Avec clarté et pédagogie, au cours du Sermon du vendredi passé, et en rupture avec la langue de bois de ses prédécesseurs, l’imam adjoint de la grande mosquée de Nouakchott a adressé au président de la république notre réponse à la modification des symboles de la nation proposée par le gouvernement. « Nous n’accepterons pas ces changements qui n’ont d’autres objectifs que l’aliénation de notre identité islamique » disait-il en substance. Personnalité religieuse de grande audience, il est digne et légitime représentant de l’opinion nationale, ses propos engagent la majorité écrasante des mauritaniens qui il faut l’accepter sont encore très ancrés dans leur culture religieuse. Deux semaines plus tôt, dans des foules déferlantes estimées à des dizaines de milliers, les populations de Nouakchott ont sillonné les artères de la Capitale, aux côtés de tous les leaders de l’opposition, manifestant contre l’organisation du référendum « anticonstitutionnel » décidé unilatéralement par le président. Face à cette marée humaine jamais réunie en nombre pareil pour une contestation politique, le parti-état auquel sont rattachés des petits partis satellites serviables et corvéables à souhait, se lance dans une course avec la montre pour nous faire avaler la couleuvre.
Deux faits marquants et inédits dans le paysage politique national, aucun président mauritanien n’a été désavoué de cette manière ni tant décrié ; un message donc fort du peuple qui se remet subitement de son insouciance légendaire.
S’il est vrai que la question de la révision des constitutions est au cœur du débat politique dans plusieurs pays d'Afrique dont les dirigeants sont sommés de céder leurs fauteuils à la fin de leurs mandats constitutionnels(en 2016/2017 pour la plus part), en Mauritanie, force est de reconnaître, que ce débat n’a pu avoir lieu. Depuis l’accord politique de Dakar en 2009 qui fut le fruit de longues et houleuses discussions, aucune autre concertation n’a effectivement suscité un réel engouement ou inspiré un véritable dialogue au sein de la classe politique du pays. Le général putschiste dès lors légitimé (lancement campagne présidentielle, réintégration par l’UA, processus de sortie de crise sur les rails) n’a cessé par la suite de rouler tout le monde dans la farine. Il bafoue les principes de cet accord, compromet la sortie de crise en organisant des élections présidentielles boycottées par les principales formations politiques de l’opposition. Et s’installa alors un climat de défiance accentué au fur et à mesure par la montée en puissance de l’unilatéralisme du camp présidentiel qui a eu l’ingénieuse idée « d’affecter » une partie de ses soutiens aux postes d’opposants de fortune( ou par défaut) pour faire croire que son régime démocratique est politiquement correct. Fin manœuvrier et rompu dans l’art des mises en scènes le président organise par la suite une série de conclaves, dialogues et concertations avec son propre camp et par son propre camp deux mandats durant, affichant une démocratie de façade qui prend le peuple en otage et non comme souverain. Il modifie au passage la constitution en 2012, met en place une Commission Electorale Nationale Indépendante(CENI) sous ses bottes, se dote d’une assemblée taillée sur mesure incolore et inodore, confie les collectivités locales à son cousin (projet de développement et financement) et se fait réélire, sans coup férir, jusqu’au 2019. Nous sommes ainsi tous devenus, à ses yeux, embobinables voire couillonnables au point de clamer haut et fort qu’il tend la main à l’opposition radicale sans nullement en avoir l’intention, en tout cas pas pour débattre des questions de fond. Et pourtant le peuple sait et a dit que par cette attitude irresponsable et ces agissements d’un autre âge le président et ses sbires engagent le pays vers une confrontation certaine en prenant le risque de « jouer aux apprentis sorciers », minimisant l’amplification de la crise politique et s’entêtant à vouloir tripatouiller de nouveau notre constitution afin de se maintenir avec les siens aux rênes du pouvoir de quelque manière que ce soit.
Au-delà de cette crise politique inquiétante le peuple dénonce également en avoir marre de la gestion chaotique des autres aspects de la vie du pays. Dans les réseaux sociaux, la presse, les salons de Nouakchott, les marchés, les rues et même avec les cadres de l’administration dans leurs bureaux on ne parle plus que des scandales financiers du régime, de l’arrogance des siens, de son despotisme affiché, du clientélisme de sa politique qui refait surface avec comme corolaires gabegie, corruption et comme pour compléter ce lugubre tableau le guide éclairé qu’il est, exacerbe l’identitarisme, met en cause notre passé et s’engage dans le projet de division de la société et de l’émiettement du front intérieur.
Peut-on parler de climat de confiance et de sérénité qui privilégient apaisement, réconciliation, dialogue et concertation ?
Peut-on de nouveau accorder confiance au président et le suivre au référendum, par ce que selon la philosophie de politique générale le peuple est souverain et son verdict énoncé par referendum ou par la voix de ses représentants mettra fin à la polémique ? Certes dans un régime démocratique on ne doit pas refuser au peuple d’exercer ses compétences et sa capacité pour choisir. Le faire serait promouvoir un autre système que la démocratie. On ne peut non plus dire on n’a pas confiance au peuple pour gouverner par ce qu’il est justement inconscient, insouciant ou tout simplement inapte à mesurer les conséquences de son choix. De ce point de vue contester le référendum serait contester le principe du suffrage universel, c’est-à-dire la démocratie en soi. S’exprimer par voie référendaire sur une constitution n’est, pas non plus, plus compliqué que de choisir son président ou ses représentant(maires, députés), l’enjeu est souvent plus important pour le peuple quand il s’agit d’élire des personnes plutôt que d’aller voter des textes abstraits .
Pour notre cas d’espèce le problème est ailleurs. L’opération de vote proprement dit est biaisée au départ. On se doit de poser les questions suivantes.
Est-ce les scrutins sous l’ère du général sont transparents, sincères et crédibles ? Nous incitant à aller voter de nouveau et respecter ses résultats. Avons-nous encore confiance :
1- à la liste électorale confectionnée par le mastodonte génie indéboulonnable, encore un autre cousin
2- les bulletins de vote (importés et très performants paraît-il) et
3- cette fameuse CENI qui regroupe tous les retraités et désœuvrés affairistes de la république ?
Est-ce le dialogue de octobre /novembre dit inclusif, et qui en réalité est exclusif par l’absence d’invitation de l’opposition et des composantes de la société civile, peut fournir la légitimé nécessaire pour entériner le projet de changement de la constitution ? N’est-il pas juste de reconnaitre que l’idée même du changement des symboles de l’état ne peut être présentée comme acquise dans le contexte actuel, et toute démarche dans ce sens est perçue comme un énième coup d’état constitutionnel ?
Par l’organisation de ce référendum qui sera la goute qui déborde le vase le président ne prend -il pas un gros risque en faisant sauter le pays dans le vide, pris entre la colère des milliers de partisans de l’opposition et la montée de sa politique identitaire mal inspirée et plus que mal gérée ?
Notre constitution en vigueur, elle-même ne stipule-t-elle pas dans son article 99/ dernier aliéna : « « Aucune procédure de révision ne peut être engagée si elle met en cause l’existence de l’État ou porte atteinte à l’intégrité du territoire, à la forme républicaine des Institutions, au caractère pluraliste de la démocratie mauritanienne ou au principe de l’alternance démocratique au pouvoir et à son corollaire, le principe selon lequel le mandat du président de la République est de cinq ans, renouvelable une seule fois, comme prévu aux articles 26 et 28 ci-dessus » ». ? En excluant une partie de la population du jeu démocratique n’a-t-il pas porté atteinte « … au caractère pluraliste de la démocratie mauritanienne … » ? N’est-il pas intentionné de porter également atteinte «.. au principe de l’alternance démocratique au pouvoir… » en s’activant à se maintenir ou placer un président marionnette comme il sait bien le faire avec feu Mbaré et Sidi? Pourquoi nécessairement un référendum alors que l’article 101 lui permet : « « Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquième des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée Nationale. » » ? Pourquoi supprimer le Sénat, et mettre à la retraite de centaines d’officiers et de grands cadres encore aptes à travailler alors que l’état ne prend même pas en charge cent mille mauritaniens, sachant que nous n’avons pas de secteur privé digne de ce nom, pas de classe moyenne et l’état peut supporter financièrement leurs maintien ?
Monsieur le président souvenez-vous que l’histoire vous rattrapera.
Haroun Ould Rabani