Le Calame - Lieutenant-colonel de la Garde nationale, monsieur Khaled ould Boyé est professeur en chirurgie cardiovasculaire et chef du service de chirurgie cardiovasculaire au Centre national de cardiologie (CNC) depuis 2012.
Il a fait ses études de médecine en Tunisie et en France où il fut chef de clinique associé à l’hôpital européen Georges Pompidou de Paris pendant quatre ans. Depuis 2019, il est président de la Société MAuritanienne de Cardiologie (SMAC).
Dans cette interview, il revient sur la tenue à Nouakchott, en Mars dernier, du 25ème Congrès maghrébin de cardiologie et 9èmede la SMAC consacré au développement des pathologies cardiaques, de leur prise en charge par le CNC et à la montée en puissance de cet établissement devenu, en quelques années, une référence du Maghreb et la sous-région ouest-africaine.
Le Calame : La Société mauritanienne de cardiologie (SMAC) dont vous êtes le président vient d’organiser conjointement le 25ème Congrès maghrébin de cardiologie et le 9ème Congrès national de la SMAC à Nouakchott. Quels ont été les grands moments de ces rencontres ? Pouvez-vous nous dire ce que ce genre d’évènements apporte aux professionnels du cœur que vous êtes ?
Professeur Khaled Boye : La tenue à Nouakchott du Congrès maghrébin de cardiologie est pour nous un évènement particulier. Il était souhaité et attendu depuis plusieurs années. Nous en sommes sortis très satisfaits, aussi bien du point de vue de la participation, de la mobilisation – une centaine d’invités du Maghreb, de l’Afrique de l’Ouest, de l’Europe et d’Asie – que du point de vue de la qualité des débats.
Ce congrès est un moment de communion et d’échange d’expérience entre scientifiques. C’est aussi l’occasion de faire une mise à jour sur les principaux sujets de notre spécialité.
- Vous êtes chef du service de chirurgie cardiovasculaire au CNC. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste cette spécialité ? En quel cas doit-on y recourir ? Pour quels types de patients est-elle généralement réalisée ?
- Effectivement, je suis le chef de service de chirurgie cardiovasculaire, depuis sa fondation en 2012. À cet effet, je coordonne les activités de l’équipe de chirurgie afin de prendre en charge les patients reçus dans le service. Nos activités sont variées : elles vont de la chirurgie cardiaque à la chirurgie vasculaire en passant par la chirurgie thoracique, aussi bien pour les adultes que pour les enfants.
C’est une panoplie d’actes allant de la simple exécution de fistules antério-veineuses pour les dialysés, au « débouchage » d’artères pour des patients souffrant d’ischémie, c'est-à-dire d’une obstruction artérielle des membres. Sur le plan cardiaque, nous sommes amenés à faire essentiellement de la chirurgie des valves cardiaques et des artères coronaires, ce qu’on appelle des remplacements valvulaires et des pontages coronaires.
Au plan thoracique, nous traitons toute une gamme de pathologies allant des infections pulmonaires aux tumeurs cancéreuses, ainsi que les traumatismes thoraciques. Pour les enfants, notre activité est encore limitée à la chirurgie cardiaque ne nécessitant pas de circulation extra-corporelle, c'est-à-dire la chirurgie à cœur fermé.
- On entend parler d’opération à cœur ouvert. En quoi consiste-t-elle ? Qu’est-ce qui la différencie du cathétérisme cardiaque ?
- Justement, ce type de chirurgie est un acte qui nous amène à travailler sur le cœur et, comme vous le savez, celui-ci bouge beaucoup. Pour y travailler de façon sereine, on doit l’arrêter puis on l’ouvre quand il s’agit d’une chirurgie valvulaire.
Par contre, quand il s’agit d’une chirurgie coronaire, on ne travaille qu’à la surface du cœur. Mais on parle dans tous les cas de chirurgie à cœur ouvert puisqu’on utilise une machine « cœur-poumon artificiel » qui permet à l’organisme de survivre, le temps de l’arrêt cardiaque induit qui peut prendre une heure, une heure et demie, voire deux heures de temps.
À la différence, le cathétérisme cardiaque regroupe des interventions sur le système vasculaire cardiaque sans incision. On introduit de petits cathéters – sorte de « petit tuyaux » – pour filmer et parfois intervenir dans le cœur et ses vaisseaux. C’est beaucoup moins invasif, on n’endort pas le patient qui peut sortir le même jour sans cicatrice.
- De quels moyens humains et matériels dispose votre service pour accomplir sa mission ?
- Le service dispose d’une équipe de six chirurgiens cardiovasculaires et thoraciques, un cardiologue, six résidents et une cinquantaine d’infirmiers, avec une capacité hospitalière de vingt-deux lits, un bloc opératoire de quatre salles dotées de tous les moyens nécessaires (notamment trois machines de circulation extracorporelle). Nous travaillons en étroite collaboration avec le service d’anesthésie-réanimation qui dispose de cinq réanimateurs seniors et une réanimation de neuf lits. Mention spéciale pour le service de la pharmacie qui nous approvisionne en produits très spécifiques et coûteux.
- Le CNC reçoit, chaque année, plusieurs missions médicales étrangères. Pouvez-vous nous dire ce qu’elles apportent aux patients mauritaniens et au personnel de l’établissement ?
- Effectivement, notre établissement reçoit fréquemment des missions médicales étrangères. Entrant dans le cadre de la coopération bilatérale avec les pays frères et amis, elles concernent principalement la chirurgie pédiatrique mais aussi le cathétérisme et la chirurgie adulte. Elles profitent essentiellement aux patients indigents incapables de supporter le coût des interventions mais également à la chirurgie pédiatrique qui n’est pas très pratiquée par notre service.
En plus de la prise en charge de nos patients sur place, ces missions permettent de renforcer les compétences du personnel de notre établissement par un processus de transfert de compétences.
- Les maladies cardiaques sont de plus en plus fréquentes. Quelles en sont les plus répandues et les plus redoutées chez nous ? Pouvez-vous nous citer quelques-unes de leurs principales causes? Que faudrait faire pour les prévenir ?
- Effectivement, les maladies cardiovasculaires sont de plus en plus fréquentes. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce constat. D’abord, les moyens de diagnostic et de dépistage se sont beaucoup améliorés, ainsi que l’offre générale des soins, ce qui constitue en soi un biais. Il s’y ajoute le changement de nos modes de vie : nous devenons de plus en plus des sédentaires avec un excès de consommation de sel et de sucreries.
La prévalence de l’obésité chez nos hommes et femmes est très élevée, le tabagisme progresse et touche un adulte sur cinq, l’hypertension et le diabète ne font que se développer.
Ce sont là autant de facteurs de risque de pathologies cardiaques. Ils causent, entre autres, les maladies coronariennes qui, dit de façon simpliste, sont la résultante de l’obstruction des artères coronaires et des artères en général. Il existe chez nous un autre fléau : les valvulopathies qui résultent du rhumatisme articulaire aigu, conséquences d’angines mal traitées de l’enfance.
Il existe des moyens permettant de gérer ces maladies : une alimentation saine, la pratique régulière du sport, le suivi adéquat des maladies chroniques, telles que le diabète et l’hypertension artérielle, le sevrage tabagique et, enfin, le traitement des angines... L’amélioration des conditions d’hygiène des populations démunies ainsi que la sensibilisation peut également réduire les risques liés à ces maladies.
- Les actes de chirurgie cardiaque sont très onéreux. Que fait l’établissement pour permettre aux patients ne disposant pas de prises en charge d’en bénéficier ?
- Vous avez raison, le coût des actes de la chirurgie cardiaque est très onéreux. Les raisons sont liées aux équipements et aux consommables. Tenez-vous bien : une opération de chirurgie cardiaque avec ses consommables coûte au bas mot un million d’ouguiyas. C’est aussi le cas du cathétérisme cardiaque où les stents, ballons et autres consommables coûtent excessivement cher. Enfin, n’oublions pas le coût de la maintenance et de la formation des médecins.
Face à ce constat, l’hôpital et les pouvoirs publics ne ménagent aucun effort pour aider les patients démunis et ne disposant pas d’assurance-maladie. C’est dans ce cadre que le gouvernement supporte, depuis le début de l’année, 50% des frais de ces opérations. Il s’agit d’une action très importante qui a été mal comprise, puisqu’on a parlé d’une « remise » de 50% offerte par le CNC aux patients. La vérité est que le prix n’a pas changé: c’est le gouvernement qui en supporte la moitié.
- Selon l’expérience et la pratique au quotidien, diriez-vous que le CNC est sur le point de devenir un centre de référence de la sous-région ?
- Le CNC est déjà un centre de référence dans la sous-région. Ici, nous avons la chance de disposer, sur un même site, de toutes les spécialités de la cardiologie. C’est un grand atout.
Cela va de la cardiologie générale à l’imagerie cardiovasculaire, en passant par la cardiologie interventionnelle et la chirurgie pédiatrique… Du point de vue « volume d'activités », nous effectuons, chaque année, deux mille coronarographies ; six cents angioplasties coronaires et sept cents interventions dont deux cents actes à cœur ouvert.
De ce fait, nous accomplissons notre mission fondamentale, à savoir : prendre en charge le patient mauritanien. Mais nous recevons aussi de plus en plus de patients venant des pays voisins, notamment du Sénégal, du Mali et même de la Côte d’Ivoire.
Propos recueillis par Dalay Lam