TV5 Monde - Le procès de l'ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz s'est ouvert mercredi à Nouakchott, offrant l'image exceptionnelle d'un ex-chef d'Etat placé dans un box aux allures de cage pour répondre d'enrichissement illicite.
Jugé pour avoir abusé de son pouvoir afin d'amasser une fortune immense, celui qui a dirigé de 2008 à 2019 ce pays largement désertique de 4,5 millions d'habitants grand comme deux fois la France s'est levé et a fait un signe de la main à l'appel de son nom, puis s'est rassis derrière les grilles au premier rang des 10 accusés présents.
Anciens président, Premiers ministres, ministres et hommes d'affaires, ils répondent pour une durée inconnue d'"enrichissement illicite", "abus de fonctions", "trafic d'influence" ou "blanchiment".
M. Aziz, 66 ans, nie les faits et crie au complot destiné à l'écarter de la politique.
En boubou blanc, un masque chirurgical dissimulant une partie de son chef dégarni et sa fine moustache, M. Aziz a suivi en silence les efforts interminables du président pour faire cesser la confusion de la mise en place et trouver un espace sur les bancs de béton à la centaine d'avocats présents dans l'immense prétoire moderne aux airs de bunker plongé dans la pénombre.
Ces atermoiements n'enlèvent rien à l'extraordinaire du moment, y compris au-delà de ce pays charnière entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne, secoué naguère par les coups d'Etat et les agissements jihadistes mais revenu à la stabilité sous M. Aziz quand le trouble gagnait dans la région.
"C'est une première dans l'histoire de la Mauritanie et peut-être même dans celle du monde arabe qu'un ancien président s'explique sur son enrichissement", a déclaré à l'AFP l'un des nombreux avocats représentant l'Etat, Me Brahim Ebetty.
M. Aziz est l'un des rares ex-chefs d'Etat à devoir rendre compte sur la façon dont il s'est enrichi au pouvoir. Ses pairs jugés par les justices nationale ou internationale le sont surtout pour des crimes de sang.
- Rendez l'argent -
"Tous les gens présents dans le box ont utilisé le nom de l'Etat, la fonction de l'Etat, particulièrement M. Aziz" pour s'enrichir, dit le bâtonnier Ebetty.
Plusieurs Mauritaniens interrogés par l'AFP espèrent que le procès aura valeur d'exemple dans un pays classé 140e sur 180 par l'organisation anticorruption Transparency International.
Peut-être unique, le moment risque de n'être jamais documenté par l'image. La justice a interdit tous les appareils de prise de vue dans la salle, dont les téléphones portables. Filtrant fastidieusement les entrées, elle a outré les avocats en les faisant soumettre à la fouille.
Les autorités ont fait ceinturer l'enceinte par des centaines de policiers, sans qu'apparaisse clairement la menace à prévenir, protestations des supporteurs de M. Aziz ou autre.
Des dizaines de personnes se sont rassemblées devant le Palais avant le procès, les uns pour soutenir M. Aziz, d'autres pour réclamer sur des pancartes qu'il "(rende) l'argent".
La capacité de nuisance de M. Aziz, connu pour être pugnace, calculateur et imprévisible, est un sujet de spéculations, même s'il est volontiers présenté comme politiquement isolé désormais.
Il n'a cessé de nier les faits depuis que l'étau a commencé à se resserrer sur lui en 2019. C'était quelques mois après qu'il eut cédé la place à l'issue d'élections à l'un de ses plus fidèles compagnons, son ancien chef d'état-major Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, première transition non imposée par la force dans un pays abonné aux coups d'Etat depuis l'indépendance.
- "Révisionnisme" -
M. Aziz a lui-même été porté au pouvoir par un putsch en 2008 puis élu président en 2009 et réélu en 2014.
Ce procès est l'histoire de sa disgrâce et de son amitié ruinée avec celui qu'il avait désigné comme son dauphin, M. Ghazouani.
La fille de M. Aziz, Asma, l'a décrit auprès de l'AFP comme "fatigué". Elle a dit avoir été alertée mardi soir par le cardiologue de l'ancien président parce qu'il avait fait un malaise après son placement en détention.
L'un de ses avocats, Me Antoine Vey, s'est alarmé d'une arrestation "arbitraire" et des conditions augurant que son client n'aurait pas droit à un procès équitable.
"Le dossier a été construit sur un travail qui ressemble juste à du révisionnisme politique", a-t-il dit à l'AFP. Il comptait demander le renvoi du procès et préparait la saisine d'instances onusiennes en cas de rejet de cette demande.
Le successeur de M. Aziz s'est toujours défendu d'ingérence dans le dossier.
Aucune des parties interrogées n'a été en mesure de dire combien de temps durerait le procès.
Par Laurent LOZANO et Hadémine Ould SADI
AFP