L’opinion publique mauritanienne n’en revient pas. L’annonce du retour « aux affaires » de l’ancien ministre des finances à la tête de la Snim a pris de court les mauritaniens reléguant même au second plan la déclaration de politique générale du nouveau premier Ministre; pourtant très attendue.
Dans les salons nouakchottois et sur les réseaux sociaux l’annonce de la désignation de l’ex-ministre de l’économie et des finances, Mokhtar Ould Djiye, aux commandes de la Snim, la plus importante société minière du pays, en remplacement de Hassena Ould Ely démis, a déçu et laissé perplexes les mauritaniens. Ces derniers espéraient que le changement promis par le président, Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, ne s’accommoderait plus des responsables soupçonnés avoir participé à dilapider les ressources publiques. Mais passée la gueule de bois, les mauritaniens s’interrogent sur les motivations profondes de ce changement inattendu.
Passer l’éponge sur l’ardoise
Très impopulaire, rien n’indiquait que l’ancien ministre des finances pouvait signer son come-back de sitôt. En effet, sa sortie du gouvernement, le 8 août 2019, était perçue comme une délivrance par toute l’opinion. Le président nouvellement installé, le 1 er août 2019, avait lui aussi de très bonnes raisons de ne pas lui faire appel. La plus fraîche de ses bévues est que Mokhtar Ould Djiaye est l’artisan de la crise avec la Banque Islamique de Développement. Cette dernière avait, depuis la fin juillet 2019, décidé de ne plus décaisser le moindre dollar pour ses projets de développement dans le pays. L’irrespect des engagements souscrits par l’Etat dans le paiement d’un échéancier de dette contractée par la Somelec (société nationale d’électricité) et la crise qui s’en est suivie lui est imputée comme premier responsable de ce dossier encore pendant. Comment alors dans ces conditions est-il revenu par la « grande » porte de la Snim?
Si les mauritaniens ont déchanté, au lendemain de cette mesure, ils sont aujourd’hui d’accords pour stigmatiser le président Ghazouani auquel ils accordaient le bénéfice de la sincérité à sortir le pays de l’ornière. Pour cette frange de mauritaniens l’on ne s’explique pas encore comment la première décision prise par le président, après la formation de son gouvernement, est de faire appel à l’homme à tout faire du président Mohamed Ould Abdelaziz. Ils commencent surtout à douter de la capacité de Ghazouani à s’affranchir du modèle de gestion de son prédécesseur. Et les supputations vont bon train pour expliquer la nomination de l’ancien ministre des finances aux commandes de la Snim.
Le premier argument avancé serait lié à un rapport présenté aux nouvelles autorités par l’ADG limogé, Hassena Ould Ely, concernant la gestion de l’entreprise et le système d’intermédiaires créé sous le président Mohamed Ould Abdelaziz pour la vente du fer.
Ces intermédiaires seraient tous des proches de l’ancien président. Informé dudit rapport, l’ex président Mohamed Ould Abdelaziz aurait demandé et obtenu de son successeur, Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, de remplacer dans l’urgence Oud Ely et de nommer Mokhtar Ould Djiaye à sa place.
Mais ce qui est indéniablement certain, c’est que le nouveau président a payé un lourd tribut politique en acceptant le retour de l’homme de main de l’ancien président. Dans son propre camp mais aussi dans de larges pans de l’opposition qui lui accordaient un crédit, l’image de Ghazouani en prend un sérieux coup. Pire, elle renforce le camp des sceptiques quant à son véritable rôle sur l’échiquier politique national. Beaucoup de ses « soutiens » cèdent au découragement face à cette image de « marionnette » que le président Mohamed Ould Abdelaziz lui flanque pour continuer de gérer le pays à distance. Une situation qui risque d’écorner définitivement le slogan de « l’homme du consensus » dont se targuait Ghazouani et qui lui avait permis d’accrocher beaucoup de ses compatriotes, au lendemain de son discours du 1er mars 2019.
La Snim, la poule aux œufs d’or
Opérateur historique pour l’exploitation exclusive du fer en Mauritanie –après la nationalisation de son aïeule, la Miferma- la Snim (Société nationale industrielle et minière) est après l’Etat, qui en détient 80% d’actions, le second employeur avec plus de 6000 employés. Elle assure 50% des exportations du pays et plus de 30% du budget national. La Mauritanie est ainsi classée 13ème producteur mondial de fer. C’est dire son importance dans l’économie du pays. Mais fin 2014, elle est traversée par la plus longue grève de son histoire. Outre la chute des prix du minerai de fer sur le marché international, la société est soumise à une mauvaise gouvernance sans précédent. Tous les responsables qui se sont succédé à la tête de l’entreprise l’ont flouée. Pire encore, la diversification que lui impose le régime de Mohamed Ould Abdelaziz (prêt de 15 milliards à Najah Major Work pour construire l’aéroport international de Nouakchott, l’achat d’avion à la Mauritanian Airlines et la mise en place de sa Fondation) précipite le déraillement de l’entreprise dont les finances sont dépensées sans compter. Le matelas de sécurité censé être mis en place entre 2008 et 2014 alors que la tonne de fer est vendue en moyenne 130 Usd s'est vite dégonflé laissant place à une crise pernicieuse de l’outil de production, à l’amertume des cadres et à un climat social délétère.
Pour les observateurs à défaut de lui donner le coup de grâce, Mokhtar Ould Djiaye, va s’investir, sans état d’âme, pour ne laisser aucune trace de la gabegie dans cette entreprise qui a servi de poule aux œufs d’or sous l’ancien président Aziz. L'urgence et le retour du plus honni des ministres n'aurait qu'un objectif taire "cette affaire" avant qu'elle ne soit divulguée à grande échelle.