La Mauritanie vient de se doter de trois cours criminelles spécialisées en matière de lutte contre l’esclavage. Une pratique qui perdure malgré les lois qui l’interdisent. «Les bébés naissent sous la coupe de leurs maîtres, et sont contraints de les servir toute leur vie», écrit Biram Abeid, militant abolitionniste mauritanien. Géopolis fait réagir Gaëtan Mootoo, chercheur à Amnesty International.
Gaëtan Mootoo, chercheur à Amnesty International. © Photo Amnesty International
Peut-on dire que la Mauritanie s'engage désormais sur la voie de l'éradication de cette pratique décriée par Amnesty International?
Amnesty International accueille favorablement la formation de ces tribunaux. En 2014, au moins 15 affaires d'esclavage présumé ont été portées devant les tribunaux. Elles sont cependant encore au stade de l'enquête. Les associations des droits de l'Homme souhaitent voir en matière de lutte contre l'esclavage de réels progrès. Notre organisation salue cette avancée mais demande que les nouvelles lois et procédures visant les crimes d'esclavage soient appliquées en réalité.
Il y a quatre mois, une loi durcissant la répression de l’esclavage et doublant les peines prévues contre ses auteurs avait déjà été votée par les députés mauritaniens. Certains n'y voient que de l'affichage. Ils rappellent que le pouvoir sévit en même temps contre les leaders du mouvement anti-esclavagiste qui croupissent en prison...
Il est assez paradoxal que les autorités votent des lois pour durcir la répression de l'esclavage et dans le même temps punissent ceux qui militent contre cette pratique. En janvier 2015, le tribunal de Rosso a ainsi condamné des militants, dont les responsables de l'IRA ( Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste, NDLR) à des peines de prison. Ces peines ont été confirmées en appel. Plusieurs associations de défense des droits de l'Homme, dont Amnesty International, demandent la libération immédiate et inconditionnelle de ces militants, dont Brahim Bilal Ramdane, Djiby Sow et Biram Dah Abeid, car ce sont des prisonniers d'opinion.
Biram Dah Abeid, fondateur de l'IRA. «Les bébés naissent sous la coupe de leurs maîtres et sont contraints de les servir toute leur vie», écrit le militant abolitionniste du fonds de sa prison. © Photo AFP/Seyllou
Les esclaves et leurs descendants travailleraient toujours sur des terres sans jouir d'aucun droit et seraient contraints de donner une partie de leurs récoltes à leurs maîtres traditionnels?
C'est effectivement le constat des militants des droits de l'Homme. Cependant, les autorités ne répriment pas ces pratiques.
Faut-t-il croire que le rapport de force au sein de la société mauritanienne va changer. Que les propriétaires d'esclaves n'agiront plus en toute impunité?
Le rapport de force changera si les autorités appliquent les lois qu'elles ont adoptées et que les procédures aillent à leur terme quand il s'agit de poursuites contre les personnes qui maintiennent d'autres personnes en esclavage. S'il est important de qualifier l'esclavage comme crime contre l'humanité, il est tout aussi important de libérer les prisonniers d'opinion qui réclament les droits pour les descendants d'esclaves.