La presse mauritanienne a vécu un état de siège, cette dernière décennie, en raison de la politique des gouvernements précédents qui avaient déclaré la guerre aux organisations œuvrant pour réformer le secteur, regrette Mohamed Salem Ould Dah, le président du Syndicat des Journalistes Mauritaniens (SJM), dans cette interview à ALAKHBAR.
Toutefois, Ould Dah espère du nouveau régime du président Mohamed Ould Ghazouani de corriger cela et d’œuvrer pour l’amélioration des conditions de travail des journalistes.
ALAKHBAR_ Avec des conditions de travail très décriées, la presse mauritanienne a-t-elle pu assumer ses responsabilités ?
Mohamed Salem Ould Dah : La presse mauritanienne a vécu un état de siège, cette dernière décennie. Cette situation a affaibli ce secteur et a surtout, encouragé des pratiques contraires à l'éthique et à la déontologie, comme la diffamation et la diffusion d’informations, fondées sur des rumeurs. Ces pratiques ont été surtout facilitées par l’apparition de la presse en ligne dans laquelle n’importe qui peut se lancer sans respect d’aucune norme. Cette situation continue, malgré nos efforts de changement. Mais nous avons l’espoir sous le nouveau régime, car « Sans une presse forte, il n’y aura ni démocratie, ni développement. Nous ne réussirons même pas le combat contre la corruption ».
ALAKHBAR_ Quels sont les obstacles devant les journalistes, en Mauritanie ?
Mohamed Salem Ould Dah : Les obstacles sont nombreux. Je peux en citer - à titre d’exemple - l'absence d’institutions médiatiques conformes aux normes requises. Il y aussi cette guerre déclarée contre les organisations œuvrant dans le sens de la réforme de la presse. En tant que syndicat de presse qui représente le plus grand nombre de journalistes dans ce pays, nous avons vécu une expérience amère avec les précédents gouvernements. Les nombreux projets de réforme que nous avons lancés pour promouvoir le journaliste et valoriser le métier ont été bloqués. Enfin, les journalistes sont coupés des sources d’information, sans oublier cette absence de volonté politique de réformer le secteur. Et vous pouvez le constater, l’impact de cette situation a été négatif tant sur l’Etat que sur la population.
ALAKHBAR_ Des médias sont interdits de couvrir les conférences de presse du Gouvernement. Quelle est votre réaction ?
Mohamed Salem Ould Dah : Nous, Syndicat des Journalistes Mauritaniens (SJM), dénonçons cet obstacle quant à l’accès aux sources d’information, y compris la présence à la conférence de presse hebdomadaire du Gouvernement. Mais nous ne disons pas qu’il faut accepter n'importe qui. Le participant à la conférence de presse doit être un journaliste affilié à un média reconnu ou être un correspondant de presse accrédité. Cela va remettre de l’ordre à la conférence de presse et accorder aux journalistes, sur le terrain, la chance de mener à bien leur travail.
ALAKHBAR_ Pourquoi le recul de la Mauritanie dans le classement de Reporters sans frontières ?
Mohamed Salem Ould Dah : Faites l’état des lieux et un aperçu sur les conditions de travail des journalistes pour avoir vous-même la réponse. Les journalistes ne cessent de réclamer l’amélioration de leurs conditions de travail. Les soutiens financiers à la presse ont été coupés. Et le Fonds d'Aide à la Presse Privée a été instrumentalité : les ayants droits n’y ont pas accès et la distribution de l’aide est basée sur des critères de clientélisme. La représentation des journalistes ne se fait pas dans la transparence. Le Fonds est devenu un gaspillage de l'argent public. Cela n'a aucun sens. Et puis, il y a les arrestations et emprisonnements de journalistes sur la base de leur opinion ou de leur prise de position politique. Voilà ce que les organisations de presse internationales considèrent comme des obstacles et des violations de la liberté de la presse.
De son côté, le SJM dénonce cette situation et portera toujours ce combat, mais il est aussi de la responsabilité des journalistes-eux-même d’œuvrer pour l’amélioration de leurs conditions de travail.
Cette année, le SJM a participé à un atelier organisé par le Ministère de tutelle à l'issue duquel nous avons formulé des recommandations visant à corriger les manquements liés à la gestion et à la distribution du Fonds. Mais ces recommandations ne serviront à rien, si elles ne sont pas appliquées. Ces difficiles conditions de travail se répercutent de façon négative sur la productivité des journalistes.
ALAKHBAR_ La prolifération des organisations de défense des journalistes est-elle dans l’intérêt du secteur ?
Mohamed Salem Ould Dah : Des médias sont agréés de temps à autre par le Parquet de la République. Il existe aussi un syndicat des journalistes, le SJM, l’organe le plus important et le plus représentatif de la sphère médiatique en Mauritanie. Ses dirigeants sont élus lors d'un congrès général. Le SJM dispose d’un siège et élabore des programmes et des projets. C’est donc le SJM qui devait être le porte-parole des journalistes, mais le Gouvernement fait, plutôt, recours à une représentation biaisée pour des raisons particulières et obtient, malheureusement, le soutien de certains.
ALAKHBAR_ Pourquoi les journalistes peinent à obtenir la carte de presse officielle ?
Mohamed Salem Ould Dah : Une commission a été mise en place par le Ministère de tutelle pour s’occuper de la carte de presse officielle. Le SJM y est membre. Mais cette commission ne s’est pas réunie, depuis plusieurs années. C’est l’occasion d’ailleurs de demander qu’elle se réunisse, le plus rapidement possible, pour statuer sur le dossier des demandeurs de la carte de presse officielle. Entre temps, le SJM distribue des cartes à ses membres qui répondent aux critères requis.
ALAKHBAR_ Les journalistes se plaignent de la difficulté d’accès aux sources officielles, notamment les membres du Gouvernement et les responsables des Forces armées et de sécurité. Envisagez-vous une solution ?
Mohamed Salem Ould Dah : Effectivement, le SJM a proposé aux gouvernements précédents des solutions aux difficultés actuelles de la presse. Mais ces derniers avaient fermé l’œil, en laissant la presse s’embourber davantage. Mais, je vous ai déjà exprimé notre espoir de voir le nouveau régime apporter des solutions aux problèmes soulevés. Dieu sait qu’ils sont nombreux et complexes et entravent l’activité professionnelle des journalistes.
Le SJM a également élaboré un plan d'action en concertation avec l’ensemble des acteurs pour venir à bout des ses difficultés en faveur d’un journalisme de qualité et professionnel.
ALAKHBAR_ Que pensez-vous des arrestations de journalistes et de confiscation de leurs outils de travail par les Forces de sécurité ? Parfois même leurs images sont effacées.
Mohamed Salem Ould Dah : Le SJM est contre l’arrestation des journalistes. A chaque fois que c’est le cas, nous restons du côté de nos confrères, nous les rendons visite et nous suivons leur situation de près. Et, parfois, nous arrivons à obtenir leur libération.
Permettez-moi de lancer, ici, un appel destiné, principalement, aux Forces de sécurité à ne pas prendre pour cible les journalistes en les violentant ou détruisant leur matériel de travail, surtout pendant la couverture de manifestations, de meetings, etc.
ALAKHBAR_ Quel est le plan d'action du SJM contre la faiblesse de rémunération des journalistes, l’absence de contrat et le manque d'outil de travail ?
Mohamed Salem Ould Dah : Nous avions demandé des contrats de travail et des salaires appropriés et régulièrement versés en faveur des collaborateurs dans les médias publics. Certaines de nos demandes ont eu un écho favorable. Pour la première fois et grâce au SJM, des collaborateurs dans les médias publics ont été promus et nommés chef de service, directeur, etc.
Pour les médias privés - radio, télé, sites d’information en ligne web ou presse écrite - nous suivons notre plan d’action pour qu’ils deviennent des entreprises de presse privées.
ALAKHBAR_ Pourquoi le SJM a boycotté le Fonds d'Aide à la Presse Privée ?
Mohamed Salem Ould Dah : Nous avions émis des réserves sur le mode de fonctionnement et de gestion du Fonds d'Aide à la Presse Privée. Le Fonds est un échec. Le SJM le considère comme de l'argent public gaspillé pour un agenda précis et sans impact sur les médias. Le fonds est devenu une allocation distribuée, selon le bon vouloir des gestionnaires.
alakhbar via cridem