Le président Ghazouani a hérité d’une situation économique peu enviable. C’est un fait que personne, y compris dans le cas de la majorité, ne peut contester. Il faut donc “faire avec”, en misant sur le temps pour espérer un redressement de cette situation. Mais sur le plan politique, le président Ghazouani n’attend pas.
Après s’être assuré que la majorité léguée par Aziz est prête à jouer son rôle de « soutien indéfectible » du pouvoir et poussé l’Assemblée nationale à voter massivement en faveur de la DPG (Déclaration de politique générale) du gouvernement, Ghazouani cherche à donner du sens à son statut de «président du consensus».
Il faut maintenant se convaincre que la force du nouveau président mauritanien est sa lenteur ! Contrairement à l’impulsivité de son prédécesseur. Tout le monde s’offusque aujourd’hui de ne pas le voir bouleverser l’architecture administrative qu’Aziz a laissée derrière lui, prenant même un malin plaisir à nommer, massivement, à des postes de hautes responsabilités, notamment dans certaines chancelleries comme celles de France et d’Espagne.
Deux mois après son investiture, Ghazouani continue toujours à observer, à rencontrer des hommes politiques de la majorité d’Aziz, devenue sa majorité, et à avancer à pas feutrés.
La seconde étape, celle qui a surpris bon nombre d’observateurs, est la rencontre avec les leaders de l’opposition dite radicale. Après avoir reçu Ahmed Ould Daddah, président du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) et Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des forces de progrès (UFP), le président Ghazouani a rencontré, lundi 30 septembre, le député Biram Dah Abeid, arrivé deuxième lors de la présidentielle du 22 juin 2019.
Avec le leader antiesclavagiste qui occupe maintenant la pole position en politique, grâce à son double exploit de second à la présidentielle de 2014 et de 2019, le président Ghazouani doit probablement entrevoir la possibilité de laisser l’homme et ses soutiens évoluer dans le cadre de leur choix, sans être continuellement les « réfugiés » d’un parti (Sawab) qui les met à mal avec une bonne partie d’un électorat potentiel négro-africain.
On se rappelle que dans les revendications du dialogue avorté avec le pouvoir, aux dernières heures de la présidence d’Aziz, il y avait bien la reconnaissance du parti RAG, de la formation des FPC (ancien FLAM) et de l’Organisation IRA (Initiative pour la résurgence d’un mouvement abolitionniste en Mauritanie).
Ces consultations d’usage pouvaient passer inaperçues si elles ne mettaient pas fin à une décennie de crise politique savamment entretenue par ceux qui en tiraient les ficèles en faisant voir au président Aziz des ennemis partout.
Une sorte de fixation sur un « rahil » (départ forcé) que l’opposition avait certes envisagé, en 2011, dans la foulée d’un « printemps arabe » dont les conséquences désastreuses se vivent encore aujourd’hui douloureusement en Libye, en Syrie et au Yémen.
Sans perspectives politiques à court ou moyen termes (élections anticipées, dialogue), l’on peut penser que le président Ghazouani cherche à apaiser la scène politique nationale pour pouvoir se consacrer à une situation économique préoccupante.
La levée de fonds, par émissions de bons du Trésor, revêt de plus en plus le sceau de l’urgence, quand approche la fin de chaque mois où il faut penser aux salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat (y compris ceux des établissements publics) qui, en 2016 déjà, étaient au nombre de 85.000 pour une masse salariale de 118 milliards d’ouguiyas (34 millions de dollars US).
Cette situation imputable à l’ancien ministre de l’Economie et des finances, ne l’a pas empêché, pourtant, d’être envoyé « en mission commando » à la Société nationale industrielle et minière (SNIM) qui traînerait aujourd’hui une dette colossale de 167 milliards d’ouguiyas (2017), note un expert financier mauritanien ayant épluché un rapport de la Banque mondiale publié en février 2018.
Problèmes économiques ou pas, Ghazouani sait qu’il a annoncé aux mauritaniens une gestion autre de leurs ressources. Ses promesses électorales constituent encore le premier paramètre d’évaluation et elles sont souvent citées quand il s’agit de jeter un coup d’œil sur ce qui est fait, ou simplement proposé, durant ces cent premiers jours de la gouvernance Ghazouani.
Ses ministres annoncent des stratégies sectorielles allant dans ce sens, notamment dans le domaine de l’emploi (recrutement de 5000 enseignants) et de la santé (choix de la ville d’Aleg pour la construction de l’hôpital saoudien de 400 lits).
Il faut également noter la timide opposition à certaines décisions de dernière minute prise par le pouvoir d’Aziz, comme la délégation des prestations de la Caisse nationale d’assurances maladies (CNAM) à une mystérieuse société en création, qui reviendrait à un proche de l’ancien président, ou encore la réouverture de centres islamiques, dont celui du cheikh Deddew, qui pourrait être le prélude à la reprise des relations diplomatiques avec le Qatar et à la fin des poursuites judiciaires contre les opposants Mohamed Ould Bouamatou et Limam Chavi’i.
Ce sera alors, ouvertement, une rupture avec la politique de « harcèlement » qui prévalait sous Aziz et le choix d’une pratique démocratique apaisée, seul moyen pour cet ancien chef d’état-major général des armées de réaliser en politique les exploits qu’on lui reconnait sur le plan sécuritaire, la Mauritanie étant le seul pays du G5 Sahel à être épargné, depuis 2011, par les attaques terroristes.
Par Mohamed Sneïba Correspondant permanent – Nouakchott
Afrimag via cridem