Le docteur Mohamed Lemine Ould Cheikh, porte-parole du gouvernement, vient de déclarer que l’actuel président de la République ne quittera pas le pouvoir, à la fin de son deuxième et dernier mandat, en dépit de la Constitution qui limite le mandat présidentiel à deux.
Ce n’est pas la première fois que le ministre s’avance à telle annonce. Cet énième remake intervient quelques semaines après les déclarations de l’intéressé, sur les antennes de France 24, réaffirmant qu’il respectera les termes de la Constitution et qu’un troisième mandat ne le tente pas.
Ould Abdel Aziz ne dit pas plus que ce que dit la Constitution. Ce n’était donc pas un scoop mais certains ne comprennent pas et veulent le pousser à parjurer. À quelle fin ? Le nouvel écart du ministre scandalise en tout cas l’opposition et le FNDU l’a fait savoir. Elle demande même à traduire Ould Cheikh devant la justice.
Divers responsables n’ont pas hésité à parler de « provocation » et se demandent si le ministre n’a pas reçu l’aval de son patron… qui se refuse de le sanctionner, conformément à l’usage, sous d’autres cieux. Un peu curieux, cependant, dans une démocratie. Même bananière !
Agenda perturbé
Mais, à la différence des précédentes sorties d’Ould Cheikh, celle de jeudi dernier tombe dans un contexte particulièrement délicat pour la Mauritanie. Les citoyens sont appelés à renouveler leurs mandataires municipaux, régionaux et nationaux (députés). Le scrutin est fixé au 1er Septembre prochain.
Plus l’échéance approche, plus la tension monte, entre le pouvoir et son opposition dite radicale qui a décidé de participer aux élections. Elle y va avec, pour la première fois, de fortes alliances, parfois coalisées.
En dépit du patron de l’UPR qui l’en croit incapable, elle présente des listes un peu partout dans le pays. Tawassoul, actuel premier parti de l’opposition parlementaire, en a monté, à lui seul, cent cinquante-six.
La décision de l’opposition de prendre part aux élections semble avoir perturbé l’agenda du pouvoir qui s’attendait à un autre boycott qui lui aurait grand ouvert les portes, ainsi qu’à ses partis satellites.
C’est d’abord pour empêcher le pouvoir de « se maintenir par la fraude », comme le rappelaient, de concert, Ahmed Ould Daddah et Mohamed Ould Maouloud, lors d’une récente conférence de presse au siège du RFD, que les partis de l’opposition ont scellé des alliances entre leurs différentes coalitions.
L’Alliance Électorale de l’Opposition Démocratique (AEOD) rassemble ainsi le FNDU, le RFD-UNAD, l’IRA-Sawab, le CDN et Al Watan-RD, affichant sa détermination à entrer, en masse, à l’Assemblée nationale et à lutter contre la fraude dont elle suspecte le pouvoir, lors des prochaines consultations. Sa faiblesse : un cruel manque de moyens financiers, avec de fortes disparités entre ses divers partis.
Côté pouvoir, si l’argent ne fait pas défaut pour battre campagne – les nouveaux hommes d’affaires sont prompts à décaisser… – le choix de ses candidats et la grogne qui s’en est suivie, avec quelques dissidences en corolaire, ont formé une équation à plusieurs inconnues. Les querelles de tendances, réapparues de plus belle lors de la dernière campagne d’implantation du parti-état, ont ébranlé ses rangs.
Si la composition des listes, pour les municipales et les régionales, semble passée sans grand accroc, le choix des députés exacerbe tant les tensions que l’UPR aurait envisagé de le « rééquilibrer ». La manœuvre consisterait à substituer, aux candidats déjà investis par le parti, des candidats membres de tendances rivales.
On annonce que ses instances, dont la commission d’investitures, seraient en conclave pour peaufiner une nouvelle mouture. Le député sortant de M’Bagne, Belou Bâ, a ainsi annoncé, samedi dernier, à ses sympathisants, lors d’une rencontre chez lui à Niabina, qu’il a été reconduit à la place de Cheikh Dia, précédemment retenu.
Selon des informations concordantes, l’homme avait informé, mécontent de sa non-reconduction, qu’il quittait l’UPR pour l’UDP, invitant ses supporters à le suivre.
En laissant entendre qu’il s’employait à « rééquilibrer » ses listes, l’UPR espère retenir les mécontents dont bon nombre auraient choisi de se faire investir sous d’autres couleurs, pour les municipales et les législatives. Selon diverses sources, d’autres sont à l’affût.
Du jamais vu sous le magistère du PRDS. Une fois les candidatures annoncées, les mécontents prenaient le large avant de revenir, à la maison, une fois élus sous d’autres couleurs ou en indépendants.
Pourtant, c’est le même UPR qui avait déclaré, lors de sa campagne de réimplantation, que le choix des candidats relevait, désormais, exclusivement des structures de base (unités de base, sous-section et section) majoritaires. Pourquoi revenir, aujourd’hui, sur cette décision ? S’il y a eu des irrégularités, pourquoi le parti ne sévit-il pas ?
En procédant à un « rééquilibrage », l’UPR ne risque-t-elle d’ouvrir une boîte de pandore ? Comment gérera-t-elle les « défalqués » ? Ce parti est suffisamment ébranlé pour en ajouter une couche.
Ce faisant, il risque d’ouvrir le couloir, non seulement, à d’autres partis de la majorité présidentielle, comme l’UDP qui recrute bien les défalqués et certains « recommandés » comme El Karama ou Sursaut, mais, aussi, à des partis de l’opposition dite radicale, comme Tawassoul ou le RFD, et, dans une certaine mesure, l’UFP, El Moustaqbel, le MPR, etc.
Un parti en lambeaux
Autre difficulté, pour le pouvoir, la gestion, jugée calamiteuse par l’opposition, du processus électoral. En plus d’être non inclusive, la CENI a prouvé, avec la réaction du pouvoir à sa décision de proroger la date de dépôt des listes candidates pour les municipales, régionales et législatives, après concertation avec les partis politiques impliqués et l’inscription à distance sur les listes électorales, combien sa marge de manœuvre est limitée par le gouvernement.
Ces décisions pouvaient calmer, un peu, l’opposition, en lui donnant le temps de confectionner ses listes et, aux urbains, surtout celui de se rendre chez eux pour voter. Mais, très vite contestées par le ministère de l’Intérieur, elles ont été déclarées illégales par la Cour suprême.
Et, en dépit de la décision de la CENI de maintenir, lors de sa réunion de samedi dernier, l’inscription à distance, les bureaux ouverts à cette fin sont restés fermés, depuis vendredi. On n’y comprend plus rien. Surtout côté opposition où l’on fait feu de tout bois, pour accuser le pouvoir d’instrumentaliser la CENI qui vient de changer de président.
Ould Bellal, ancien président du FNDU qui pourfendait, il y a peu, le régime en place, vient d’être porté à la tête de cet organe d’organisation et de contrôle des élections.
Selon plusieurs observateurs, la remise du 3èmemandat sur le tapis, par le porte-parole du gouvernement, tend surtout à calmer le jeu, au sein de la majorité, éviter ce qu’un journaliste appelle le risque de « débandade » dans les rangs de l’UPR.
En effet, explique un de ces analystes, l’UPR ne tient qu’à la présence du présidentOuld Abdel Aziz qui a tenté, dix ans durant, d’en faire un vrai parti politique. Presque en vain. Certains responsables de l’UPR lui font porter la responsabilité de tous les aléas.
Le porte-parole du gouvernement aurait-il entendu que les choses n’allaient pas bien, au sein du parti-État, et qu’il fallait ressouder les rangs autour du Président ? Au final, une menace à peine voilée, donc, à l’endroit de ceux qui voudraient quitter le navire, puisque le président de la République s’était dit résolu, lui, à le faire, en 2019…
Dalay Lam (Le Calame)