L'Express - Pas de trêve des confiseurs pour le groupe Bolloré. Le géant français a annoncé dans la soirée du lundi 20 décembre avoir reçu une offre de 5,7 milliards d'euros de l'armateur italo-suisse MSC pour mettre la main sur son pôle Bolloré Africa Logistics.
"Le Groupe Bolloré a consenti une exclusivité au Groupe MSC jusqu'au 31 mars 2022 afin que ce dernier puisse, à l'issue d'une phase d'audit complémentaire et de négociations contractuelles, lui remettre, le cas échéant, une promesse d'achat", précise le conglomérat bâti par la figure du capitalisme financier français Vincent Bolloré.
Cette branche historique, longtemps considérée comme la "vache à lait" de l'homme d'affaires, l'aidant à financer nombre de ses raids financiers, regroupe les concessions d'une quarantaine de ports en Afrique centrale et de l'Ouest (Cameroun, Congo, Côte d'Ivoire...), ainsi que trois lignes ferroviaires et une myriade d'entrepôts, "occupant une superficie totale de 7,5 millions de mètres carrés", souligne-t-on dans l'entourage du groupe.
Elle a réalisé un chiffre d'affaires proche de 2,1 milliards d'euros en 2021 et emploie 24 000 personnes.
"Une offre surprise, il n'y avait pas eu de première approche de MSC avant cela", assure-t-on du côté du groupe tricolore, qui a obligé les cadres dirigeants à se remobiliser alors que les vacances de fin d'année leur tendaient les bras.
D'autant que depuis la révélation par le quotidien Le Monde du mandat délivré par le groupe français à la banque d'affaires Morgan Stanley pour sonder de potentiels acquéreurs, les rumeurs faisaient plutôt état d'un intérêt de l'armateur marseillais CMA CGM et de son concurrent danois Maersk.
Un prix plus élevé qu'attendu
Une offre à un très bon prix - les premières estimations des experts tournées plutôt autour de 2 à 3 milliards d'euros - qui s'explique par l'appétit des armateurs qui veulent à tout prix remonter la chaîne de valeur. En clair, maîtriser l'ensemble de la filière, des porte-conteneurs jusqu'aux ports. Et qui en ont les moyens. La pandémie ayant lourdement perturbé la logistique mondiale, les industriels se battent pour le moindre conteneur, ce qui a fait exploser le prix du fret (multiplié par cinq depuis le début de la crise), et remplit de cash les poches des armateurs.
Ces deux derniers mois, CMA CGM a ainsi racheté Fenix Marine Services, le troisième plus gros terminal du port de Los Angeles, et mis la main sur la branche "Commerce & Lifecycle Services (CLS)" de l'américain Ingram Micro, spécialisée notamment dans la logistique pour le e-commerce. Des emplettes à plus de quatre milliards d'euros. "Si MSC réussit son coup, il mettra la main sur le plus gros ensemble portuaire d'Afrique, un continent où les ports sont des points d'entrée incontournables", souligne un bon connaisseur du secteur.
Une concurrence africaine de plus en plus aiguisée
Si Cyrille Bolloré, qui a succédé à son père à la tête du groupe familial en 2019, a fini par se résoudre à vendre le coeur historique du groupe, c'est que la concurrence ne cesse de s'intensifier. Le singapourien Olam, et plus encore le chinois Cosco Shipping se montrent en effet de plus en plus agressifs.
"Les conditions de concurrence ne sont plus équitables, avec des opérateurs asiatiques qui proposent des financements à 0% pour construire les ports", souligne un proche de l'entreprise française. L'activité resterait néanmoins très rentable, "et le groupe affiche un endettement raisonnable et des lignes de crédits, il n'y a donc aucune urgence", poursuit notre interlocuteur. Façon amicale de mettre une petite pression sur MSC, qui pourrait se faire coiffer au poteau par un concurrent disposé à surenchérir.
"Mais logiquement cela devrait aboutir", souffle-t-on du côté du groupe basé à Puteaux (Hauts-de-Seine). Le fait que le potentiel acquéreur soit européen devrait éviter les interférences politiques, alors que le gouvernement français et la Commission européenne se montrent de plus en plus sourcilleux en matière de souveraineté industrielle. Même si l'équipe Macron aurait certainement rêvé d'un rachat de l'empire africain de Bolloré par le marseillais CMA CGM. "Contrairement aux rumeurs, il n'y a pas eu d'offre. L'Afrique n'est pas leur priorité", assure-t-on côté Bolloré.
Les ennuis judiciaires de Vincent Bolloré en Afrique, qui avait reconnu en février dernier sa culpabilité pour des faits de corruption au Togo, et avait accepté de payer une amende de 375 000 euros mais devrait malgré tout être jugé dans les prochains mois, ont certainement également dû jouer dans la décision de se séparer de Bolloré Africa Logistics.
Par Emmanuel Botta