Le Calame - Comment le syndicaliste que vous êtes et donc membre de la Société civile a-t-il accueilli la désignation par le président de la République d’un président de la commission de supervision des concertations politiques entre la majorité et l’opposition ?
Abdellahi Ould Mohamed : Cette désignation semble répondre à une exigence de l'opposition. Nous n'avons pas été associés aux consultations préliminaires pour exprimer notre opinion là-dessus. Nous savons également que notre pays a connu, sous des formats différents, plusieurs dialogues politiques dont certains ont été bénéfiques pour le pays, d’autres porteurs de résultats mitigés et certains ont échoué. Nous observons celui qui vient d'être enclenché pour voir dans quelle loge il finira. En tout cas, je lui souhaite du fond du cœur la réussite, même si je reste préoccupé.
- Au vu de la constitution de la commission, la Société civile a été ignorée. Votre réaction ?
- Je pense que les thématiques relevant de l'ordre politique, tel que le dispositif électoral, doivent concerner principalement ses acteurs. Cependant certaines questions sociétales doivent recueillir l'implication de tous les autres acteurs, notamment les syndicats, les ONG, les personnalités nationales indépendantes, en plus, évidemment, des politiques. Dans ce chapitre, je pense à la question du passif humanitaire et à celles des libertés fondamentales.
- Vous êtes engagé, semble-t-il, dans le processus des élections syndicales. Où en êtes-vous dans les préparatifs ?
- Nous avons appris par voie de presse [Décembre 2021, ndr] que le gouvernement a adopté une feuille de route relative à la représentativité syndicale en Mauritanie. Mais à ce jour, nous en ignorons tout, ou du moins nous à la CGTM.
Il faut dire que cette question de la représentativité a été abordée depuis plusieurs années et l’on était même arrivé à la conclusion d'une feuille de route en 2017, avec le concours du BIT, mais la volonté politique n'était alors visiblement pas au rendez-vous, ce qui portait grandement préjudice à la crédibilité extérieure de notre État.
Il y a quelques mois, nous le savons, le ministère chargé du travail avait, pour avis consultatif, soumis au Conseil national du travail, de l'emploi et de la sécurité sociale, un projet de loi modificatif de certaines dispositions législatives relatives à la représentativité syndicale.
Selon nos informations, la plupart des centrales syndicales semblent être en désaccord avec ce projet et ont entamé des contacts pour faire prévaloir leur opinion mais nous ne disposons pas d'informations quant aux résultats de ces rencontres. Tout ce que nous savons, c'est que cette question semble déranger beaucoup, malgré qu'elle constitue une condition de légalité pour toute négociation sociale.
- Il y a beaucoup de « syndicats-cartables ». Pensez-vous que les prochaines élections vont permettre d’assainir ce secteur ? Pourraient-elles se dérouler dans un climat de transparence et d’indépendance du gouvernement ?
- Je me réserve de porter un jugement sur les autres centrales syndicales, même s'il faut rappeler qu'il y a une grande différence entre le droit à l'organisation et le statut de la représentativité. Tous les travailleurs ont le droit de fonder l'organisation de leur choix mais le statut de la représentativité s'acquiert à partir d'un seuil de critères que la loi a explicitement énumérés.
Quant à la transparence du processus et l'impartialité de l'État qui a la charge de gérer l'opération, nous le souhaitons – le réclamons, même – et le meilleur gage pour nous est notre implication dans le processus. Normalement, après la détermination de la représentativité syndicale, l’assainissement du secteur sera fortement engagé.
- Que vous inspire la désignation du nouveau secrétaire général de l’UTM ? Peut-on dire qu’elle est sous la coupe du patronat mauritanien ? Le syndicalisme sert-il à quelque chose aujourd’hui ?
- Je préfère ne pas commenter ce qui se passe au sein d'autres organisations. La preuve que nous ne partageons pas la ligne de cette organisation en est notre départ et la fondation d'un autre cadre. Le syndicat est depuis toujours utile, sinon les travailleurs n'auraient pas consenti autant d'efforts et de sacrifices pour instituer et entretenir ces structures.
Mais le mouvement syndical, reflet de la situation sociale du pays, évolue en dents de scie et il est aussi souvent impacté par la ligne qu'on lui imprime. C'est dire que ce mouvement a besoin d'une réelle indépendance vis-à-vis des employeurs publics et privés, pour être en mesure d'exprimer et défendre les préoccupations des travailleurs.
Mais cela n'est pas à lui seul suffisant pour mener sa mission : il faut aussi disposer de l'expertise nécessaire car le syndicalisme traite de plusieurs questions transversales et fait face à des partenaires disposant de beaucoup de moyens.
Cela d'autant plus que le syndicat a été fondé pour permettre aux travailleurs de négocier collectivement avec leurs partenaires. On ne se voilera pas le visage en niant les lacunes et les tares que connaît notre mouvement syndical mais elles restent surmontables ou, à la limite, fortement atténuables.
- Comme les politiques, on entend peu les syndicats depuis l’arrivée au pouvoir du président Ghazwani. Est-ce à dire qu’il a eu une pensée spéciale pour les travailleurs, les retraités et les chômeurs ?
- Comme je l’ai dit précédemment, le mouvement syndical est le reflet de la société qui l'a enfanté. En d'autres termes, l'agitation, les négociations et les avancées sociales sont le fruit de la connexion de plusieurs facteurs. N'oublions pas que notre pays ne dispose pas de grande tradition de négociations sociales professionnelles et interprofessionnelles, ce qui explique en partie le caractère vétuste de notre arsenal juridique en ce domaine.
Il faut également rappeler que nous disposons d'une convention collective générale qui date de plus de quarante-huit ans, alors qu’elle est censée n’avoir qu’une durée maximale de vie de cinq ans. La majorité écrasante des secteurs professionnels ne disposent pas de conventions sectorielles.
Seulement cinq en jouissent et la plus récentes parmi elle est celle des mines qui date de 1968.Généralement, la vie syndicale était souvent animée par les délégués du personnel au niveau des entreprises et quelques rares actions sectorielles au niveau de la fonction publique.
Il se trouve que le gouvernement mauritanien décida illégalement de suspendre les élections des délégués du personnel en 2014, ce qui nous a conduits à porter plainte contre le gouvernement auprès du BIT. Et c'est seulement fin 2020 que celui-là a levé l’inique mesure. À ce jour, la majorité des entreprises du pays ne disposent pas de délégués du personnel.
Malgré cette carence, le pays a connu, sous le pouvoir actuel, plusieurs mouvements sociaux, notamment au niveau des mines, des dockers ou des BTP. Nous ne devons pas non plus perdre de vue que la pandémie a fortement impacté la situation sociale chez nous et dans le Monde. Non, l'accalmie relative que connaît le pays n'est ni le résultat de l'amélioration de la situation sociale et moins encore d'une entente avec les employeurs et le gouvernement.
- Les prix des produits des denrées de première nécessité ne cessent de flamber, surtout avec le mois béni du Ramadan. Les raisons avancées par les commerçants sont-elles convaincantes ?À votre avis, pourquoi le gouvernement ne réussit-il pas à contenir cette spirale de hausse ?
- La question des prix est transversale. Il y a les choix économiques. Il y a la politique fiscale. Il y a la politique monétaire. Il y a également les choix sociaux. En plus de ces questions, vous avez la question de l'efficacité des services publics en charge de l'application des politiques publiques en la matière.
Certains arguments des commerçants sont fondés mais la spéculation et l'inadaptation des politiques publiques sont les traits dominants de notre vécu. Et il faut reconnaître que la faiblesse des syndicats et de la Société civile y est pour quelque chose...
Propos recueillis par Dalay Lam