RFI Afrique - L'Agence française de développement (AFD) publie une note analytique concernant les conséquences de la guerre en Ukraine sur les économies africaines – déjà fragilisées par la pandémie de Covid-19, les conflits et les changements climatiques sur fond de flambée des prix, notamment du pétrole et du blé.
Conséquences au premier rang desquelles se trouve l'aggravation de l'insécurité alimentaire. Pour Matthieu Le Grix, expert agricole à l'Agence française de développement, la situation économique et sociale pourrait devenir intenable. Il est l’invité de Carine Frenk.
RFI : La guerre en Ukraine signifie la faim en Afrique. C’est ce qu’a déploré la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, à la mi-mars. Vous partagez ces inquiétudes ?
Matthieu le Grix : Oui, tout à fait. La situation est effectivement alarmante, mais il faut aussi dire très rapidement que l’Afrique subsaharienne en particulier n’a pas attendu la guerre en Ukraine pour être dans une situation très préoccupante du point de vue de la sécurité alimentaire. En Afrique de l’Ouest, la situation se dégrade depuis trois ans maintenant. Et finalement, la guerre en Ukraine, dans cette région, ne fait qu’aggraver une situation préexistante.
Vous parlez d’un risque majeur aujourd’hui ?
Oui. Tout à fait. Les dernières données du Réseau de prévention des crises alimentaires en Afrique de l’Ouest sont éloquentes. Elles indiquent qu’à l’échéance de la soudure de 2022, entre les mois de juin et août, environ 40 millions de personnes en Afrique de l’Ouest seraient, seront en situation de crise alimentaire. On était il y a deux ans à environ 15 millions.
Pourquoi cette menace est-elle particulièrement forte aujourd’hui ?
La part de l’alimentation dans le budget des ménages en Afrique est particulièrement élevée. En Afrique de l’Ouest, on parle de 40 à 50% du budget des ménages qui est consacré à l’alimentation. Donc, toute hausse des prix de l’alimentation a un impact très important sur le pouvoir d’achat. Et s’agissant de l’impact sur le prix du blé, ce sont les populations urbaines qui vont être touchées en direct. Et donc, on peut effectivement exclure que ceci combiné à l’augmentation du prix de l’énergie et au phénomène inflationniste du coût que cela entraîne, qu’il y ait de véritables problèmes de pouvoir d’achat, notamment en ville et en Afrique de l’Ouest, et peut-être des conséquences sociales. L’autre élément très important, c’est l’augmentation du prix des engrais, parce que cela va poser la question de la sécurité alimentaire non pas maintenant, mais dans toute l’année qui vient et en particulier dans un an, parce que les engrais étant plus chers, la production en 2022 notamment au Sahel risque d’être moins importante. Et c’est donc la soudure 2023, c’est-à-dire correspondant à notre été 2023, qui risque encore une fois d’être très critique. Donc, l’impact, il est immédiat, mais il risque aussi d’être durable malheureusement dans les prochains mois et années.
Certains pays ont pris des mesures pour limiter la hausse des prix et permettre à la population de se nourrir. Mais cela coûte très cher aux finances publiques. Pourront-ils tenir ?
C’est un facteur d’inquiétude important et en particulier en Afrique du Nord où les mécanismes de subventionnement du pain consomment beaucoup de finances publiques. Des économies qui sont déjà fragilisées. Il y a des inquiétudes fortes sur l’impact sur les finances publiques.
Les bailleurs multilatéraux préconisent de sortir de ces dispositifs de subventionnement généralisé. Est-ce franchement envisageable vu la crise qui se profile ?
Ce n’est pas envisageable à court terme et de manière radicale. La question qui doit se poser, à mon sens, c’est la pérennité de ces mécanismes de subventionnement. Ce n’est pas tant le principe que l’équilibre de ces dispositifs et leur pérennité. Donc, certains doivent être réformés, mais ce n’est certainement pas en préconisant leur suppression radicale et immédiate que les effets vertueux recherchés seront obtenus. Au-delà des mécanismes de subventionnement, il y a un autre mode d’intervention publique qui nous semble particulièrement important, ce sont les mécanismes de stockage à la fois à l’échelle nationale, et à l’échelle régionale. La Cédéao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest] notamment dispose d’une politique et d’un mécanisme de stockage régional qui fait jouer la solidarité régionale en cas de crise alimentaire. Et je crois que ces modes d’intervention publique pour prévenir les crises et y répondre doivent être vraiment remis en avant, renforcés, voire étendus.
Par : Carine Frenk