Le Calame - Il y a quelques mois, vous aviez annoncé le prochain lancement par le président de la République des concertations politiques entre tous les acteurs. Que s'est-il passé depuis lors? Le dialogue ou concertation aura-t-il lieu? Où en êtes-vous avec les préparatifs ?
Lô Gourmo : Dans le cadre de contacts noués à l'occasion de la lutte contre la pandémie du Covid, la quasi-totalité des partis représentés au parlement, du pouvoir comme de l'opposition, ont entamé un processus de discussions ayant débouché sur une entente commune autour d'un dialogue national à entreprendre puis sur l'adoption d'une feuille de route de ce dialogue, à soumettre aux plus hautes autorités de l'Etat, particulièrement au Chef de l'Etat, et à l'ensemble de la classe politique et à la société civile.
Avant même la publication de cette feuille de route, le président de la République, à plusieurs reprises, avait fait part de sa disposition à engager des concertations avec les partis de toutes obédiences et avait reçu la quasi-totalité de leurs dirigeants, suivant une approche inédite d'apaisement de la scène politique.
En dépit de tentatives multiples et variées de certains milieux passéistes pour détourner l'opinion de cet objectif central d'un vrai dialogue national inclusif, en jouant sur tous les registres de la désinformation et des fake news, ce dialogue est désormais accepté et confirmé par tous les acteurs ou presque.
Le Chef de l'Etat lui-même a annoncé que tout malentendu avait été levé, l'essentiel étant que "dialogue" et "concertation" renvoient à la même chose: des discussions inclusives sans aucun sujet tabou et dont les conclusions seront dûment respectées et mises en œuvre par tous.
Donc, lancement de l'initiative en aout 2020 et établissement de la feuille de route, en plus de tous les autres acteurs, partis et groupements politiques non parlementaires ou non reconnus, personnalités indépendantes et organisations de la société civile, tous appelés à y participer massivement.
On est donc actuellement dans cette phase cruciale de l'inclusivité ou de l'élargissement qui correspond également à celle de l'établissement du schéma proprement dit du dialogue : son cadre institutionnel et formel avalisé et validé par l'Etat ainsi que les termes de référence de son déroulement en application de la feuille de route, dont la vocation est d'être la plus consensuelle possible.
L’UFP est connue pour être un parti de compromis, de dialogue. Pensez-vous que le dialogue en gestation suffit à régler les problèmes du pays, sans une réelle volonté politique du président de la République? L’engagement du président Ghazwani d’accompagner ces concertations et de mettre en œuvre les résolutions qui en sortiront vous rassurent-ils ?
Il me semble que tout dialogue pour être sérieux c'est-à dire qui soit de nature à aider à résoudre les grands problèmes du pays suppose une ferme volonté de la part du président de la République et une grande détermination de sa part, de changer les choses dans le bon sens comme le pays entier le souhaite ardemment.
Ce pays court de très graves dangers dans un environnement régional et mondial de plus en plus agité, de plus en plus instable. Dans de telles conjonctures, ce qui est décisif c'est la gouvernance, l'art de diriger l'Etat sur la base de règles acceptées par le plus grand nombre de citoyens et qui s'évertue à ne laisser personne en rade. Et dans le régime constitutionnel qui est le nôtre, c'est le Chef de l'Etat qui tient le gouvernail. Presque sans partage. Evidemment sa seule bonne volonté ne suffira pas.
Il faut aussi celle de tous les acteurs politiques et de la société civile. Mais étant donné le climat d'apaisement qu'il a su créer jusqu'ici et ses déclarations réitérées encore récemment de s'impliquer dans le processus en accompagnant les acteurs concernés tout en s'engageant à mettre en œuvre les décisions qui y seront adoptées, on peut raisonnablement être optimiste car cela change du climat hystérique dans lequel les dialogues successifs se sont tenus dans le passé, en tout cas durant ces 2 dernières décennies.
Pour aller à ces concertations, certains partis politiques dont le vôtre avaient produit une feuille de route. Quelle appréciation l’UFP fit-elle de ce document à la confection duquel d’autres partis n’ont pas été associés ? Le dialogue sera-t-il inclusif alors que le premier parti de l’opposition démocratique, Tawassoul traîne toujours les pieds ?
La Feuille de route est le fruit de discussions menées tambour battant pendant des mois par la quasi-totalité des partis politiques représentés au Parlement, toutes obédiences et tendances confondues, dans le sillage de leur commun engagement de coordonner leur lutte contre la pandémie. Seuls 2 partis sur les 16 représentés au Parlement n'avaient pas voulu s'engager avec les autres dans ce processus et ont maintenu cette ligne, chacun suivant ses raisons propres.
Les autres, TOUS les autres- sans aucune exception, ont signé cette feuille de route qui est le document politique le plus largement approuvé dans l'histoire politique du pays. Donc, l'initiative étant parlementaire, aucun parti représenté au parlement n'a été écarté. Au contraire, tous les efforts ont été déployés pour amener non seulement les deux partis parlementaires restants à rejoindre l'initiative mais également tous ceux qui pouvaient et devaient y être associés, à un titre ou à un autre.
Le dialogue a vocation de s'ouvrir à tous et cela sans aucune considération idéologique ou politique. La question ici n'est pas de savoir quel rang occupe tel ou tel parti ou groupement dans un paysage politique largement sujet à caution pour des raisons connues de tous, mais elle est celle de la volonté de tous et de chacun d'aller débattre ensemble de toutes les questions qui obstruent l'horizon de notre peuple et gênent ou bloquent son progrès.
Aucun parti ne peut être exclu de ce dialogue qui est constructif donc inclusif et tous devraient réfléchir profondément avant de prendre la décision de participer ou, à plus forte raison, de boycotter les assises. Car l'enjeu n'est rien moins que d'élaborer un vrai "Pacte républicain" qui instaure une vraie dynamique unitaire et démocratique dans notre pays, comme en ont explicitement convenu les initiateurs du dialogue dans la feuille de route.
Toujours au cours des manœuvres de préparation, 8 partis de l’opposition ont tenu une conférence de presse au cours de laquelle ils ont dépeint une Mauritanie malade de son unité nationale, une Mauritanie où les noirs sont marginalisés sur toute la ligne, une Mauritanie qui connaît une crise sans précédent et qui n’a pas enregistré de changement depuis le départ de Ould Abdel Aziz. Partagez-vous cet avis ? L’opposition ne risque-t-elle pas d’aller au dialogue dispersé ? Que faites-vous pour éviter d’en arriver là ?
Il n'y a jamais eu de problèmes ni de divergences entre la plupart de ces 8 partis qui ont tenu la conférence de presse en question et les autres partis de l'opposition démocratique représentés au parlement, du moins en ce qui concerne le diagnostic de la situation. Il suffit de lire les déclarations qui ont émaillé les rencontres de ces derniers et la feuille de route elle-même.
Les thématiques énoncés montrent sans ambigüité quelles sont les principales difficultés auxquelles les acteurs sont invités à réfléchir pour leur trouver des solutions effectives, consensuelles et viables avec l'engagement fermes de l'Etat, spécialement du président de la République, de les mettre en œuvre.
Dans cette feuille de route, le thème de l'unité nationale ( donc par définition, le passif humanitaire) y figure en bonne place ainsi que celle de l'esclavage mais aussi toutes les déficiences connues de tous, en matière d'éducation, de santé, de gestion et redistribution des ressources etc...
Par ailleurs, il y a bien eu certains changements dans certains aspects non négligeables de la vie politique, économique et sociale depuis l'arrivée du président Ghazouani. Il suffit de voir comment les acteurs politiques se comportent les uns à l'égard des autres pour comprendre à quoi renvoie le terme d'apaisement invoqué par tout le monde pour définir le climat politique actuel du pays.
Il faut également voir le style et la méthode de traitement de certaines questions sensibles comme celles relatives à l'accaparement des terres notamment dans la vallée avec la complicité active de l'Etat qui a prévalu au cours de ces dernières années dans des proportions incroyables.
Il est vrai que d'autres aspects liés à la mal gouvernance persistent clairement qui s'expliquent notamment par le maintien de beaucoup de gabegistes à des postes stratégiques, sans parler de la multiplication des actes de discrimination de plus en plus intensive sur le plan institutionnel, administratif, économique visibles dans les nominations et les résultats miraculeusement toujours monocolores ou monoethniques etc.
Donc, il y a bien eu des changements mais il reste beaucoup à faire encore. C'est précisément la fonction du dialogue que de décortiquer tout cela et d'aider à définir un cap de bonne espérance pour tous.
L'opposition démocratique n'ira pas en rangs dispersés. Elle a, déjà, sur les questions cruciales, et de très longue date, des positions communes inébranlables. Il n'y pas une seule question qu'elle n'ait déjà débattu et convenu depuis l'époque de M. Maaouya Ould Taya. Pour ses différentes bases militantes et pour ses électeurs traditionnels, ces positions sont connues pour avoir été répétées au cours de milliers et de milliers de déclarations, de centaines de meetings, sit-in, conférences de presse depuis le FDUC, UFD/ère Nouvelle, FNDU, COD, que sais-je encore.
Au prix de répressions brutales parfois sanglantes. Ahmed Ould Daddah, Messaoud Ould Boulkheir, Mohamed Maouloud, Sarr Ibrahima, Kane Hamidou Baba, Boydiel Ould Houmeid, Yahya Ould Waqhef, Jemil Mansour et tant d'autres qui continuent d'animer la scène politique n'ont pratiquement aucune divergence de fond sur toutes ces questions essentielles. Les conclusions des Journées de concertation de 2007 le montrent amplement.
Aujourd'hui s'il y a encore des divergences, elles résultent sans doute de considérations secondaires ou de différences d'appréciation sur tel ou tel aspect de la situation. Les efforts en cours vont très certainement permettre de les dépasser, si ce n'est déjà fait au moment où je réponds à ces questions....
Parmi les thèmes retenus par ce document lequel ou lesquels vous semblent plus urgents à régler ?
Beaucoup de questions sont urgentes et prioritaires ! Conditions matérielles de vie des gens, éducation, santé, sécurité, esclavage, unité nationale, gouvernance...Tout peut faire l'objet d'une description apocalyptique et imposer un ordre prioritaire de règlement.
Mais je crois que les questions de priorité absolue et dont le règlement conditionnera tout le reste à plus ou moins brève échéance ce sont les questions liées à l'unité nationale et sociale du pays dont le passif humanitaire et l'esclavage. Mais tout devra être débattu sans tabou ni exclusivisme.
Que faire pour régler spécifiquement le passif humanitaire ? Les actes posés par SIDIOCA et Ould Abdel Aziz peuvent-ils servir de base pour solder la question ?
Toute avancée effectuée jusqu'ici, y compris les plus petits pas, sera comptabilisée. Mais le gros des efforts et le plus clair des solutions à cette question ont été effectués sous SIDIOCA. Cela n'avait que peu à voir avec l'instrumentalisation grossière que M. Ould Abdel Aziz a tenté d'en faire à partir de sa prise de pouvoir : "prières de Kaédi", "commission de règlement financier " pour les ayant-droits, déclaration d'identification des sépultures et reddition des corps des disparus.
Sur ces questions, il faut aborder les choses avec un haut esprit patriotique, guidés par la soif de la vérité, l'obsession de la justice et la passion d'une vraie réconciliation nationale. C'est cela qui permettra de mettre sur pied un dispositif national consensuel de règlement du passif humanitaire, aux caractéristiques de la Mauritanie.
C'est cet esprit ardent qui animait feu le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi et qui explique les progrès qui furent immédiatement réalisés sous sa courte présidence et qui furent malheureusement interrompus par le putsch insensé du général Ould Abdel Aziz.
En dépit de l’adoption d’une loi criminalisant l’esclavage, la création d’agences nationales dédiées en partie à cette question, ses séquelles persistent toujours et les Ong de défense des droits de l’homme exhibent souvent des cas avérés. Comment en finir avec cette pratique ou ses séquelles ?
Il est évident qu'une pratique sociale aussi profondément ancrée dans les mœurs depuis plusieurs siècles ne pourra être éradiquée qu'aux prix d'efforts collectifs et individuels considérables. Les pratiques esclavagistes elles-mêmes sont de plus en plus réduites tant elles entrent en contradiction flagrante avec le nouvel ordre économique et social dominant depuis des décennies et imposé de haut depuis la fin du colonialisme.
L'esclavage traditionnel ne s'applique plus à l'échelle du pays et dans toutes les régions du pays. Il est beaucoup plus facile à combattre de nos jours justement parce qu'il est plus abject et plus intolérable pour l'immense majorité des mauritaniens de toutes nos nationalités et de toutes les conditions sociales.
Il en va autrement des séquelles de cet esclavage, nourri et entretenu par l'esprit de caste qui plombe ce pays et crée partout des plafonds et des barrières de verre à travers mille et une subtilités dans les discriminations les plus anodines jusqu'aux plus criardes.
Ces séquelles frappent les anciens esclaves, hommes libres dont la figure de proue est le hartani qui trime et subit les dures conditions du prolétariat des villes et des paysans métayers de nos campagnes. Elles frappent dans leur dignité les petits bourgeois des villes, toute cette classe moyenne scolarisée ou non mais pour laquelle en général l'ascenseur social est paralysé par les préjugés dont elle est victime du fait de ses origines de caste.
Ici, le maintien de ces conditions discriminantes dépend largement de la volonté de l'Etat, et ce sont les représentants de l'Etat à divers échelons qui portent la responsabilité du maintien de ce ces "séquelles " par le favoritisme à ciel ouvert et la redistribution biaisée des ressources du pays (marchés publics, postes nominatifs, concours faussés en amont, licences de mines et de pêches etc...).
Donc pour répondre à la question "comment en finir " avec ces séquelles, je dirai qu'il faut une réforme profonde du mode de gouvernance, il faut mener des politiques de rattrapage social qui veille scrupuleusement à rétablir les équilibres naturels entre tous les citoyens de ce pays et créer une vraie dynamique de concurrence et d'émulation sous une gouvernance responsable, ferme et bienveillante à l'égard de tous les citoyens et en particulier les plus vulnérables d'entre nous.
Les prix des produits ne cessent de flamber et l’opposition se mure dans un silence « complice ». Pourquoi on ne l’entend plus, elle ne marche plus depuis que Ghazwani est aux commandes ? L’UFP et le RFD sont suspectés de le ménager. Que répondez-vous à ces accusations ?
Depuis l'arrivée au pouvoir de M. Ould Ghazouani, un climat d'apaisement s'est instauré et ce climat perdure. Je confirme que pour l'UFP et ses alliés les plus proches (RFD et UNAD), nous ne sommes pas dans une phase de confrontation avec lui. Au contraire, nous sommes les tous premiers à avoir préconisé une ligne de dialogue et de recherche de compromis.
Habitué à voir l'opposition démocratique agir constamment sur le mode de la véhémence et de la lutte directe et frontale contre le régime précédent, certains observateurs sont déroutés. Les déclarations et les démarches multiples et variées de protestation que nous faisons à longueur de journées ne sont pas envisagées de la même manière que précédemment.
L'accent étant mis sur l'inexistence de marches, sit-in et autres manifestations de rue comme l'opposition en a habitué l'opinion depuis des décennies. Beaucoup oublient que nous sommes encore sous le coup de l'urgence sanitaire due au COVID 19 et qu'il faut tout faire pour ne pas aggraver la situation.
C'est une décision mûrement réfléchie de notre part et l'usage de ces formes de lutte ne sont pas du tout incompatibles en soi avec notre politique d'apaisement et de compromis qui est destinée à créer une atmosphère de sérénité et d'écoute réciproque en vue de favoriser le dialogue entre les parties prenantes de la scène politique. Il n'a même pas été organisé des marches en faveur ou à l'appui du dialogue pour cette même raison.
Mais à chaque fois que nécessaire nous n'avons jamais cessé de mettre le doigt là où cela fait mal dans les politiques du pouvoir. Dans tous les domaines: prix, injustices diverses, corruption, crises des services publics, restriction ou violation des libertés etc. Nous n'avons jamais cessé d'attirer l'attention des pouvoirs publics et de faire des propositions pour améliorer les situations en faveur des populations ou de certaines catégories sociales ou communautés victimes.
Le Président de l'UFP a rencontré deux ou trois fois depuis son accession au pouvoir, le président de la République. A chaque fois, il lui a fait part des préoccupations du parti et de l'opinion qui le soutient sur telle ou telle questions majeures comme par exemple celle des discriminations. La direction du parti s'est invariablement prononcée sur tout cela, en temps et en heure.
Moi-même je fais quotidiennement ou presque le tour des questions et des critiques à soulever et à porter au pouvoir. Sans complaisance mais certes sans véhémence. Ma réponse est donc que ces critiques viennent surtout de milieux peu ou pas informés ou des milieux qui n'ont pas l'habitude de nous écouter ou de suivre nos activités. Elles ne sont pas fondées.
Quelle lecture vous faites des évènements survenus à Kobéni, Timbedra et à R’Kiz, récemment ? La tournée du Ministre de l’intérieur du pays viserait-elle à rassurer les citoyens et à anticiper d’autres débordements ? Son discours devant les autorités administratives, sécuritaires et les élus vous paraît-il convaincant ?
Les évènements qui ont gravement affecté ces villes sont les manifestations les plus récentes et les plus évidentes d'un profond malaise social qui affecte le pays. Il faut constater ce qu'ils ont tous de commun : des défaillances manifestes du service public et des demandes renouvelées et non satisfaites par les représentants locaux de l'Etat, de l'amélioration des conditions de vie des masses populaires.
Ils sont la traduction brutale de la colère du peuple et l'expression d'une véritable crise de gouvernance qui paralyse l'administration publique et alimente toutes les manœuvres de provocation possibles et imaginables de la part de certains adversaires du pouvoir.
Le Ministre de l'Intérieur connaît parfaitement la situation, l'état d'esprit des populations et le mode de fonctionnement de son administration territoriale et des services publics de base (sécurité, eau, électricité). La question actuelle n'est pas de rassurer des gens mais de leur donner espoir en satisfaisant leurs doléances légitimes.
Le plus souvent celles -ci sont loin d'être au dessus du niveau moyen des ressources dont dispose l'Etat central. Le problème est que ces moyens ou ceux dont les administrations doivent être dotées sont invisibles le plus souvent notamment pour raison de dilapidation, de gaspillage ou de corruption.
Si l'Etat ne fait pas face à ces problèmes il fera lui-même de plus en plus face aux populations. Ce qui ne serait pas une option viable compte tenu de nos fragilités structurelles. Le discours tenu par le Ministre de l'Intérieur est un rappel des engagements du président de la République. Il a fait un effort pour mettre chacun des élus et chacune des autorités administratives et sécuritaires devant leurs responsabilités. C'est une chose excellente.
Mais pour que cela porte ses fruits il faut bien plus que des exhortations. Il faut mettre sur pied une véritable nouvelle administration, irriguée par du sang neuf, des jeunes de toutes nos communautés, compétents, intègres et modernes, qui rendent compte de leur gestion et qui font du citoyen leur véritable raison d'être là où ils sont. Souhaitons vivement qu'il en soit ainsi!
Il y a quelques semaines, Al Akhbar a publié une enquête qui révèle que le gouvernement a accordé des marchés de gré à gré pour des milliards d’Ouguiya, en quelques mois. Est-ce à dire que la gabegie ou la bonne gouvernance n’est pas encore derrière nous ?
Les marchés de gré à gré ont gangrené et disloqué l'Etat de droit dans ce pays dans sa dimension économique. Ils ont enrichi des aventuriers sortis du néant et placés dans les meilleures conditions pour détourner l'argent et les biens publics. Avec les licences en tous genres et les nominations, ces marchés sont l'un des leviers les plus puissants de la gabegie et de la corruption.
Une fois que ces pratiques se répandent au sein de l'administration publique, elles gangrènent tout le corps social et provoquent toutes les tares de la société en aiguillonnant le ressentiment et la haine partout.
Ainsi, les discriminations ethniques, tribales et régionales chez nous sont leurs conséquences directes de ces crimes économiques qui devraient être des crimes absolus, imprescriptibles et non amnistiables en raison de leur extrême gravité dans la vie de la nation entière. Non seulement ces pratiques n'ont pas encore été éradiquées mais elles tendent à se répandre à vive allure après quelques périodes de flottement.
Que vous inspirent la situation au Mali, avec l’installation probable de Wagner, les tensions entre le Maroc et l’Algérie, entre la France et l’Algérie ? Macron serait-il tombé dans le piège de l’Afrique, comme le dit, l’un des spécialistes du Continent, Antoine Glaser, dans un livre à paraître sous peu ? La Mauritanie doit-elle s’inquiéter ?
La situation du Mali est très grave. Beaucoup plus qu'on ne l'imagine. Il est devenu le point de convergence de toutes les contradictions et de tous les déchirements qui affectent l'Afrique entière et même le monde. Les jeux de puissances y donnent la pleine mesure de la bêtise humaine puisque le Sahel est la région la plus pauvre, la plus démunie de la planète.
D'où les succès des groupes "djihadistes" et sécessionnistes qui y sévissent depuis longtemps sous le regard complaisant des grandes puissances. La politique sécuritaire de type néocolonial a atteint dans son échec, un seuil de non retour. M. E. Macron n'arrive pas à ouvrir une autre voie et tourne comme une toupie autour de la même erreur de jugement que ses prédécesseurs.
Le recours au groupe Wagner ne peut être qu'un pis aller, une sorte de moindre mal devant l'absence de perspectives de la politique française du rond-point. Mais Wagner risque de n'être qu'un faux remède même s'il peut soulager provisoirement l'abcès et aider à le crever. La solution est entre les mains des maliens et de personne d'autre.
Le G5 ne jouera son vrai rôle qu'entre des mains africaines indépendantes et fermes. Le risque est que cette situation au Mali devienne incontrôlable. Auquel cas, ce sera extrêmement dangereux pour tous les voisins, et en premier lieu, notre pays puisque y pâture une très grande partie du bétail de tout l'est voire au delà.
Tout cela se complique par l'accentuation des autres tensions régionales (Maroc-Sahara- Algérie) avec l'implication directe d'acteurs extrarégionaux dont Israël. A l'horizon pointe de très gros nuages et il n'est pas sûr que les déclarations et attitudes de M. E. Macron contribuent à faire baisser les tensions et à ramener les choses à des proportions gérables par les Etats de la région.
Qu'est ce qui fait courir le Chef d'Etat français? Les mêmes choses sans doute que M. Sarkozy naguère: le goût de l'aventure, l'emprise d'un lobby françafricain tentaculaire et l'électoralisme. Toujours est-il que toute cette situation est pleine de risques pour tout le monde comme on l'a vu pour la Libye.
Notre pays doit s'inquiéter et, surtout, se préparer sans attendre à y faire face dans l'unité et la concorde.
Propos recueillis par Dalay Lam