Pour avoir écrit, en ce qui concerne le premier, et, pour le second, repris, dans le portail qu’il dirige, l’information, tout en la mettant au conditionnel, selon laquelle Bedr, le fils aîné du président de la République, aurait tiré sur un berger en Inchiri, deux journalistes se sont retrouvés en prison comme de vulgaires malfrats.
Convoqués très tôt, jeudi dernier, ils ont été entendus par les limiers du Commissariat spécial de la police judiciaire (CSPJ) et envoyés, derechef, devant le procureur de la République de Nouakchott-Ouest qui leur a, tout aussi illico, délivré mandats de dépôt. Une procédure expresse dont ne bénéficient pas tous les justiciables, loin s’en faut. N’est pas fils de Président qui veut.
Même si les délits de presse ont été dépénalisés, le ministre de la Justice dont dépend, directement, le Parquet, ne pouvait laisser pareille occasion pour démontrer qu’on ne s’attaque pas impunément à la famille régnante.
Après sa boulette devant l’Assemblée nationale, où il a demandé, explicitement, un troisième mandat pour Ould Abdel Aziz, en violation flagrante de la Constitution, le voilà qui foule au pied les lois de la République dont il est censé veiller à l’application. Oublient-ils, ces laudateurs zélés, que l’Histoire retient tout ? Qu’arrivera bien le jour où tout un chacun devra rendre compte ? Qu’obéir aux ordres ne peut tout expliquer ? Et qu’on ne peut envoyer un citoyen en prison pour un délit, si délit il y a, dont la sanction ne prévoit pas l’emprisonnement ?
Toujours est-il que nos deux confrères se sont retrouvés, par un de ses miracles chers aux républiques bananières, dans la citadelle du silence. Déjà dans le viseur du pouvoir, la profession se mobilise. Reporters Sans Frontières et les chancelleries occidentales sont aussitôt alertés. Un sit-in est organisé, dès le lendemain, devant la prison civile, suivi d’une marche à destination du palais de Justice, du ministère éponyme et du ministère chargé des relations avec le Parlement qui assure la tutelle de la presse.
Le Parquet fait aussitôt machine arrière et ordonne la libération des deux journalistes. Mais le mal est fait. Plus personne n’est désormais à l’abri d’une détention arbitraire, pour peu qu’il écrive un filet attentant à l’honneur d’un Lucky Luke qui tire sur tout ce qui bouge. Faites gaffe, confrères ! Attention aux balles perdues et aux balles amies ! Elles font parfois plus de mal que les balles ennemies qui, elles, peuvent rater leur cible.
Non seulement, vous n’avez plus droit ni aux abonnements ni aux insertions publicitaires de toutes les structures étatiques ou semi-étatiques, en vertu d’une circulaire de la Primature elle-même, mais voilà qu’une épée de Damoclès se met à planer, de surcroît, au-dessus de vos têtes. A la moindre incartade, un juge zélé peut vous envoyer en prison. L’Azizanie à bout de souffle s’apprête-t-elle à souffler les dernières bougies de la démocratie ? Daniel Defoe disait à juste titre que "la nature a laissé cette teinture dans le sang, que tous les hommes seraient tyrans s’ils le pouvaient". A nous de les en empêcher. Sans oublier de nous en empêcher nous-mêmes... C’est un tel esprit qui constitue justement la démocratie.
Ahmed Ould Cheikh