Le Calame - Entretien avec Messaoud Boulkheir, président de l’Alliance Populaire Progressiste (APP) et du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE)
Le Calame : Depuis quelques jours, la conférence de presse de certains partis politiques de l’opposition et coalitions et fait couler beaucoup d’encre et de salive. Certains vous accusent d’avoir été très critique vis-à-vis du régime d’Ould Ghazwani à qui vous avez demandé de démissionner dans la mesure où il n’est pas disposé à « affronter les problèmes du pays ». Que lui reprochez-vous après deux ans de règne ?
Messaoud Boulkheir : Je n’ai pas été très critique mais seulement critique « en disant ouvertement ce que chacun pense intimement »
Un Président est surtout élu pour affronter et résoudre, autant que faire se peut, les problèmes, tous les problèmes de son pays et non pas pour les éviter par crainte de ne pas être en mesure de les résoudre ; or ne pas arriver à les résoudre sera toujours moins grave que de ne rien tenter pour y parvenir.
Demander à un Président de démissionner est le slogan le plus usité à travers le Monde et de surcroît le plus civilisé. Il n’a aucun sens péjoratif. Quand un Président investi de presque tous les pouvoirs (même assez souvent de ceux dévolus aux autres Institutions) doute de ses capacités d’assumer ses lourdes charges, il doit au moins oser démissionner.
Quant aux raisons qui m’ont appelé à donner ce conseil, c’est que si le Pouvoir Exécutif, celui-là même duquel tout un chacun attend le plus et le mieux, préfère ne voir en les tourments que vit son pays et que subissent les citoyens qu’une affaire qui concerne au premier chef les Députés et les Juges, c’est qu’il veut s’en laver les mains à l’exemple de Ponce Pilate plus de deux millénaires avant lui.
C’est ce qui explique qu’après une décennie d’un pouvoir personnalisé à l’extrême et deux ans après que lui-même l’eût remplacé, rien ou très peu semble avoir été fait pour s’en démarquer au moins.
Pas en tout cas du point de vue de la méthodologie comme par exemple : Dresser un état des Lieux ou AUDIT au moins en ce qui concerne certains secteurs clés : les Institutions de la République (Présidence, Assemblée Nationale, Justice, Armée), l’Unité nationale et comment Vivre Ensemble, les Droits Humains, les Rapports sociaux et sociétaux, l’Enseignement, la Santé, l’Emploi, la Démocratie, les Problèmes Economiques (le Domaine Public, les Approvisionnements, la Banque Centrale, la Monnaie, la Pêche, les Mines, l’Energie, le Pétrole, l’Agriculture, les Infrastructures, etc…)
Je n’ai jamais prétendu que les choses étaient ou seraient faciles, bien au contraire, et c’est la raison pour laquelle le pays a besoin d’un Guide qui prend le taureau par les cornes car il est censé comprendre plus et mieux que quiconque que l’heure n’est plus celle des atermoiements…
-Au lendemain de la conférence de presse des partis politiques, le président de la République a convié les partis politiques représentés à l’Assemblée Nationale à une réunion sur les concertations qu’il pourrait lancer sous peu. Et selon nos sources, vous avez été sollicité, comme le président de Tawassoul par le président de l’UPR, mais vous avez décliné l’offre. Pouvez-vous nous dire les raisons ?
-Ce n’est en tout cas pas par mépris, ou manque d’intérêt, mais tout simplement par logique et par habitude. J’ai l’habitude d’assumer mes choix et m’étant montré hier seulement dans une position, je ne pouvais accepter de me montrer le lendemain dans une autre… sans aucun préalable.
-Lors de votre prise de parole, vous avez déclaré que Ghazwani n’a pas fait mieux que son prédécesseur, Ould Abdel Aziz. Qu’attendiez-vous de celui à qui vous aviez apporté votre soutien pendant la présidentielle de 2019 ? Avec cette déclaration, le président du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) que vous êtes ne craint-il pas, comme beaucoup de perdre son poste ? Pour marquer votre mécontentement, certains pensent que vous devriez démissionner de votre poste de président du CESE. Qu'en pensez-vous ?
-J’attendais un minimum qui aille dans le sens de tout ou partie de ce que j’ai évoqué en réponse à la première question.
Pourquoi devrais-je démissionner d’une fonction qui accrédite, plus que les mots, ma bonne foi et ma sincérité, au cas où certains, sûrement très nombreux, seraient opportunément portés à en douter ? Par contre si le Pouvoir considère qu’il faut me la retirer, je comprendrais tout à fait.
-Le dialogue politique auquel vous appelez devrait permettre de trouver des solutions aux problèmes d’exclusion des Haratines et des négro-africains de tous les secteurs économiques, de l’armée et des corps de sécurité, de l’esclavage ou de ses séquelles, du passif humanitaire, des langues nationales Pulaar, Soniké et Ouolof et de l’état-civil, en somme, la question du vivre ensemble. Pourquoi, à votre avis, le président Ghazwani ne s’est pas attaqué à ces questions cruciales alors qu’il s’était engagé, lors de sa déclaration de candidature le 1er mars 2019 à rétablir toutes les victimes d’injustice dans leur droit ? A quoi servirait un dialogue qui ne débattrait pas de ses questions ?
-En ce qui concerne tous les signataires du Communiqué ou de la Déclaration lu(e) en début de la Conférence de Presse, le Dialogue est la seule véritable porte de sortie des crises multidimensionnelles qui inquiètent les populations. La plus grave d’entre toutes est celle relative à l’Unité nationale dont dépendra l’avenir du pays. Il faut une relecture de notre Constitution pour définir ensemble et une fois pour toutes comment assurer notre VIVRE ENSEMBLE.
Une fois cette étape franchie, tout le reste deviendra facile.
-Après votre conférence de presse, on ne peut pas ne pas se poser la question de savoir si votre front prendra part aux « concertations » dont parle le président ? Au cours de la conférence de presse, vous avez laissé entendre que « c’est le dialogue ou rien »? Qu’est-ce qui pourrait vous amener à réviser votre position ? La réactualisation de l’ancienne feuille de route conçue entre opposition et majorité représentés à l’Assemblée Nationale ou un autre geste ?
-Par Dialogue, nous entendons des discussions claires entre concitoyens et patriotes conscients de leur diversité, de leurs différences, de leurs particularités mais soucieux de leur complémentarité et véritablement désireux de vivre ensemble sur des bases de Liberté, d’Egalité, de Justice, de Démocratie, de Solidarité et de Partage. Il va sans dire que cet Idéal, pour être atteint, implique que les débats ne doivent éluder aucune question, que tous les débatteurs soient les bienvenus, que les résultats des discussions soient consensuels et qu’ils aient obligatoirement force de Loi (Constitutionnelle ou Organique.)
Je pense que ceci, décliné sous quelque forme ou vocable que ce soit nous engagera certainement.
-Votre conférence de presse intervient au moment où l’opinion se demandait où était passée l’opposition depuis l’élection du président Ghazwani. Peut-on considérer désormais qu’elle est sortie de sa torpeur, qu’elle va se réorganiser et mettre fin à la longue période de grâce du président Ghazwani ? Allez-vous reprendre langue avec le RFD, l’UFP et SAWAB par exemple ?
-Les développements futurs apporteront certainement des réponses à ces questions que vous posez.
-Que vous inspire le retrait du parti RAG de la coalition, aussitôt après la conférence de presse ?
-Cela ne m’a inspiré ni plus ni moins que ce que m’avait inspiré sa position d’avant.
-Lors de sa campagne présidentielle, le candidat Ghazwani avait promis de lutter contre la gabegie. On a vu la création de la commission d’enquête parlementaire (CEP) sur la décennie d’Ould Abdel Aziz inculpé et placé en détention préventive depuis quelques mois déjà. Durant les deux ans, la gabegie a-t-elle reculé ? Pensez-vous qu’Ould Abdel Aziz pourrait bénéficier d’un jugement équitable ?
-N’ayant à son arrivée enregistré aucun paramètre permettant au profane que je suis de bénéficier d’une base d’évaluation crédible par rapport à laquelle comparer, je me contenterai de dire que s’il y a eu des améliorations, elles sont très peu visibles et encore moins sensibles mises à part les déclamations habituelles, mais là on est plus dans la ressemblance que dans la divergence.
Je souhaite à tout justiciable de bénéficier d’un jugement équitable et si Ould Abdel Aziz devait être le premier à en bénéficier, il doit se considérer comme le plus heureux des Mauritaniens et tous les Mauritaniens y verraient le seul véritable Changement intervenu après lui.
-Les partis politiques, majorité et opposition réunies reconnaissent tous qu’il ya des problèmes de l’unité nationale et de la cohésion sociale. Qu’est-ce qui, à votre avis les empêchent de trouver la solution ? Jusqu’à quand les communautés noires continueront-elles à se plaindre de leur « exclusion » ? La dernière présidentielle a laissé apparaître des candidatures dites « communautaires ». Avez-vous le sentiment que la composante arabe est suffisamment « sensible » à ces plaintes répétées ?
-Très sincèrement je pense qu’en abordant le problème du Vivre ensemble des communautés nationales, il ne faut pas impliquer ces dernières au point de les confondre tant avec ceux qui se croient investis de poser les problèmes en leur noms qu’avec les décideurs politiques qui pensent agir en notre nom à tous.
Les seuls responsables sont ceux qui détiennent le Pouvoir et leur perception de l’usage qu’il faut en faire : Est-ce qu’ils doivent l’exercer dans l’intérêt du grand ensemble ou simplement dans l’intérêt personnel ou à la rigueur du petit ensemble. C’est en cela que se distinguent les Hommes d’Etat des autres… et ce sont ces Hommes d’Etat que le Pays peine à « géniter » depuis plus de soixante ans…et que certains réclament de plus en plus fortement… y compris par les candidatures communautaires.
-Vous avez toujours été partisan du dialogue politique en Mauritanie pour dites-vous défendre l’intérêt de la Mauritanie. Vous vous êtes investis pour l’organisation de deux dialogues sous Ould Abdel Aziz dont certains ont pondu d'importantes recommandations mais restées hélas sans suite. Est-ce à dire que lesdits dialogues n’ont pas été à la hauteur de vos attentes ? En quoi celui auquel vous appelez de vos vœux aujourd’hui pourrait-il être plus constructif que les précédents ?
-Quoiqu’on puisse en dire, les Dialogues organisés sous le régime précédent ont permis certaines avancées majeures qui ne sont pas que théoriques sur le plan des Institutions, de la démocratie, des élections, de la proportionnelle, du Genre, du nomadisme politique, des candidatures indépendantes, de l’esclavage, du Droit à la différence, des coups d’Etat et même du 3ème mandat.
Que certains de ces acquis aient été contournés ou qu’ils aient déçu les attentes, ne diminue en rien leur importance. La vie est ainsi faite qu’il faut oser, échouer, recommencer, jusqu’à la perfection…
-Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d'avoir toujours soutenu Ould Abdel Aziz alors que son régime était gabegique et qu'il excluait les noirs de ce pays?
-Ne me faites pas perdre mon temps par des réponses à des questions qui ne méritent pas qu’on s’y arrête. Ces accusations ne concernent que ceux qui les avancent.
-Le président du parti pour la défense de l’environnement, M. Dellahi a dénoncé l’usage de la langue arabe pour « bloquer » les négro-africains lors des examens, concours et recrutements nationaux. Partagez-vous son avis ?
-C’est certainement un des aspects qui renforce ce sentiment de frustration, d’exclusion et de discrimination chez cette Communauté.
-L’Agence TAAZOUR a pour mission d’œuvrer pour la Solidarité Nationale et à la Lutte contre l’Exclusion. Pensez-vous qu’elle accomplit cette mission ? Avez-vous le sentiment que « les personnes cibles » profitent des milliards qu’elle investit depuis quelques années ?
-Pas plus que ne l’a accomplie TADAMOUNE avant elle et à laquelle on n’a demandé aucun compte ni dressé aucun bilan. Ce ne sont que des officines au service de ceux qui les créent et de ceux qui les dirigent pour en faire tout ce qu’ils veulent, sauf ce pourquoi et pour qui elles ont vu le jour.
Propos recueillis par Dalay Lam