L’arrestation à Dakar, récemment, de l’aide de camp du capitaine Dadis kamara après sept (7ans) de cavale, va redonner espoir aux victimes guinéennes de voir enfin leurs bourreaux derrière les barreaux.
L’évènement réveille ou relance d’une certaine façon, par effet- miroir, la question du ‘’passif humanitaire’’ et par delà, celle même de notre Unité nationale avec du plomb dans l’aile, bien mal en point…
En effet l’esclavage -par-dessus tout-, la question culturelle et celle du ‘’passif humanitaire’’ constitueront des boulets à nos pieds, un obstacle majeur à notre cohésion et à toute réconciliation nationale, si elles ne sont pas correctement résolues.
La question du passif
L’on se souvient il y a quelques années le Maroc entamait sa réconciliation nationale par la justice transitionnelle...
La Tunisie et la Guinée Conakry, à leur tour, viennent de s’engager dans cette voie.
Si la Tunisie remonte à plus haut dans l’histoire et traite la période comprise entre 1955 à 2016, la Guinée, elle, se limite pour l’instant, à ‘’ l’évènement du 28 septembre ’’, survenu en 2009 sous Dadis Kamara Président de la junte militaire putschiste.
Nous avons encore en mémoire la commission Vérité et Réconciliation de l’Afrique du Sud post- apartheid , puis les cas du Chili et de l’Argentine derrière nous , et pour l’essentiel résolus...
Nous le constatons, ces pays ont tenté, chacun à sa manière, de panser leurs blessures, de trouver la catharsis nécessaire pour ressouder le lien déchiré entre citoyens.
Partout il souffle un vent du changement, de réconciliation, partout sauf chez nous où l’on s’enfonce dans la fuite en avant, à travers dénis, dénégations et négation …
Pendant qu’ailleurs on tente de retracer le cours du passé douloureux, de retrouver les places où sont ensevelies à la sauvette les dépouilles des victimes, notre chef de l’Etat, lui, choisit de rouler des veuves, de barrer la route à toute investigation, d’effacer toutes traces de fosses communes en rasant les repères, d’intimider ou interdire toute manifestation ou acte de souvenir de ces évènements. Aussi croit- il , ainsi , naïvement, gommer des mémoires, ces tragédies de 1986 à 1992 . C’est peine perdue car elles resteront à jamais gravées dans nos mémoires. Si en Guinée on parle de 150 morts dans un stade, de dizaines de femmes violées et de disparues, ce qui s’est produit en Mauritanie pendant cette terrible période est sans commune mesure… Ce fut un véritable génocide, planifié !
La question culturelle
Aujourd’hui chez nos voisins du Maghreb l’élite arabe au pouvoir, après des années de crispation, a décidé de reconnaître l’existence du peuple berbère par l’officialisation de la langue et culture berbère. Le Maroc en fut le pionnier, l’Algérie, pétrie de nationalisme à fleur de peau, après moult hésitations, vient de suivre. Elle s’ouvre même, en ce moment, à un débat entrain de prendre corps qui porte à la fois et sur le rôle et la place de la langue Française dans le système éducatif algérien et sur la nécessité de‘’ découpler la langue arabe du conservatisme religieux ’’ ( A Dourari) pour lui restituer sa capacité, autrefois, à produire le savoir –aujourd’hui perdue-.
Chez nos voisins tunisiens le débat va plus loin ; il questionne voire remet en cause l’identité arabe du peuple tunisien, à l’origine un melting-pot constitué de grecs, de romains, de Turcs, de Français, de berbères, de Noirs et d’arabes.
Là où, pour baliser l’avenir, nos voisins maghrébins marquent un temps de pause pour évaluer et réfléchir, les mauritaniens, à travers l’aile la plus chauvine,’’ hystérisent’’ le débat dès que les questions sérieuses sont abordées…
Plutôt que de s’attaquer aux problèmes de fond on nous distrait avec des broutilles comme le bricolage du drapeau ou des chansonnettes sur la résistance…
Pendant que d’autres se penchent sur la revalorisation et le développement des langues maternelles en vue de l’apaisement identitaire, notre élite et nos gouvernants se refusent à toute évaluation, à tout examen sérieux et lucide de la situation passée et présente pour, obstinément, poursuivre le projet d’assimilation de la composante non arabe du pays, perçue comme une menace à la pérennité du caractère arabe (décrété) de la Mauritanie !
Les désastreuses et dangereuses pratiques politiques au plus haut niveau de l’Etat, le silence général de l’élite sur ces questions de fond, l’inaction déroutante des plus concernés , tout porte à croire que nous agissons comme si nous ne voulions pas que ce pays change, positivement ; comme si nous refusions d’avancer pour entrer de plain pied dans le concert des nations modernes !
Enfin, un dernier paramètre, sous-jacent, qui entrait en jeu et constituait l’obstacle le plus sérieux à la cohésion nationale et au changement - à la base même de tous les autres facteurs- : le complexe aryen, inavoué, de race supérieure qui sous-tend sournoisement nos rapports inter-communautaires.
Pouvons nous continuer dans cette voie sans risquer grandement de mettre en péril notre devenir en commun, si toutefois ce ‘’devenir en commun’’ – ou volonté de vivre ensemble- est partagé ?
C’est toute la question qui interpelle chacun de nous et à laquelle il faut bien répondre …
Samba Thiam
Inspecteur de l’Enseignement Fondamental
Président des Forces Progressistes du Changement (FPC)