La Mauritanie, comme la majorité des Pays les moins Avancés (PMA) n'a pas encore su tirer pleinement profit des opportunités commerciales offertes par la libéralisation des marchés mondiaux, à cause du manque de capacités productives, une qualité insuffisante de l’offre et des exigences de compétitivité liées à la mondialisation des échanges.
Les barrières non tarifaires qui entravent considérablement le commerce extérieur de notre pays sont liées à la non conformité avec les Accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui gouvernent le système commercial multilatéral (SCM), en particulier ceux sur les Obstacles Techniques au commerce (OTC) et sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS).
Pays traditionnellement ouvert au commerce international, la Mauritanie vient de franchir un nouveau cap en signant les Accords de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne (UE), et en prenant une bonne option pour s’arrimer à la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO) dans le cadre d’un Accord d’Association.
Dans la mesure où ces nouvelles politiques publiques affectent l’activité de nos entreprises, et par conséquent la santé économique de notre pays, je me trouve dans l’obligation de m’exprimer sur ce thème en tant que personne ressource formée par son pays en « négociation, formulation et mise en œuvre de politiques commerciales ».
En effet, après plus d’une décennie de négociations, un accord régional avait été paraphé par l’ensemble des parties UE-AO, le 30 juin 2014 à Ouagadougou. L’Accord de Partenariat Economique (APE) avait été signé côté européen, le 12 décembre 2014.
Il avait été signé par presque tous les États ouest-africains en décembre 2014. A cette époque, seuls le Nigéria, la Gambie et la Mauritanie n’avaient pas signé le texte. Mais ces deux derniers pays ont finalement rejoint le groupe des signataires, respectivement le 10 août et le 22 septembre 2018. Les APE sont donc aujourd’hui adoptés par 15 Etats de l’Afrique de l’Ouest à l’exception du Nigeria.
En matière d’intégration régionale, la Mauritanie a signé, en 2017, un accord portant sur le libre-échange, l’application d’un tarif extérieur harmonisé et la facilitation de la circulation des personnes avec la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dont la population va dépasser les 400 millions de personnes en 2020. Ensemble dont notre pays s’était effectivement retiré, le 1er janvier 2001, et sans pour autant intégrer l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), qui est devenue une zone de libre échange en 2000, avec un tarif extérieur commun. Dans la même lancée, le gouvernement mauritanien a adopté un projet de loi autorisant la ratification dudit Accord avec la CEDEAO.
Ainsi, avec ces nouvelles orientations, l’économie mauritanienne sera confrontée à de grands défis, à moyen terme.
Aujourd’hui, si la Mauritanie a réussi à minimiser certaines contraintes de l’offre grâce à d’importantes réformes commerciale et à l’amélioration incontestable de ses infrastructures portuaires et routières, le pays n'est toujours pas bien intégré dans l'économie mondiale. Et parmi les obstacles qui entravent le commerce extérieur de notre pays, au-delà des barrières non tarifaires, figurent en bonne place le manque de ressources humaines et institutionnelles indispensables pour une participation plus active au système multilatéral, notamment aux négociations.
Les domaines liés au commerce dans lesquels la Mauritanie a le plus besoin d'assistance sont: la connaissance des domaines touchant au système multilatéral, notamment la formation des fonctionnaires chargés de mettre en œuvre les instruments de politique commerciale; les notifications; la mise en œuvre des Accords de l'OMC et la formation aux capacités de négociation. C’est en tout cas ce qui ressort dans quasiment tous les rapports du Secrétariat de l'OMC sur la politique et les pratiques commerciales de la Mauritanie.
Sans vouloir jeter l’anathème sur personne, j’ai eu à constater que notre Direction du commerce extérieur a fonctionné, depuis plusieurs années, en sous effectif. Je me suis, maintes fois, poser la question comment notre pays pouvait se retrouver dans les méandres des textes de l’OMC sans une structure dédiée au commerce assez étoffée à l’image de celles des pays riverains. Aujourd’hui, pour la plupart des notifications annuelles à présenter au titre des Accords de l'OMC, la Mauritanie n'a pas encore fait le nécessaire…et pour cause.
Le clou a été encore enfoncé davantage, avec le départ à la retraite du dernier noyau de la Direction du commerce extérieur. Ce genre d’impairs est inimaginable dans les pays riverains qui anticipent, plusieurs années à l’avance, le départ à la retraite de tous les hauts cadres pour pérenniser les bonnes pratiques et rester connectés à l’évolution des négociations commerciales. Cette tradition n’existe pas en Mauritanie où le laxisme ambiant pouvait lourdement hypothéquer l’avenir de tout un pan de l’économie nationale.
Il est vrai que lors du dernier Conseil des Ministres, l’organigramme du Ministère du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme a été renforcé avec la nomination ou confirmation de quelques Chargés de mission et de Conseillers mais la Direction du commerce extérieur a été la grande oubliée avec la nomination d’une Directrice Adjointe au sein cette Direction restée sans tête. Dans ces conditions, elle ne pourra fonctionner, que par intermittence, avec un personnel d’appoint au moment des grands rendez-vous, ce qui est très aléatoire.
Aujourd’hui, l’apathie et l’immobilisme qui a, jusqu’ici, caractérisé notre secteur du commerce extérieur est anachronique et inacceptable car notre pays ne vit pas en vase clos. Et, je franchirai allégrement le pas pour dire que, dans bien des cas, cette situation qui fait perdre à notre pays de précieuses opportunités commerciales, est souvent imputable à un déficit d’informations de nos décideurs sur les questions de l’heure.
Dans quelques années, avec la signature des APE, les produits européens, sans de droits de douane, vont inonder le marché mauritanien avec un manque à gagner fiscal pour l’État qui se fera au détriment des dépenses et investissements sociaux : éducation, santé, infrastructures publiques, protection de l’environnement, etc. Le transfert d’une fiscalité de porte vers une fiscalité intérieure portant sur les seules entreprises du secteur formel risquent, selon plusieurs études, de dégrader considérablement la compétitivité du secteur formel et donc du secteur agroalimentaire moderne.
Certes, dans le cadre des APE, l'Afrique de l'Ouest a exclu tous les produits, essentiellement agricoles, qui sont considérés les plus sensibles et qui sont soumis à un taux de 35% sous le Tarif Extérieur Commun (TEC) de la CEDEAO. Sont aussi exclus de la libéralisation environ la moitié des produits, également en partie agricoles, soumis à un taux de 20% sous le TEC de la CEDEAO.
Ceci donne matière à réflexion quand on sait que tout porte à croire que la Mauritanie va adhérer au Tarif Extérieur Commun (TEC) de la CEDEAO et, progressivement, à tous les mécanismes des échanges de cette organisation sous-régionale.
Initialement, la CEDEAO avait repris les quatre bandes (avec des droits de douane variant de 0 à 20%) de l’UEMOA mais le besoin de protéger certains secteurs stratégiques s’est posé avec de plus en plus d’acuité, si bien que l’ajout d’une 5ème bande (50%) comme l’avait très tôt réclamé le Nigeria est devenu évident. Finalement, les membres de la CEDAO ont trouvé un consensus, mi-figue mi-raisin, pour ramener cette 5ème bande à un taux de 35%.
Seule réserve, certains pays de la CEDEAO et la Mauritanie ont des engagements multilatéraux auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce OMC) qui risquent de constituer des goulets d’étranglement malgré leur volontarisme en matière d’intégration régionale.
En effet, le fait que le TEC soit supérieur aux engagements consolidés à l’OMC pour certains pays de la CEDEAO et l’impact négatif possible du relèvement des droits de douane de la CEDEAO sur les pays tiers (membres de l’OMC) va poser un problème juridique, tout particulièrement pour les produits industriels (la Mauritanie a consolidé à 10.5%).
Bientôt la Mauritanie sera donc amenée à réviser sa liste de « produits sensibles » dans le cadre des APE mais également à reconsidérer les positions tarifaires qui ne sont pas en cohérence avec le TEC de la CEDEAO, et à mettre en place une liste de produits à inclure dans cette 5ème bande.
Face à de tels défis, l’économie mauritanienne est-elle réellement préparer pour faire le grand saut ? Les avis sont partagés. C’est la raison pour laquelle, il sera judicieux, à mon humble avis, de créer une Agence de Promotion des Exportations tout en réhabilitant les autres administrations concernées par la formulation et la mise en œuvre des politiques commerciales en les dotant de personnel qualifié, rompu aux questions du commerce international, à l’image des mêmes structures dans les pays de la sous région.
Mohamed Ahmed El Kory
Economiste
Titulaire d’un Master II en Droit de la Propriété Intellectuelle