
Lors de la célébration du 249e anniversaire de l’indépendance des États-Unis, le chargé d’affaires américain à Nouakchott, John Ice, a livré un discours soigneusement calibré, vantant un partenariat équilibré et prometteur entre son pays et la Mauritanie. Mais au-delà des mots lisses et des promesses de collaboration, ce message mérite un examen plus lucide, surtout à l’aune des récentes décisions de l’administration Trump qui contredisent souvent les principes affichés.
Une rhétorique séduisante mais trompeuse
John Ice a multiplié les formules consensuelles : respect mutuel, démocratie, prospérité partagée. Des concepts séduisants mais qui paraissent en décalage avec la posture internationale des États-Unis sous Donald Trump. Comment croire à la sincérité de cet engagement démocratique quand l’administration Trump a affiché son mépris pour les institutions internationales, s’est retirée d’accords majeurs (comme l’accord de Paris sur le climat) et a renforcé les logiques unilatérales dans ses relations bilatérales ?
L’idée même d’un “partenariat d’égal à égal” sonne creux face à la politique étrangère de Washington qui, ces dernières années, a fait primer ses intérêts stratégiques et commerciaux au détriment des principes éthiques qu’elle proclame. La Mauritanie, nation fragile économiquement et stratégiquement positionnée dans le Sahel, risque ainsi de se retrouver une fois de plus dans une relation asymétrique, dominée par les impératifs sécuritaires américains.
Des projets vitrines pour masquer l’essentiel
Le diplomate a mis en avant quelques projets économiques — formation de jeunes à Nouakchott, agriculture à Rosso, production audiovisuelle — qui, s’ils méritent d’être salués, restent anecdotiques face aux véritables défis de développement que connaît la Mauritanie. Ces “success stories” isolées ne sauraient dissimuler le manque d’investissements massifs ni le désengagement global de l’administration Trump dans l’aide publique au développement.
Rappelons que sous la présidence Trump, les budgets alloués à l’USAID et aux programmes d’assistance à l’étranger ont été drastiquement réduits. Cette vision purement utilitariste du développement — axée sur les intérêts américains et non sur les besoins locaux — laisse les pays partenaires livrés à eux-mêmes, sauf lorsqu’ils servent des enjeux stratégiques précis comme la lutte contre le terrorisme.
Sécurité : un partenariat déséquilibré
Le soutien sécuritaire américain, notamment en matière de formation militaire, constitue le cœur véritable de la coopération actuelle. Mais il ne s’agit nullement d’un engagement philanthropique : il répond d’abord à la logique sécuritaire des États-Unis, qui veulent contenir les menaces dans le Sahel sans s’impliquer militairement de façon directe.
Dans ce contexte, la Mauritanie est perçue avant tout comme un maillon de la chaîne antiterroriste, un tampon contre les instabilités régionales. Le discours d’Ice, en insistant sur la “sécurité humaine” et la “dignité du travail”, cherche à humaniser une politique qui reste dominée par des considérations militaires.
Migration : l’hypocrisie américaine
Autre contradiction flagrante : John Ice exhorte la jeunesse mauritanienne à rester dans son pays, à “croire en ses capacités” et à éviter l’émigration clandestine. Mais il ne dit mot sur la politique migratoire drastique de l’administration Trump, marquée par la fermeture des frontières, la réduction des quotas de réfugiés et un climat hostile envers les étrangers.
Les opportunités légales d’études et de travail aux États-Unis, vantées dans le discours, se sont en réalité considérablement restreintes sous Trump, en particulier pour les ressortissants africains. La rhétorique de “l’espoir local” ne saurait compenser les portes closes au niveau global.
Le commerce plutôt que l’aide : un piège ?
Enfin, la fameuse “nouvelle approche” américaine fondée sur le commerce et non sur l’aide sonne davantage comme une déresponsabilisation vis-à-vis des pays en développement qu’une véritable stratégie solidaire. Privilégier les investissements privés au détriment des appuis budgétaires ou des financements publics revient à soumettre le développement à la logique du marché, qui laisse sur le carreau les plus vulnérables.
Dans le cas de la Mauritanie, ce virage pourrait accentuer les inégalités et renforcer la dépendance à des multinationales plus soucieuses de profits que de développement durable.
Ainsi, le discours de John Ice reflète la volonté des États-Unis de maintenir leur influence en Mauritanie sans véritablement remettre en cause les déséquilibres qui caractérisent cette relation. Derrière les mots choisis et les sourires diplomatiques se dessine une stratégie bien connue : celle d’un partenariat inégal, marqué par l’instrumentalisation sécuritaire, la marginalisation de l’aide et l’hypocrisie migratoire. La Mauritanie, si elle veut tirer parti de cette relation, devra veiller à défendre ses intérêts avec lucidité et fermeté.