Le Calame - L’actualité est dominée, ces jours-ci par la sortie d’un prétendu bloggeur, lequel s’est attaqué à la communauté Halpularen. Depuis, on a enregistré des réactions de condamnations et même des plaintes contre l’auteur de ces propos haineux. Que vous inspire cette déclaration ?
Mme Nana Cheikhna : En plus d'être mensongers, les propos tenus contre la composante nationale Poular constituent un discours raciste inadmissible enfreignant gravement la loi, les préceptes sacrés de la religion musulmane, les principes moraux ainsi que le moindre sens de civisme ou de patriotisme. Ils impliquent de plus une menace évidente à la paix sociale.
Pour toutes ces raisons, la loi doit être appliquée dans toute sa rigueur dans le cas de figure. Il est regrettable que ce mode de dénigrement de nos entités sociales (tribus, ethnies, familles, castes etc.) soit devenu monnaie courante, alimentant impunément la haine à travers les réseaux sociaux.
Ce genre de discours devrait faire l’objet d’une vigilance particulière. C’est à ce prix que la paix sociale peut être préservée.
Cette sortie malencontreuse intervient en pleine préparation des concertations politiques nationales. Vous attendez-vous à ce que celles-ci préconisent des solutions radicales contre de tels errements pour qu’enfin de compte la question du vivre ensemble soit définitivement normalisée ?
La question du vivre ensemble constitue un enjeu majeur pour l’avenir du pays.
Un Etat aux composantes diverses ne peut assurer sa pérennité, son développement que sur la base d’une cohésion nationale réelle fondée sur le respect du particularisme des uns et des autres et l’égalité des chances de tous les citoyens devant la loi et face à toutes les opportunités qui leur sont ouvertes
La Mauritanie a besoin d’actes forts, courageux, objectifs, susceptibles de faire de notre beau pluriel un singulier, de nos populations diverses un peuple et tendre ainsi vers cet idéal qui devrait être celui de tout Etat multiethnique soucieux de sa pérennité : l’unité nationale. La question étant à l’ordre du jour du prochain dialogue, je souhaite vivement que les parties prenantes abordent le thème sans préjugés ni extrémisme et avec la ferme volonté d’avancer sur la base de dispositions et d’actes palpables et symboliques forts.
Dans le cadre justement des préparatifs des concertations politiques, le comité préparatoire a arrêté les thèmes à débattre et la liste des participants. D’abord, pensez-vous qu’il a tiré les enseignements des dialogues précédents ? Ensuite, quelles sont selon vous, les questions les plus urgentes à régler au cours du dialogue en gestation?
Il me semble évident que les dialogues précédents, si tant est qu’on puisse les désigner ainsi, ont laissé en suspens beaucoup de problèmes fondamentaux quand ils ne les ont pas aggravés. Je pense à la question ci-dessus évoquée, au dispositif électoral, à celle de l’éducation qui constitue la base fondamentale de tout projet de société, de la justice, de l’administration etc. De même qu’il me paraît difficile de dégager des priorités dans l’ordre du jour des prochaines assises tant les points présentent un caractère intimement transversal.
Je souhaiterais néanmoins rappeler que le pouvoir ainsi que l’ensemble des politiques devraient, me semble-t-il, prendre conscience du fait que le pays fait face à des défis majeurs qui vont des menaces terroristes qui nous encerclent, de l’instabilité des pouvoirs politiques dans notre Sahel désormais incapables d’asseoir l’autorité de l’Etat sur les territoires, la crise économique mondiale multipliant chaque jour l’ampleur de la misère chez nous à travers l’augmentation vertigineuse du coût de la vie qui va très probablement aller crescendo du fait de la guerre en Ukraine.
Ces défis sont à ajouter à ceux intérieurs qui vont de l’incurie de notre administration minée par l’incompétence et les détournements des deniers publics récurrents ayant atteint leur point d’orgue au cours du fameux pillage de la décennie, le chômage des jeunes, une classe moyenne qui rétrécit chaque jour telle une peau de chagrin grossissant de plus en plus celle des pauvres du fait de la hausse des prix et de la baisse du pouvoir d’achat des ménages, etc.
Tous ces dangers exigent de la part du pouvoir d'accepter et même de favoriser un saut qualitatif vers une modulation effective de son angle de vue et ce dans la perspective d’un changement réel susceptible d’engager tous les mauritaniens dans un front intérieur édifié sur la base d’un consensus fondamental portant sur les questions essentielles susceptibles d'entraver la stabilité du pays.
Même si cet éventuel changement est évidemment salutaire pour l’avenir du pays en ce qu’il est garant de l’instauration d’un front intérieur, il l’est tout autant pour tout pouvoir soucieux de paix sociale et de stabilité. Il faut à ce niveau rappeler que depuis que la démocratie a été officiellement adoptée dans le pays, nous faisons du surplace bafouant allégrement tous les ingrédients censés la mettre en œuvre : opérations électorales réellement libres et transparentes, droits humains, l’égalité des citoyens devant la loi et celle des chances, bonne gouvernance, justice sociale etc.
Et chacun sait, l’Histoire en regorge d’exemples, que si un système politique continue de fonctionner en porte à faux avec les valeurs fondamentales dont il se réclame, il porte en soi les germes d’un danger incontournable à terme pour lui-même et pour la communauté dans son ensemble.
La mise en œuvre des résolutions des dialogues précédents s’est toujours heurtée au manque de volonté politique du pouvoir mais également à l’incapacité de l’opposition à imposer un rapport de force en sa faveur. Pensez-vous que l’implication du président de la République par la désignation de son ministre secrétaire général à la présidence pour présider le comité préparatoire constitue un gage pour l’application des recommandations du dialogue ?
La mise en œuvre des résolutions du dialogue dépend essentiellement de la volonté politique du pouvoir, les partis politiques d’opposition n’ont en général qu’un rôle de suggestion, de rappel, de dénonciation, de pression populaire, manifestation publique et de prise à témoin de l’opinion publique.
Si le pouvoir refuse de respecter ses engagements, elle n’a évidemment pas les moyens coercitifs ou matériels de l’y contraindre. L’exemple le plus frappant en est le refus d’Aziz de respecter les conclusions de l’accord de Dakar, un accord international en ce qu’il est signé par beaucoup d’organisations internationales et par tous les grands pays. Nous espérons que cette fois-ci, les dirigeants auront compris que l’Histoire s’agace parfois cruellement du deuil des espoirs, que le pays a besoin d’aller de l’avant et que la signature engage non seulement vis-à-vis de l’opposition mais aussi à l’égard du pays tout entier.
En somme, nous croyons que si un accord est obtenu et une fois les questions essentielles, basiques, dépassées, l’opposition pourra travailler dans un esprit assaini de compétition politique loyale et la majorité gouvernera en pleine conscience de ses devoirs vis-à-vis d’une opinion réellement prise en compte par elle.
L’élection du président Ghazwani a certes contribué à « apaiser » pour ne pas dire « normaliser » les rapports entre le pouvoir et son opposition, mais nombre d’observateurs et même de militants et sympathisants de celle-ci pensent qu’elle l’a en en même temps affaibli fortement. Qu’en pensez-vous ?
En effet, après les élections, le Président Ghazouani a entrepris avec un certain tact d’apaiser les rapports avec l’opposition ainsi qu’avec toutes les forces vives du pays. L’opposition a salué en son temps cette attitude et a, comme il se doit, tendu la main afin de « normaliser » le fonctionnement de la démocratie dans notre pays.
Cependant la normalisation des rapports requiert pour se réaliser des avancées notables. Nous espérons vivement que les prochaines assises prendront les décisions indispensables à la réforme de notre mode de gouvernance, seules susceptibles d’apporter la normalisation escomptée.
J’ajoute que ces dernières années nous nous sommes tellement habitués dans ce pays à l’exaspération constante de la conflictualité, de la tension entre le pouvoir et l’opposition au point que les gens tendent à percevoir tout apaisement indispensable à toute discussion, à tout dialogue, à le confondre avec une simple reddition de l’opposition et même à le prendre pour un ralliement au pouvoir. Je souhaiterais rappeler à ce niveau que la démocratie implique d’abord de chercher à convaincre par la discussion, l’échange, les arguments, le dialogue et ce n’est que si cette voie s’avère stérile que la conflictualité s’avère l’unique issue dont dispose l’opposition. Elle la manifeste alors à travers tous les moyens légaux à sa portée.
Après son élection, le président Ghazwani a entrepris de lutter contre la gabegie. C’est dans la foulée qu’il y a eu la commission d’enquête parlementaire qui a épinglé plusieurs dizaines de personnes dans son rapport. L’ancien président et beaucoup de ses proches et de ses ministres et autres collaborateurs y figurent. Mais plus de deux ans après, non seulement la gabegie persiste mais les personnes suspectées de mauvaise gestion sont libres. Quel sentiment vous inspire cette situation ?
La commission d’enquête parlementaire sollicitée alors par notre groupe parlementaire UFD/UFP avait été heureusement acceptée par le pouvoir et les députés de sa majorité. Une décision saluée à l’époque par tous, suscitant un immense espoir au sein des populations.
Les conclusions contenues dans le rapport de la commission, assistée en cela par des bureaux internationaux de grande envergure, ont surpris le monde. Ces quelques dossiers ouverts ont révélé un pillage sans précédent des ressources du pays présumant d’une mise à sac de ses richesses encore dans l’ombre et que d’autres enquêtes auraient sans nul doute mis à jour. De même que des dizaines de hauts responsables ont été nommément cités et ont fait l’objet d’une enquête de police.
Cependant deux remarques importantes s’imposent à ce stade:
1- La procédure traîne depuis trop longtemps banalisant quelque peu l’énormité du scandale et la gravité des torts portés au pays
2- La nomination de certaines personnes citées dans les dossiers à de hautes fonctions a surpris et a été mal perçue par tous les observateurs car elle intervient alors que ce dossier si grave est en cours.
En effet, même si le ministère public, une institution hybride car soumise à la hiérarchie gouvernernentale et à ses injonctions, avait décidé de soustraire certaines personnes citées dans cette affaire aux poursuites, il eut été à mon avis plus approprié qu’elle s’en fut abstenue afin que le dossier soit soumis à la justice dans son intégralité afin que celle-ci sépare le bon grain de l’ivraie sur la base d’une décision sur le fond.
Cela aurait éloigné les suspicions qui continuent de planer à tort ou à raison sur le retrait en question de l’action publique.
D’autre part, il est d’usage que tout haut fonctionnaire dont le département a connu de graves malversations s'étant déroulées pendant une longue période, que le fonctionnaire en question est censé assumer au moins l’échec de sa mission.
Sa réhabilitation à de hautes fonctions constitue un message négatif qui laisse les observateurs et peut-être nos partenaires, douter de la bonne foi de la bonne volonté allant dans le sens de la bonne gouvernance.
En tout état de cause, il me semble que le dossier de la décennie devrait être soustrait à la complaisance politique et être traité avec la plus grande rigueur afin que le pays puisse couper définitivement court au vol éhonté de ses richesses érigé en mode de gestion.
Parmi les chantiers engagés par le président de la République, il y a ce qu’on appelle l’école Républicaine. Avez –vous l’idée du contenu qu’il veut y mettre ? Sinon, qu’attendez-vous de cette volonté politique affichée ?
En effet le Président Ghazouani avait annoncé la prochaine instauration de l’école républicaine. Cette annonce très bien reçue globalement et dont nous sommes en attente de réalisation représente un enjeu majeur pour l’avenir du pays.
L’école républicaine devrait être de mon point de vue une école publique, entièrement prise en charge par l’Etat, dispensant le même programme pour tous incluant les valeurs républicaines de civisme, patriotisme, de démocratie sans oublier les valeurs humanistes de notre religion et ce sans discrimination aucune. Elle devrait mettre sur les mêmes bancs les enfants de riches et ceux des pauvres. Dans cette optique, l’école privée devra être l’exception et s’orienter vers des créneaux spécifiques ou spécialisés car sa configuration actuelle nourrit gravement la division.
A moins d’une année des prochaines élections locales, pouvez-vous nous dire comment se porte votre parti le RFD ?
Le RFD se porte aussi bien que puisse le lui permettre près de trente ans de lutte contre les dictatures, érigé en ennemi public par les pouvoirs précédents, combattu par le passé à tous les niveaux de l’administration, considéré comme radical et donc à écraser. Les cadres qui y adhèrent sont immédiatement marginalisés, les hommes d’affaires sont censés ne pas l’approcher ainsi que les notables. Ceci d’ailleurs fut généralement le lot de la plupart des partis d’opposition.
Cependant ce parti et ses cadres et militants tiennent bon et continuent le chemin et sur la base des assurances reçues par le Président quant au changement d’attitude du pouvoir, l’optimisme est de rigueur et nous préparons actuellement notre congrès qui se tiendra en principe après les assises du dialogue.
Les prix des denrées de première nécessité ne cessent de monter et les citoyens démunis ont le sentiment d’être abandonnés par le gouvernement dont les mesures n’ont pas réussi à endiguer les spéculations. Partagez-vous leur sentiment ? Aussi entend-on très peu nos élus s’emparer de a question du pouvoir d’achat. Pourquoi ?
Le problème de la hausse des prix est inquiétant car il est pour une bonne part dû à des facteurs extérieurs liés à la crise économique mondiale exacerbée par la pandémie et la guerre d’Ukraine actuellement en cours. En effet, comme tout le monde le sait nous sommes fortement dépendants de l’extérieur du fait que nous n’avons jamais consenti à réfléchir afin de concevoir et mettre en œuvre une politique économique visant à instaurer un système visant la productivité de notre économie. Nous nous limitons à produire des matières premières dont la rente est consommée pour continuer à fonctionner cahin-caha, orientée vers la dette quand elle n’est pas détournée comme cela a été si bien fait au cours de la dernière décennie.
Maintenant, le gouvernement n’a à mon avis que le choix que de mobiliser les moyens et trouver la procédure adéquate basée sur la subvention des produits de première nécessité afin d’éviter une crise alimentaire profonde aux conséquences aléatoires qui risque qu’à Dieu ne plaise, de s’installer.
Des passes d’armes entre les députés de la majorité et de l’opposition pimentent souvent les séances de l’Assemblée Nationale. Etes-vous satisfaite de la manière dont fonctionne notre parlement ?
Au lendemain des dernières élections présidentielles, nous avons constaté une nette amélioration du climat qui régna au sein de l’assemblée dans les débats et dans l'instauration d’une forme de concertation pour la constitution des commissions au sein de l’hémicycle.
Cependant, depuis quelques mois, à la suite de la modification du règlement intérieur, nous avons constaté un raidissement du groupe parlementaire UPR, qui a mis des obstacles majeurs contre le mode de constitution de commissions d’enquête autrefois facilitées ainsi que pour les questions adressées aux ministres, lesquelles ont été tout simplement soumises au bon vouloir de ce groupe par le jeu de la majorité au bon vouloir du parti soutien du pouvoir.
Ils ont ainsi agi afin de saper les principaux instruments qui représentaient un contre-pouvoir au sein du parlement. Nous avons protesté contre cette procédure mais ils ont tout simplement adopté ce règlement par le vote sans se soucier de nos arguments.
L’incurie de l’administration est un sérieux problème auquel fait face notre pays, accentué par les nominations de complaisance. Comment peut-on la mettre à niveau ?
Il est malheureusement aujourd’hui de notoriété publique que notre administration est déficiente du fait de l’incompétence de la grande majorité des agents publics et de leur enrichissement aux dépens de la chose publique ainsi que par l’adoption des passe-droits et favoritisme divers en mode régulier de fonctionnement
Il est regrettable que les nominations aux postes clés de l’administration se fassent dans la plupart des cas sur la base de considérations autres que ceux de la compétence, du niveau ou de l’expérience. L’administration devient ainsi une machine pléthorique, monstrueuse constituant un frein notoire au développement au lieu d’en être le moteur. Sa remise à niveau requiert de mon point de vue 1/le recours urgent à une assistance technique nationale ou étrangère dans chaque département ou unité administrative afin de recycler les administrations et les organiser en les accompagnant à travers une initiation aux techniques et procédures administratives
2/Une refonte des textes pour procéder à une réforme profonde privilégiant la promotion interne sauf pour des postes délimités pour lesquels néanmoins des profils impératifs seraient prévus. A ce niveau, je souhaite signaler une précieuse étude faite par l’exceptionnel Mohameden ould Bah Rahimehoullah, cet administrateur hors pair salué par tous.
Cette étude pourrait inspirer ou servir de boussole à toute volonté de réforme salutaire dans cet important domaine.
Propos recueillis par Dalay Lam