder aux postes de décisions.
L'intégralité de l'intervention de l'ancien Chef de l'Etat
Communication de son Excellence Ely Mohamed Vall, ancien Président de la Mauritanie.
Thème 1 : La situation dans les zones de conflit : Comment la femme peut-elle contribuer à améliorer notre monde manifestement en plein désarroi et le rendre plus sur ? (séance du mercredi 19 octobre 2016 matin) dans le cadre de la session de l’African Women’s Forum tenue au Parlement Européen Bruxelles.
C'est un honneur et un plaisir pour moi de prendre la parole dans le cadre de ce forum organisé par l’African Women’s Forum.
L'influence de ce forum est importante, et je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Je traiterai la question à travers les 4 axes suivants :
La situation handicapante de la femme en Afrique et dans le monde ;
La prise de conscience de la nécessaire promotion de la femme africaine ;
La corrélation entre la promotion de la femme et le développement ;
L’importance du rôle de la femme dans la prévention et le règlement des conflits.
1. La situation handicapante de la femme en Afrique et dans le monde
L’inégalité entre l’Homme et la Femme pénalise l’amélioration de notre monde. C’est ce que la Banque mondiale, dans une étude récente, a montré : plus de 100 pays continuent d'imposer des différences juridiques entre les hommes et les femmes dans des domaines tels que la capacité des femmes à signer un contrat ou à voyager à l'étranger, à gérer des biens et à interagir avec les autorités publiques ou le secteur privé.
Sur les 700 millions d'adultes analphabètes vivant sur notre planète, près de deux sur trois sont des femmes.
Partout dans le monde, les femmes continuent de gagner moins que les hommes pour le même travail, et d'assumer la plus grande part du travail non rémunéré : la cuisine, le ménage et le soin aux enfants.
Toutes les 90 secondes, une femme meurt pendant la grossesse ou suite à des complications lors de l'accouchement, bien que l'on dispose des connaissances et qualifications nécessaires pour assurer un accouchement sans risque. Et jusqu'à 70 pour cent des femmes sont victimes de la violence domestique ou sexuelle au cours de leur existence.
Au cours de ces 30 dernières années, 552 millions de personnes ont rejoint le marché de l'emploi au niveau mondial. Aujourd'hui, 4 travailleurs sur 10 dans le monde sont des femmes. Mais la moitié des travailleuses du monde continuent d'être cantonnées à des emplois précaires, souvent non couverts par le droit du travail.
Dans toutes les régions du monde et dans la plupart des professions, les femmes sont moins rémunérées que les hommes à travail égal et, dans la majorité des pays, leurs salaires représentent entre 70 et 90 pour cent de ceux des hommes.
Aux quatre coins de la planète, sont sous-représentées dans les emplois d'encadrement et aux postes de direction.
Ainsi que toutes les études aboutissent à la même conclusion: l'élimination des obstacles au rôle et à la participation des femmes est source de développement économique.
On sait que les inégalités entre les hommes et les femmes remontent à des pratiques sociales traditionnelles qui continuent à les perpétuer. Ces inégalités sont multiples. On peut en rappeler les principales:
- l’inégalité devant l’éducation;
- L’inégalité devant la formation à l’emploi : le faible taux de scolarité des filles limite largement leur accès à une formation professionnelle de qualité.
- L’inégalité dans les revenus : la majorité des femmes vivent en zone rurale, où la pauvreté sévit.
- L’inégalité devant la défense des droits : la plupart des femmes ne connaissent pas leurs droits, et sont de ce fait privées du pouvoir de décision, de gestion et du contrôle des ressources et des biens susceptibles de leur appartenir, du fait de l’analphabétisme.
- L’inégalité devant les devoirs : sur le plan des devoirs, la femme est aux premières loges : mère, femme au foyer et employée.
- L’absence des femmes ou leur faible représentativité dans les instances de prise de décision : trop peu de femmes participent aux processus institutionnels de décisions, à cause de leur sous-représentassions dans les principales institutions du pouvoir.
Les obstacles auxquels les femmes sont confrontées ne sont pas seulement dommageables pour elles et leurs familles, mais entravent également les sociétés et freinent les économies nationales.
Aujourd'hui, dans de nombreux pays, nous voyons que les femmes quittent leur emploi lorsqu'elles ont un enfant. Et même si cela est souvent considéré comme une affaire privée, c'est de plus en plus une affaire de politique publique.
Les politiques peuvent et doivent aider les parents qui travaillent, les mères comme les pères, à concilier leurs vies professionnelle et familiale et à bénéficier d'opportunités égales.
Pour cela, les politiques publiques des Etats doivent contribuer à éliminer les obstacles structurels qui sont facteurs d'injustice et d'inégalités entre l’homme et la femme pour assurer plus d'égalité des chances.
2. La prise de conscience de la nécessaire promotion de la femme africaine
En Afrique, lors des indépendances, toutes nos constitutions, nos lois et règlements ont consacré, l’égalité de l’homme et de la femme. Des politiques nationales de promotion de l’égalité et de l’équité, ont été adoptées par les gouvernements.
Partout, différentes actions volontaristes ont été engagées pour rattraper le retard accusé par les femmes sur le plan de l’éducation, de la reconnaissance de leurs droits et de leur insertion dans la vie économique et sociale, par rapport aux hommes.
Des pays comme la Tunisie avec la loi du statut personnel des femmes sous Habib Bourguiba, ou le Sénégal avec Léopold Sédar Senghor, ont enregistré des résultats plus que probants et reconnus par tous, dans le sens de la généralisation de la scolarisation et de l’éducation des femmes et de la défense de leurs droits.
Des efforts indéniables ont été accomplis sur le plan de la scolarisation et de l’insertion professionnelle et sociale des femmes, mais il faut bien reconnaître que dans la plupart de nos pays, le sort des femmes jusqu’à ce jour, demeure l’objet de légitimes préoccupations.
D’ailleurs, les inquiétudes légitimes nées de certains discours sur le statut des femmes, après le Printemps arabe, dans des pays comme la Tunisie, le Maroc, la Libye et l’Egypte, nous rappellent que même les quelques acquis, demeurent, dans une perspective historique, précaires.
En effet, l’observation objective de la situation des femmes dans beaucoup de nos pays, nous conduit au constat suivant : les droits de la femme à l’égalité et à la citoyenneté pleine et entière, sont restés généralement plus théoriques que pratiques, et nos politiques de promotion de la femme continuent encore aujourd’hui à couvrir des discriminations réelles.
Heureusement, la décennie 90 a connu un sursaut sur ce plan. Les Etats membres de l'Organisation des nations unies ont pris de fermes engagements en faveur de la promotion des femmes à travers le Programme d’action de Beijing issue de la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes : Lutte pour l'égalité, le développement et la paix à Beijing, du 4-15 septembre 1995.
Il est aujourd’hui largement reconnu de par le monde, que l'autonomisation des femmes est essentielle pour assurer le développement social et économique ainsi que le développement durable.
Aucun progrès significatif ne peut être réalisé si les femmes, qui composent la moitié de la société, n'ont pas accès à une éducation de qualité, aux soins de santé, à l'emploi, à la protection contre la violence et ne peuvent pas participer aux processus de prise de décisions au sein de leur société ni bénéficier de leurs droits. Ces thèmes sont directement issus de la Déclaration de Téhéran, adoptée lors la conférence ministérielle de 2010 sur le rôle des femmes dans le développement.
Chacun d'entre nous, Femme ou Homme, a le droit de disposer des mêmes opportunités équitables de contribuer au développement de notre monde. Lorsque chacun apporte sa contribution sur un même pied d'égalité, nos peuples et nos nations en tirent bénéfice, que ce soit sur le plan de la cohésion sociale, de la croissance économique inclusive, de la paix et de la prospérité et du bonheur.
C’est pourquoi, la femme peut et doit jouer un rôle important dans l’amélioration de notre monde par l’atténuation des inégalités et le renforcement de sa participation dans les centres de prise de décision.
3. La corrélation entre la promotion de la femme et le développement
Le rôle des femmes dans le développement économique et social de notre monde ne peut être optimisé que si l’accent est réellement mis sur la promotion d’un système éducatif et d’alphabétisation non discriminatoire dans les faits, car seul un citoyen instruit et éduqué peut réellement participer à la vie de la nation, et jouer un rôle effectif dans la construction nationale et internationale.
Comment développer les capacités des femmes sans qu’elles n’aillent massivement à l’école, dans les centres de formation professionnelle dédiés, au collège, au lycée et à l’université ?
La libération de la femme passe par son autonomie financière et économique, car sans ressources financières autonomes, elle dépendra de l’homme qui perpétuera des formes de domination, avec pour résultat une marginalisation continues de la femme.
La lutte pour l’égalité de la femme et de l’homme devant la justice et surtout devant l’application des décisions de justice est également au cœur des conditions de son épanouissement.
Il n’y a malheureusement pas d’outils statistiques fiables pour mesurer aujourd’hui l’apport des femmes dans la production de la richesse nationale et donc de chiffrer leur contribution à la constitution du PIB.
Cependant, avec la situation économique mondiale difficile de nos jours, il est visible que la femme est aujourd’hui présente dans tous les secteurs productifs de l’économie et domine même l’économie informelle, celle qui fait vivre en réalité la plus large partie de la population dans les pays en voie de développement.
Le renforcement de la participation des femmes au développement et à la prise de décisions, passe par l’instauration d’un environnement propice à l’égalité entre les sexes et la promotion de la femme, notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé et du travail.
La quatrième Conférence mondiale sur les femmes, a fait le point des réalisations accomplies dans les différents pays membres des nations unies, onze ans après l’adoption du Programme d’action de Beijing.
Celui-ci avait été conçu pour remédier à l'accès inégal à l'éducation et à la formation; aux soins de santé et aux services sanitaires. Il contenait également des recommandations pour lutter contre la violence à l'égard des femmes; remédier aux effets que les conflits ont sur elles; éliminer les inégalités dans le partage du pouvoir; lutter contre les images stéréotypées.
Une population compétente et éduquée est essentielle pour assurer une économie et une démocratie fortes.
Il y a beaucoup à apprendre également de l'expérience des nations diverses et démocratiques qui ont réussi dans l’approche de la promotion de la femme. Nous savons tous que la diversité et l'égalité croissante sont facteurs de force.
Il est de plus en plus démontré que les sociétés et les économies connaissent une croissance plus saine et plus forte quand elles assurent la participation pleine et égale des femmes.
Une étude récente réalisée dans les pays de l'OCDE montre que les taux de participation des femmes au marché de l'emploi ont une corrélation positive avec le Produit intérieur brut. En d'autres termes, les nations affichant des taux élevés de femmes exerçant une activité professionnelle ont des résultats économiques supérieurs.
Le Forum économique mondial signale que, dans 135 pays, la plus grande égalité des sexes a une corrélation positive avec le Produit national brut par habitant.
Les pays affichant une plus grande égalité entre les femmes et les hommes ont des économies qui sont plus compétitives et croissent plus rapidement.
Il faut donc que dans notre monde, nos femmes puissent vivre dans la liberté et l’égalité et à l'abri de la violence et de la discrimination.
Dans tous les pays, les femmes revendiquent la paix, la justice et la démocratie. Dans tous les pays, les femmes font de leur mieux pour leurs familles et leurs communautés.
Les femmes de talent, créatives et compétentes ne manquent pas dans notre monde d’aujourd’hui, dans tous les secteurs d’activité, depuis la vie politique jusqu'au monde des lettres et des arts, en passant par la technologie, la science et les communications.
La libération du potentiel des femmes permet aux pays d'enregistrer des niveaux supérieurs d'enrichissement et de réalisations.
4. L’importance du rôle de la femme dans la prévention et le règlement des conflits
La faible participation des femmes aux tables de processus de négociation. En effet, seulement 9% des négociateurs étaient des femmes et les accords signés entre 2000 et 2015 qui ont fait référence à l’égalité hommes-femmes ou aux besoins des femmes ne dépassaient pas 27%.
La participation des femmes aux processus de négociation augmente la probabilité de résolutions des conflits et la durabilité de la paix. à cet effet l’étude menée par ONU Femmes en 2015 sur quinze années de mise en œuvre de la résolution 1325, a révélé que 35% des accords négociés par les femmes durent plus de 15 ans.
Le rôle des femmes africaines dans les processus de médiation et de prévention des conflits a été souvent efficace. Dans certaines zones du continent africain, les femmes ont obligé les belligérants à la table des négociations. Plusieurs pays africains, tel que la Cote d’Ivoire et le Libéria ont utilisé les femmes comme dirigeantes des instances de réconciliation. Rôle dans lequel elles ont excellé grâce à leur tact, habileté et adresse.
C’est aussi grâce à la place qu’elles occupent dans la famille et la communauté et la fonction de gérance familiale qui leur permet souvent de peser sur les événements et les conflits internes et les prédispose à jouer un rôle de rapprochement et de réconciliation.
Certaines études indiquent qu’entre 1992 et 2011, moins de 4% des signataires des accords de paix et moins de 10% des négociateurs à des tables de négociations de paix étaient des femmes, et que sur les 1168 accords de paix signés entre janvier 1990 et janvier 2014, seulement 18% font référence aux femmes malgré le potentiel de celles-ci à garantir la durabilité des résultats des négociations de paix.
Les ressources restent également insuffisantes ; en 2012 et 2013 par exemple, seulement 2% de l'aide aux États fragiles visait l'égalité des sexes comme objectif principal. A cet effet, on peut souligner l’importance de l’allocation de plus de ressources pour l’inclusion des femmes dans le secteur de paix et de sécurité.
Toutes les nations ont beaucoup à gagner de la participation des femmes - qui induit des gains non seulement pour les femmes, mais aussi pour les hommes et pour les enfants - des gains aux niveaux économiques, de la santé et du bien-être, et qui favorisent des perspectives plus favorables pour l'avenir.
C'est ce que montrent un nombre croissant d'études réalisées à travers le monde : celles de la Banque mondiale, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), des Nations Unies et de divers centres de réflexion.
Il faut enfin rappelé que les femmes doivent pouvoir faire entendre leur voix et insister sur la nécessité qu’elles expriment pleinement leur citoyenneté politique qu’il s’agisse de voter ou de se porter candidates. C’est par là que passe leur participation dans la prise des décisions importantes dans leur pays, c'est-à-dire l’intégration réelle des femmes à la prise de décisions grâce à un système de quotas.
Les organisations internationales de promotion de la femme comme ONU Femmes, l’Institut international de recherche et de formation des Nations Unies pour la promotion de la femme (INSTRAW), la Coalition des organisations islamiques, Women in Law and Development in Africa, doivent continuer leur combat et leur lobbying dans ce domaine.
Je vous remercie.
Source chargé de communication