Jeune Afrique - En trouvant un accord confidentiel avec le ministre du Pétrole, Abdessalam Ould Mohamed Saleh, le trader s’ouvre la possibilité de rester le fournisseur exclusif de produits raffinés de la Mauritanie. Explications.
Mi-novembre, à Nouakchott, dans les bureaux du ministère du pétrole, les équipes d’Oryx Energies ont remporté une partie décisive pour l’avenir immédiat du trader dans le pays. Depuis sept ans, la filiale du groupe AOG, fondé en 1987 par le Suisse Jean-Claude Gandur, détient le contrat de fourniture de produits raffinés au niveau national.
Pour le négociant, c’est la garantie d’un revenu d’environ un milliard de dollars par an contre la livraison d’un million de tonnes de fioul, de kérosène, de gasoil et d’essence au profit de la Société mauritanienne d’électricité (Somelec), de la Société nationale industrielle et minière (Snim) et d’une dizaine de revendeurs. Mais ces derniers mois, ses relations avec les autorités mauritaniennes et les distributeurs locaux s’étaient passablement dégradées.
Discrètes réunions
Nouakchott reprochait, entre autres, au trader basé en Suisse d’avoir fourni des produits non conformes, d’avoir surfacturé la Somelec, de ne pas assurer à la Mauritanie les stocks promis et d’avoir occasionné des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement.
De son côté, Oryx assurait avoir fait l’objet d’un traitement déloyal. Si, cette année, il a livré une fois à la Mauritanie du fioul – initialement destiné à la Guinée – dont les spécificités différaient du cahier des charges national, c’était avec l’aval de certains responsables publics et sans conséquences dans son utilisation, indique à Jeune Afrique une source proche du dossier. En outre, le trader estimait que la Snim avait immobilisé de manière abusive 20 millions de dollars déposés en garantie pour compenser des retards et lui avait imposé des pénalités exagérées. Il réclame par ailleurs le remboursement de 7,7 million de dollars, équivalent à du fioul réquisitionné par la Somelec sans autorisation.
Selon nos informations, les réunions, conclues par un accord le 21 novembre, ont duré toute la semaine. Elles ont impliqué le directeur général d’Oryx Energies Moussa Diao, l’avocat du trader, Me Eric Diamantis (Diamantis&Partners, cabinet dans lequel officie Me Jemal Taleb), le ministre mauritanien du Pétrole, Abdessalam Ould Mohamed Saleh, ainsi que le président de la commission des hydrocarbures et les distributeurs locaux.
Surcoût de 50 millions de dollars
À l’issue de ces échanges, Oryx a accepté de rembourser à la Somelec 9 millions d’euros, facturés en raison de nouvelles dispositions qui permettaient à l’entreprise mauritanienne d’obtenir des livraisons par le biais d’une procédure simplifiée, la libérant des lourdeurs de la Banque centrale. Signé en 2020, ce contrat avait été dénoncé en juin dernier après l’arrivée d’un nouveau directeur général à la tête de la compagnie d’électricité, parce qu’il entraînait un surcoût de 50 millions de dollars par an.
En contrepartie, la Somelec a annulé les pénalités de retard (10 millions de dollars) qu’elle avait prononcées à l’encontre du trader. Ce dernier a également obtenu que soit effacée l’ardoise de 6 millions de dollars dues aux distributeurs locaux pour les mêmes raisons et de récupérer les 20 millions de dollars qui avait été mis sous séquestre par la Snim pour sanctionner les ruptures d’approvisionnement.
Il a aussi reçu la garantie de se faire payer le fioul réquisitionné par la Somelec quand l’électricien et son fournisseur suisse étaient en conflit au sujet de la renégociation des termes de leur contrat. Satisfait par cette sortie de crise, Oryx entend participer une nouvelle fois à l’appel d’offres qui sera lancé en février par Nouakchott pour l’approvisionnement pendant un an du pays.
Concurrents
Pour le négociant, le contrat mauritanien n’est pas forcément très rentable, mais il lui permet de réaliser un certain nombre d’économies sur la gestion de ses stocks situés à Las Palmas. Afin de l’emporter, il est donc prêt à consentir à des rabais importants, au point de vendre certaines années à perte et accepte de multiplier les livraisons rendues obligatoires en raison des faibles capacités de stockage du pays. Annoncées à 400 000 tonnes, ces dernières ne seraient, selon l’avocat d’Oryx, que d’environ 120 000 tonnes. Il arrive donc que le stock national passe parfois sous le niveau autorisé (42 000 tonnes) lorsque plusieurs commandes s’accumulent dans un temps très court.
Bien que cela ne dure que très peu de temps, le trader est sanctionné par des pénalités pour chaque manquement à ses engagements. Trop complexe à mettre en œuvre, le contrat mauritanien n’intéresse plus les majors pétrolières depuis une quinzaine d’années. La disqualification d’Oryx n’aurait en revanche pas été une mauvaise nouvelle pour des concurrents comme Trafigura ou Litasco, filiale négoce de Lukoil.
Par Julien Clémençot et Justine Spiegel