Seul leur nombre avait peut-être varié d’une époque à l’autre, ou d’une nation à l’autre. Mais aucune époque, ni aucune nation ne fut vraiment exempte de la présence de ces hommes d’exception, dont l’unique grief qu’on puisse à ce jour leur faire, et pour lequel on continue à les marginaliser, est d’avoir aimé à l’excès leur patrie, pour laquelle ils se sont dévoués corps et âme.
Ce qu’on ne pardonne pas à cette race, aujourd’hui en voie de disparition – ils ne sont plus de nos jours qu’une poignée qui rétrécit comme peau de chagrin - est de s’être surtout attelés à faire de leur pays une nation forte, respectée et enviée des autres.
Ces grands commis qui ont exercé de bout en bout leurs fonctions dans la discrétion la plus totale, loin des projecteurs, et sans tapage, n’agissaient jamais dans le cadre de leurs activités professionnelles que mus par l’intérêt supérieur de la nation.
Leur sens de sacrifice, et leur abnégation étaient tels qu’ils faisaient à l’Etat un rempart de leur corps, et le protégeaient contre les démons budgétivores de certains égos démesurés.
Le colonel Mohamed Ould Mohamedou, l’ancien directeur des douanes est l’un de ceux-là. Sous son aspect modeste à l’abord facile de sexagénaire retraité, courtois, et pétrit des sciences humaines, se cachent les multiples facettes de cet homme rangé, et propre qui se défend par humilité de caractère d’en avoir.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il faut signaler à la décharge de l’auteur dont le but n’est pas de vanter les mérites de qui que ce soit, que d’abord il n’en est rien si certains termes employés dans ce texte pourraient être pris hors de leur valeur de désignation, alors qu’en vérité ils ne font que rendre compte de certaines qualités propres à notre sujet.
D’extraction modeste, ce natif de Boutilimit qui peut se vanter d’avoir fait une carrière sans faute, naquit la même année où Marshall avait lancé son plan. A la faveur d’un plan d’un autre genre, celui du partage de la Palestine, l’Etat hébreux vit lui aussi le jour l’année de sa naissance.
Au cours de cette même année John Bardeen, Walter Brattain, et William Shockley, trois chercheurs américains annonçaient la mise au point du transistor. La même année un autre groupe de chercheurs américains, - il s’agit cette fois de R. Alpher, H. Bethe, et G. Galauw - divulgue à la face du monde entier sa célèbre théorie cosmologique : le big-bang.
C’était au cours de cette même année que Léopold Sédar Senghor décide de donner un contenu culturel au concept de la négritude né de sa plume, et de celle d’Aimée Césaire, en publiant l’anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française.
D’autres événements non moins importants s’étaient produits cette année-là, comme la prise par les communistes du pouvoir à Prague, où la création de la cybernétique par Norbert Wiener, ou encore la mise en service à l’observatoire du mont Palomar, en Californie d’un télescope de cinq mètres de diamètre, etc.
L’année de sa naissance fut la neuvième où depuis sa création le prestigieux prix Nobel de la paix ne fut pas attribué. Et le blocus de Berlin qui avait persisté presque toute l’année suivante, avait lui aussi pris effet cette année-là.
En dépit de leur importance notre homme qu’on destinait à autre chose aurait pu rester dans l’ignorance totale de ces faits qui avaient coïncidé avec sa venue au monde, si son destin ne fut pas bouleversé une première fois par un heureux revirement.
Son père un homme pieux et autoritaire qui ne voulait pas entendre parler de l’école coloniale à laquelle son frère cadet rongé par les remords d’une scolarité malheureuse voulait à tout prix affilier son neveu, s’opposait fermement à un tel dessein, qu’il rejetait chaque fois que l’affaire revenait sur le tapis.
Pour couper court aux ambitions déclarées que nourrissait l’oncle à l’endroit de son neveu, le père décide d’envoyer une bonne fois pour toutes son fils dans les Mahadras environnantes. Là-bas, sous le regard admirateur du maître l’adolescent ne fut pas long à se démarquer de ses congénères par ses aptitudes d’assimilations peu communes.
De son côté l’oncle qui n’avait pas renoncé à son projet, finit après des années d’attente par trouver l’astuce d’envoyer son neveu à l’école, et ce à l’insu de son grand frère qui mourut quelques temps plus tard sans avoir eu vent de ce qui se tramait.
Son bref passage à l’école primaire, (deux ans) l’avait énormément aidé à rattraper le temps perdu, et à atténuer la distance qui le séparait de ceux de ses camarades d’âge scolaire qui avaient été admis avant lui à suivre l’enseignement dans les écoles publiques.
Des témoins oculaires se rappelaient encore de cet adolescent grand de taille, la couleur des cheveux intermédiaire entre le rouge effacé et le jaune doré, et qui aussi bien en classe qu’à la cantine dépassait d’une bonne tête tous ses autres condisciples.
Vint la période du secondaire, le départ vers les grandes villes, et ses contraintes. C’est sur ce moment précis que les circonstances portent leur choix pour opérer un autre revirement heureux sur son destin.
Un de ses oncles soucieux de régler les problèmes pécuniaires de son neveu, se mit en devoir de lui trouver un travail à mi-temps, il s’ouvrit de son problème à son ami El Melik Hammam, qui lui fit la proposition de l’employer dans ses salles de cinéma.
Le jour dit l’oncle et le neveu la main dans la main se rendirent au rendez-vous pour se faire remettre le fameux boulot qui croyaient-ils résorberait tout ou partie de leurs problèmes. Arrivés à la hauteur d’El Mouna l’oncle qui fut tout au long du trajet absorbé à peser le pour et le contre de sa résolution fit brusquement volte-face, avant de mettre le cap sur leur domicile.
Il s’était dit à part lui que s’il aidait son neveu à faire ses débuts dans ce milieu que les gens de l’époque ne voyaient pas d’un bon œil, ce dernier pourrait mal tourner, et se retrouverait avec à la clé des études abandonnées, et un emploi de vendeur à vie de billets de spectacle.
Et pour compléter le tableau pensait-il j’aurai contribué à faire de mon neveu la marque de dégradation qui aurait porté un rude coup à l’honneur de toute une famille. De retour à la maison, l’oncle après avoir soigneusement posé son turban sur le comptoir de sa boutique, regarde son neveu dans les yeux et lui dit tranquillement : Allah te réserve peut-être mieux.
Les jours qui suivirent lui donnèrent raison, puisqu’il ne tarda pas à lui décrocher un job taillé sur mesure, celui de speaker à RADIO MAURITANIE, où il excellait dans la présentation du journal dans ses deux versions arabe et française.
En outre il conduisit en collaboration avec Feu Didi Ould Soueidi plusieurs interviews de présidents étrangers, dont celle du président algérien Houari Boumediene. Son passage à la radio avait duré jusqu’à la veille de son départ pour la France.
Son bachot obtenu avec mention, il s’inscrivit à l’ENA de Nouakchott où il sortira deux ans plus tard major de sa promotion, il mit le cap sur Paris d’où il reviendra quelques temps après inspecteur des douanes, et toujours paré de ce fameux titre de « Major. »
A la douane il avait d’abord occupé la fonction de chef de bureau de tous les points chauds, aéroport, douanes-ville, wharf, port de l’amitié sa longévité à ce dernier poste dénote de sa parfaite connaissance des rouages de la douane, et sa maîtrise à gérer les dossiers sensibles, il la doit aussi à la qualité de ses rapports humains, et à la souplesse dans ses prises de décisions. La capitale économique avait eu droit elle aussi à faire sa connaissance d’abord comme chef de bureau, puis comme directeur régional.
L’engagement de quelques-uns des membres de sa famille aux côtés du leader de l’opposition Ahmed Ould Daddah dans les années 90 lui valut la nomination au poste du conseiller technique du directeur des douanes, avant de reprendre sa place sur le devant de la scène comme chef du bureau du port de l’amitié, puis directeur-adjoint, et enfin directeur général des douanes poste qu’il a occupé jusqu’à sa mise à la retraite.
Il est l’unique directeur général non étranger au corps de la douane à occuper cette fonction. Connu et respecté pour son franc-parler, et pour sa rigueur dans sa gestion de la chose publique, cet officier supérieur, et maître de chaire est l’un des rares fonctionnaires de ce corps dont le dossier ne contient pas de zones d’ombre.
Au cours de l’unique visite que j’ai eu à lui faire dans son bureau, je me rappelais l’avoir trouvé en compagnie du colonel Diaga Dieng le tout puissant patron de la douane, et à celui-ci il s’adressa en ma présence en ces termes : Diaga va dans le salon.
Sans mot dire l’autre déplia son imposante carcasse, et alla s’installer quelques mètres plus loin dans le salon aménagé dans un coin du bureau. Et quoi de plus flagrant pour témoigner de sa rectitude qu’un rappel à la mémoire de l’affaire dite ‘’des faux cachets du trésor’’ où Feu Haimouda Diarra avait par excès de zèle éclabousser le prestige des Ets AON, et l’heureux dénouement qu’elle avait connu, et qui s’est conclu par la restitution au trésor public de plusieurs centaines de millions d’Ouguiyas, avec la mise sous dépôt du PDG, et propriétaire du groupe.
Quand on n’a pas goûté à l’habitude de courber l’échine, on n’a pas de choix autre que celui de rester droit comme un ‘’i’’.
Ely-Salem Ould Abd-Daim