L’actualité du jour, c’est comment Google a réussi en 2019 une évasion fiscale de 75 milliards $ (!) en profitant de la très souple juridiction fiscale d'Irlande pour exporter son bénéfice imposable dans le paradis fiscal des Bermudes…
Cette affaire vient rappeler la responsabilité croissante du secteur numérique dans l'érosion des ressources fiscales dont les pays ont besoin pour financer les dépenses publiques.
Elle rappelle également que pour les régions du monde pauvres en ressources financières, comme l'Afrique, le nombre d'utilisateur de l'internet a atteint les 600 millions de personnes selon des statistiques non contestées, et qu'une part non négligeable d'entre elles contribuent à la réalisation du chiffre d'affaires de Google. L’évasion fiscale largement pratiquée par les multinationales du digital est aujourd'hui combattue par plusieurs pays, mais cette croisade légitime ne doit pas occulter le principal défi fiscal de l'Afrique.
Pour Chafik Ben Rouine, le président de l'observatoire tunisien de l'économie, l'internationalisation du débat sur les flux financiers illicites occulte le fait que les plus importantes érosions de la base imposable en Afrique s’opèrent dans le commerce international des biens et des services. Une position partagée par Jean Mballa, le directeur exécutif de l'ONG CRADEC, au Cameroun, dont une récente étude a mis en évidence le fait que son pays a perdu en 10 ans l'équivalent de 31,5 milliards $ dans le commerce avec l'extérieur.
Un des modes de fuite fiscale en Afrique réside dans les transactions que les multinationales y réalisent avec d'autres filiales de leurs groupes. Dans son rapport sur le développement en Afrique, le continent noir perd 88,6 milliards $ par an en raison de la fausse facturation dans le commerce international.
Une part importante de ces fuites est constatée dans le commerce des services tels que l'assistance technique, les frais de management, les droits de marque, les services financiers, les transports, etc. Parce que ces services sont facturés par des filiales situées hors des pays africains, plusieurs administrations fiscales de la région les taxent au minimum et parfois même déduisent les charges qui en découlent de la base imposable. Ainsi, selon des données du Centre pour le Commerce International, entre 2015 et 2019, les pays africains ont acheté des services internationaux pour un total de 781 milliards $. Un stock de capitaux qui jouit d'une fiscalité plus que tolérante.
Mais une forte volonté de changement s’exprime partout dans le monde à ce sujet. Le Panel FACTI, une instance mise en place par le Conseil économique et social des Nations unies a fait des propositions innovantes. Il suggère par exemple que toute action des individus ou des entreprises qui réduisent les ressources susceptibles de financer le développement dans le monde, devrait être sanctionnée.
Même les USA ont sonné le glas de la course au dumping fiscal en annonçant leur adhésion au principe d'un taux d'imposition minimum des multinationales.
Certes, les ONG africaines et internationales attendent de voir si ces bonnes intentions vont se confirmer dans des actes politiques. Pour Tax Justice Network, une ONG basée à Londres, les populations des pays pauvres commenceront à vivre un début de justice fiscale, lorsqu'à l'échelle du monde seront appliqués les principes de l'échange automatique d'information financière et fiscale, le reporting des performances financières pays par pays, la transparence sur la propriété réelle sur les biens, et un registre international de gestion des actifs.
Idriss Linge
(agenceecofin.com)